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Maroc, Egypte : faut-il craindre la victoire des partis islamistes ?

Vainqueurs au Maroc et favoris en Egypte, les islamistes relancent le débat et les inquiétudes sur la compatibilité de l'islamisme et de la démocratie.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Abdelilah Benkirane, le secrétaire général du Parti de la justice et du développement marocain, le 26 novembre 2011, à Rabat (Maroc). (ABDELHAK SENNA / AFP)

Après le "printemps arabe", les pays de la région connaissent un automne islamiste. Au Maroc, les modérés du Parti de la justice et du développement (PJD) ont remporté les législatives de vendredi 25 novembre. En Egypte, les Frères musulmans et leur parti Liberté et justice sont les favoris du scrutin législatif qui a démarré lundi.

Un mois après la large victoire d'Ennahda en Tunisie et la réintroduction, en Libye, de la charia, la loi islamique, les élections marocaines et égyptiennes relancent le débat et les inquiétudes sur la compatibilité de l'islamisme et de la démocratie. Que nous apprennent ces partis et leur programme sur la politique qu'ils pourraient conduire ?

Des partis pragmatiques

Autrefois partisans de la lutte par les armes, le PJD marocain et les Frères musulmans égyptiens cherchent aujourd'hui à prendre le pouvoir par les urnes.

Comme leurs homologues tunisiens d'Ennahda, les islamistes marocains "sont passés d'un islamisme construit sur le changement par la violence à un islamisme construit sur l'intégration dans le système politique", explique Mohamed Tozy, politologue marocain et professeur à l'IEP d'Aix-en-Provence.

Pour les islamistes marocains comme pour les tunisiens, le modèle en la matière est le Parti pour la justice et le développement, l'AKP, au pouvoir en Turquie. Même si certaines spécificités turques comme la laïcité sont difficilement transposables, l'AKP symbolise l'alliance entre islam politique et démocratie, comme l'expose Rue89. "Le PJD préfère qu'on parle de lui comme d'un frère de lait de l'AKP", rappelle Mohamed Tozy. De fait, le PJD se targue de partager avec l'AKP le même nom et un emblème identique, la lampe.

En Egypte, les Frères musulmans ne devraient pas remettre en cause les acquis de la révolution de février, qui a permis l'organisation des premières élections libres à la suite de la chute d'Hosni Moubarak. "Il ne faut pas faire d'emblée de mauvais procès aux Frères, estime Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'Egypte. Je vois pas pourquoi des gens moralisateurs et conservateurs ne seraient pas partisans de l’Etat de droit."

L'une des interrogations concerne cependant le sort des coptes, une minorité chrétienne violemment réprimée le 9 octobre au Caire. "Il faut voir jusqu'à quel point le libéralisme politique des Frères musulmans s'applique aux minorités religieuses", analyse prudemment Jean-Noël Ferrié.

Des partis à l'image de leur société

"Ces partis sont d'abord à l'image de leur société avant d'être islamiste", explique Jean-Noël Ferrié. Par conséquent, dans une société marocaine libérale, le PJD ne devrait pas se lancer dans une campagne de moralisation. "Ils l'ont dit lors d'une récente conférence de presse [résumée sur le site du quotidien marocain Le Soir Echos], leur projet n'est pas de s'occuper des femmes non voilées et des alcooliques", rappelle le chercheur.

En Egypte, le statu quo devrait également prévaloir. Sur la question des libertés individuelles, le chercheur du CNRS rappelle qu'à l'époque d'Hosni Moubarak, l'ancien président renversé en février, l'Egypte était un pays conservateur. Par exemple, comme le rapporte Libération.fr, 50 homosexuels ont été jugés en 2002 pour "débauche" et "mépris de la religion". "Cela ne va pas être pire. Cela va être bigot et conservateur", résume Jean-Noël Ferrié.

Mohamed Mursi, le leader du parti Liberté et justice, bras politique des Frères musulmans égyptiens, le 28 mai 2011 au Caire (Egypte). (MOHAMED ABD EL-GHANY / REUTERS)

Des partis qui ne devraient pas gouverner seul

Au Maroc comme en Egypte, les islamistes devront faire alliance avec d'autres partis pour gouverner. Le PJD, qui a obtenu 107 sièges sur 395 à la Chambre des représentants, devra former une coalition avec d'autres partis. "Le dénominateur commun ne pourra pas être religieux", analyse Mohamed Tozy. Le politologue pense que le parti islamiste modéré devra notamment gouverner avec les socialistes. Une coalition qui se concentrera, selon lui, sur la promotion d'une nouvelle moralité politique. 

Favoris des sondages, les Frères musulmans ne devraient pas obtenir la majorité absolue au sortir du scrutin législatif qui doit s'achever en janvier. Selon Jean-Noël Ferrié, les Frères se situent entre 30 % et 40 % dans les enquêtes d'opinion. "Ils vont être obligés de passer des compromis." 

Des partis qui devront respecter la Constitution

Contrairement à l'Egypte, à la Tunisie et à la Libye où la Constitution reste à écrire, le PJD arrive au pouvoir dans un cadre politique marocain clairement défini. Son action devra respecter la nouvelle Constitution, adoptée le 1er juillet par référendum. Par exemple, "les acquis des droits de l’homme, de la démocratie et du statut monarchique sont non révisables", développe Mohamed Tozy. L'arrivée au pouvoir des islamistes ne remet donc pas en cause le système politique marocain. D'après le politologue marocain, l'enjeu n'est pas religieux pour le PJD : "On l'attend beaucoup plus sur sa capacité à gérer le pays."

En Egypte, c'est le futur Parlement qui va nommer les membres de l'Assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle Constitution. Pour le moment, le projet constitutionnel des Frères musulmans reste flou. Selon Jean-Noël Ferrié, sur le plan religieux, les Frères devraient s'en tenir à l'article 2 du texte actuel. Celui-ci reconnaît la charia comme source principale de la législation, comme dans la plupart des pays arabes. Concernant les institutions, les Frères, qui ont souffert du régime autoritaire d'Hosni Moubarak, seraient plutôt partisans d'un système parlementaire.

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