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Reporters en zone de guerre : "La mission d’informer n’est pas un vain mot"

Lorsqu'un journaliste se fait tuer en zone de conflit, une question revient systématiquement : qu'allait-il faire là-bas ? Des professionnels de France 2 et France 3 répondent.

Article rédigé par Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un journaliste couvre le conflit israélo-libanais, au Liban, en août 2006. (ALFRED/SIPA)

"Ils n’étaient ni des têtes brûlées, ni des casse-cou." Peu après la mort, samedi 2 novembre, de deux journalistes de RFI, la phrase fut répétée à l’envi, comme pour faire face à une sourde accusation. Mais qu'allaient-ils faire là-bas ? Les hommages les plus sincères peuvent se succéder, c’est ainsi désormais. Quand un journaliste meurt ou est kidnappé, sa rédaction doit aussi et d’abord justifier ses faits et gestes. Justement, en quoi consiste le métier de journaliste sur les terrains à risque ?

Comment prépare-t-on un reportage de guerre ?

Dans un premier temps, ceux qui partent sont sélectionnés en fonction de critères d’exercice professionnel. "Bien sûr, il y a toujours une première fois, dit Étienne Leenhardt, rédacteur en chef du service enquêtes et reportages de France 2. Mais on privilégie les gens qui connaissent déjà ces terrains. On compte beaucoup sur leur intuition, leur sens du danger."

Il s’agit ensuite de savoir précisément où l’on va se rendre et pourquoi. "C’est ce qui nous permet de mettre en balance les risques encourus et le bénéfice journalistique attendu d’une mission", dit Éric Monier, directeur de la rédaction de France 2. Même s’il est collégial, le moment est déterminant pour la suite des évènements. "Ce sera oui ou non. Les gens le savent dès qu’ils entrent dans ce bureau", poursuit-il. "La semaine dernière, mon départ en Syrie a été annulé, confie Martine Laroche Joubert, grand reporter à France 2. Je devais rejoindre un médecin français et pour la première fois, nous serions passés par le sud, via la Jordanie. La direction ne l’a pas souhaité. Il est vrai que c’était une voie de passage encore inconnue pour nous."

De fait, un débat précède chaque mission à risque, qui réunit directeur, chef de service et équipe de reportage. Tout est passé en revue : quelle route sera prise ? Avec quel véhicule ? Quel chauffeur ? Qui aidera sur place ? Peut-on faire confiance au "fixeur" ? "Son rôle est souvent crucial, constate Martine Laroche Joubert. En Syrie, mon fixeur doit avoir ses antennes un peu partout, savoir où sont les snipers. Au fil des missions, nous finissons par mieux nous connaître. Entre journalistes, nous échangeons des infos sur qui est crédible, ce qui l’est moins ou pas du tout." "Le chauffeur est également décisif. On se demande parfois jusqu’où ira sa loyauté. Moyennant finances, tout est possible", raconte Hugues Huet, grand reporter à France 3.

Dans les pays anglo-saxons, cette procédure qui vise à évaluer les risques est faite par des anciens des services secrets, parfois salariés au sein des chaînes. C’est le cas par exemple à la BBC. "A France Télévisions, nous faisons cela nous-mêmes. Mais nous pouvons aussi avoir recours à des sociétés de sécurité. Elles sont surtout très utiles pour étudier les systèmes de rapatriement, qui sont très sophistiqués. Elles peuvent aussi nous aider en prépositionnant des hommes aux frontières que l’on doit franchir. Mais, c’est un principe, nous ne sommes jamais accompagnés par des agents armés. Les Anglais ou les Américains, eux, n’hésitent pas. C’est une autre culture", détaille Éric Monier

 Comment gérer les risques pendant une mission ?

Sur le terrain, l’équipe dispose de casques et gilets pare-balles, lourds ou bien légers. Le choix se fait en fonction de la situation – couverture d’une manifestation dangereuse ou reportage sur une ligne de front. Même chose pour les instruments de communication qui relient les journalistes à leur rédaction. Téléphones GSM classiques ou appareils satellitaires Iridium et Inmarsat, la sélection se fait avec le souci majeur de la sécurité. Se garder d’utiliser des instruments aux signaux trop facilement repérables dans certaines zones est impératif. Car les écoutes font désormais partie des conflits modernes, et un téléphone peut transformer le journaliste en cible.

Malgré cela, les équipes doivent régulièrement donner leur position au siège. En zone de guerre, un long silence génère vite de l’inquiétude. Les instruments de géolocalisation peuvent permettre de savoir en permanence où se trouvent les équipes. "Le soir, il m'arrive de regarder sur mon ordinateur des points qui clignotent. Ce sont nos consœurs et confrères qui se signalent à nous. Ça me rassure. Dernièrement, en Egypte, des journalistes de chez nous ont été arrêtés. Avec la géolocalisation, on savait où ils étaient retenus. On a pu actionner le bon bureau pour les faire libérer", explique Eric Monier. "Je fais quand même très attention à l’usage de ces appareils. Je ne les allume brièvement que trois fois par jour, tout comme les téléphones : jamais plus de quinze secondes de conversation", tranche Martine Laroche Joubert.

Les précautions sont extrêmes, mais l’équipement ne doit à aucun moment prêter à confusion. L’objectif est de tout faire pour préserver le statut de journaliste et ne pas passer pour un espion ou un soldat. Mieux vaut donc éviter de s’habiller en tenue militaire, ne pas hésiter à afficher son dossard ou brassard "press" quand nécessaire ; bref, tout ce que l’expérience acquise vous conseille – y compris renoncer. "L’expérience, c’est ce qui te fait stopper, le signal qui s’allume dans ta tête. Cela m’est arrivé en Libye, à Misrata, pendant les affrontements. On est allés loin et je me suis dit : allez, on fait marche arrière." Christophe Kenck sait de quoi il parle : il était l’homme de l’image aux côtés de Gilles Jacquier, grand reporter pour l’émission "Envoyé Spécial", tué en Syrie le 11 janvier 2012.

"On pourrait aussi appeler cela de l’instinct. Une sorte d’intuition générale basée fortement sur l’observation", renchérit Hugues Huet. "En fait, on a beau tout prévoir, on peut se planter. Donc il faut rester calme, ne pas se laisser enfermer dans la bulle de notre viseur de caméra. Garder l’œil ouvert et aussi avoir la baraka", dit en souriant Patrick Desmulie, journaliste reporter d'images (JRI) à France 2. "En Afghanistan, j’avais croisé deux journalistes de RTL et Radio France. Le surlendemain, une fois rentré chez moi, j’ai appris leur mort à la télé. J’étais stupéfait."

Pourquoi continuer à se rendre en zones dangereuses ?

"Je veux tout simplement aller voir ce qui se passe de l’autre côté de la montagne, confie Patrick Desmulie. C’est un rêve de gosse. La mission d’informer n’est pas un vain mot pour moi. Si ça peut contribuer un peu à faire prendre conscience…" Pour d’autres, les raisons sont plus pragmatiques, elles concernent la fonction même du journaliste. Certes, images et informations sur les conflits en cours font chaque jour, chaque seconde, le tour du monde. Mais le rôle des journalistes dépêchés sur place est de tenter d’apporter une valeur ajoutée à "ce qui finit par ne devenir que du bruit, un vaste foisonnement", décrit Éric Monier.

Témoigner, mettre en récit, donner des clés pour comprendre, hiérarchiser, recouper – autant de tâches qui définissent et justifient la présence d'équipes dans ces zones périlleuses. D'autant plus qu'aujourd'hui, les conflits sont aussi des guerres "de l’image". On ment, on truque, on va parfois jusqu’à supprimer les témoins. "En Syrie, je travaille beaucoup avec de jeunes étudiants, raconte Martine Laroche Joubert. Ce ne sont pas des fous de guerre, ils ont des contacts de tous bords. Parmi eux, certains ont décidé de filmer ce qui se passe. Tous ont été tués. Délibérément. Quand je pense que certains croient que nous voulons jouer aux héros. Mais ce sont eux les héros, tous ces jeunes, morts pour des images, tous ces gens que nous filmons. Pas nous."

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