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L'article à lire pour comprendre ce qu'il se passe en Gambie

Après l'entrée en Gambie des troupes de plusieurs pays étrangers, le président sortant a finalement annoncé qu'il comptait quitter le pouvoir. Le président élu est quant à lui toujours en exil. Nous vous aidons à y voir plus clair sur la situation de ce pays d'Afrique de l'Ouest.

Article rédigé par franceinfo - Hugo Cailloux
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Le président gambien Adama Barrow vient de prêter serment à l'ambassade de Gambie, à Dakar, au Sénégal, le 19 janvier 2017. (REUTERS)

Yahya Jammeh a fini par céder. Dans la nuit de vendredi 20 à samedi 21 janvier, le président sortant de la Gambie a annoncé à la télévision d'Etat qu'il allait quitter le pouvoir et le pays. Les troupes de cinq pays d'Afrique de l'Ouest sont intervenues, jeudi, pour le forcer à laisser sa place au président élu, Adama Barrow. Président depuis vingt-deux ans, Yahya Jammeh a perdu l'élection présidentielle du 1er décembre, mais renonçait à quitter le pouvoir, et a décrété l'état d'urgence dans le pays. 

Un président sortant qui s'accroche au pouvoir, un président élu en exil, une intervention militaire internationale : la Gambie s'est retrouvée plongée dans l'incertitude, et l'annonce de Yahya Jammeh sur son futur départ ne lève pas tout les doutes. On vous résume la situation.

C'est comment, la Gambie ?

La Gambie est le plus petit pays (en superficie) d’Afrique continentale. Presque trois fois moins étendu que la Belgique, il comptait deux millions d'habitants en 2015, selon la CIA, soit autant que la Slovénie. 

Le pays est enclavé dans le Sénégal, avec lequel il partage 749 km de frontières. Il couvre une bande de 15 à 25 km de large de part et d'autre des 320 derniers kilomètres du fleuve Gambie. La langue officielle de la Gambie est l'anglais depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1965. En 2014, le président Yahya Jammeh a annoncé que l'arabe deviendrait la langue officielle, pour des raisons religieuses, mais sans annoncer de calendrier. Incongru dans une région où l'anglais et le français dominent, et où les populations locales ne parlent pas l'arabe. 

Un an plus tard, Yahya Jammeh annonce que la Gambie est désormais un "Etat islamique". Une déclaration interprétée par Le Monde comme "un appel du pied aux monarchies du Golfe" et à leurs pétrodollars. 

Classée parmi les pays les moins développés du monde, la Gambie pâtit d'indicateurs socio-économiques médiocres. Le pays était classé 175e sur 188 en matière de développement humain (IDH) en 2014, selon les Nations unies. Le taux d’alphabétisation atteint péniblement les 50%, selon le ministère des Affaires étrangères. Un tiers des Gambiens vivaient sous le seuil de pauvreté (fixé à 1,20 euro par jour) en 2014, rappelle Le Point.

"Les entraves aux capitaux étrangers sont également renforcées par une aggravation de la prédation économique exercée par le cercle présidentiel", précise le Quai d'Orsay. Cette situation a poussé de nombreux Gambiens à émigrer au Sénégal, mais aussi en Europe. Pour preuve, la Gambie est le pays dont le nombre de migrants ayant tenté la traversée de la Méditerranée pour gagner l'Italie a été le plus important, si on le rapporte à sa population totale, indique Le Point.

Que se passe-t-il là-bas ?

Devenu président de la Gambie en 1994, à l'âge de 29 ans, après un coup d'Etat, Yahya Jammeh a créé la surprise le 2 décembre dernier en reconnaissant sa défaite à l'élection présidentielle. Il est arrivé deuxième avec 39,6% des voix, contre 43,3% pour son opposant Adama Barrow, selon la Commission électorale indépendante. Mais, coup de théâtre, le 9 décembre, le président sortant annonce à la télévision qu'il ne reconnaît plus les résultats, arguant que des erreurs ont été commises par la Commission électorale indépendante (IEC). Il saisit alors la Cour suprême, mais son recours est rejeté.

Dénonçant "un niveau d'ingérence étrangère exceptionnel et sans précédent" dans le processus électoral, Yahya Jammeh proclame l'état d'urgence le 17 janvier. La pression s'accentue autour de l'ancien président, avec la mobilisation de 7 000 soldats aux frontières de la Gambie par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, la Cédéao.

Le Sénégal, qui a accueilli Adama Barrow depuis que Yahya Jammeh a refusé de quitter le pouvoir, permet au président élu de prêter serment à Dakar, à l'ambassade de Gambie, le 19 janvier. A l'initiative de la Cédéao, l'armée sénégalaise entre le même jour en Gambie, sans rencontrer de résistance, pour faire pression sur l'ancien président.

Adama Barrow prête serment comme nouveau président de la Gambie, jeudi 19 janvier 2017, à Dakar (Sénégal). (RTS)

Vendredi 20 janvier, les troupes se sont retirées pour permettre à une dernière tentative de médiation des présidents mauritanien et guinéen d'aboutir, la Cédéao menaçant d'utiliser la force en cas d'échec. C'est à ces deux médiateurs que Yahya Jammeh a donné son accord de principe pour quitter la Gambie, avant d'annoncer à la télévision d'Etat son départ. Des négociations se poursuivent, samedi, sur les conditions de son exil et de la transition politique.

Plus de 45 000 personnes ont fui la Gambie depuis début janvier, en majorité vers le Sénégal, selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).

Pourquoi Yahya Jammeh a-t-il changé d'avis et voulait-il se maintenir au pouvoir ?

"Manifestement, il ne s'attendait pas à sa défaite. Et c'est, selon moi, pour cela qu'il a dans un premier temps accepté le résultat du scrutin", explique Jean-Claude Marut, chercheur associé au Laboratoire des Afriques dans le monde de Sciences Po Bordeaux. Pris au dépourvu, Yahya Jammeh n'a d'autre choix que d'accepter le résultat du scrutin du 1er décembre. Mais son objectif est de rester au pouvoir. 

"Même si on a promis à Yahya Jammeh qu'il n'allait pas être poursuivi, son entourage a beaucoup à se reprocher. Ses proches l'ont peut-être poussé à contester le résultat de l'élection afin d'échapper aux poursuites", analyse le chercheur. L'entourage présidentiel pourrait en effet être jugé pour atteintes aux droits de l'Homme, rappelait Géopolis en 2014. 

Le président sortant gambien Yahya Jammeh, lors d'un sommet africain à Yamoussoukro (Côte d'Ivoire), le 28 mars 2014. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Mais Yahya Jammeh, c'est un dictateur ?

Il répond lui-même à la question. "Je ne suis qu'un dictateur du développement", a-t-il déclaré en mai 2016 à Jeune Afrique. "Où est le problème ? Des gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c’est commun !" avait-il ajouté. Enfermements d'opposants, exécutions : Yahya Jammeh "bafoue de manière systématique et impunie les droits humains les plus élémentaires des populations", estime la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), citée par Le Monde.

"Il est imprévisible, mais il n'est pas fou", nuance Jean-Claude Marut. Yahya Jammeh est pourtant resté au pouvoir pendant vingt-deux ans, utilisant tous les moyens à sa disposition pour se maintenir en place. Paranoïaque, il utilise les services secrets pour épier la population, faisant de Banjul la capitale "la plus surveillée d'Afrique", selon France 24. Il a également affirmé avoir des talents de guérisseur et être capable de soigner de nombreuses maladies comme le sida, l'asthme, l'épilepsie ou la stérilité.

Mais comment un dictateur aurait-il pu perdre la présidentielle ? "L'élection du 1er décembre en elle-même est considérée comme libre, affirme Jean-Claude Marut. Mais les pressions ont pu se faire en amont. La surveillance, les arrestations d'opposants et le soutien à certaines franges de la population ont permis à Yahya Jammeh de gagner les élections jusqu'à présent."

Et le Sénégal intervient dans cette affaire. Mais il ne voudrait pas en profiter pour envahir la Gambie ?

"Confier au Sénégal la résolution de ce conflit est problématique, estime Jean-Claude Marut. Pour le Sénégal, la Gambie est une gêne à la fois politique et économique." Les frontières entre les deux pays sont l'héritage de la décolonisation, et le Sénégal ne cesse de le rappeler. La Gambie sépare presque le nord et l'est du Sénégal de sa partie sud, appelée Casamance. Dakar y voit une remise en cause de son unité nationale. "Supprimer cette enclave pour réunir les deux parties du Sénégal est un vieil objectif du pouvoir sénégalais", rappelle Jean-Claude Marut. Par le passé, la Gambie n'a pas hésité non plus à soutenir la rébellion sénégalaise de Casamance pour affaiblir son voisin, rappelle Slate Afrique

Dans le même temps, des tensions économiques apparaissent du fait de ce positionnement géographique. Le commerce sénégalais a besoin de la Gambie pour accéder à son fleuve, par où entrent des marchandises du monde entier. En avril 2016, rapportait RFI, la Gambie en avait profité en multipliant par 100 les tarifs douaniers. Les routiers sénégalais avaient alors bloqué la frontière pour protester contre cette mesure. "Le problème est de savoir ce que va faire le Sénégal, si le président élu s'installe vraiment au pouvoir", affirme le chercheur du CNRS.

Un convoi de l'armée sénégalaise près de Karang, à quelques kilomètres de la frontière gambienne, le 19 janvier 2017. (SYLVAIN CHERKAOUI / AP / SIPA)

Du coup, le nouveau président soutient le Sénégal ?

Le Sénégal est le "meilleur ami du monde" de la Gambie, selon Adama Barrow. "Rien ne montre qu'il [Adama Barrow] a des liens avec le Sénégal, tempère le chercheur du CNRS. Les Gambiens seront bien contents d'être séparés de Yahya Jammeh, mais, sans faire de procès d'intention, des questions se poseront sur la légitimité d'Adama Barrow." Même s'il a été élu en Gambie, Adama Barrow devra prouver qu'il tient sa légitimité de l'élection présidentielle elle-même, et non pas du soutien du Sénégal, où il s'est réfugié pendant la crise. 

Euh, au fait, on ne m'a toujours pas dit qui était Adama Barrow, le nouveau président ?

Adama Barrow était un inconnu jusqu'en octobre 2016, rappelle Ouest France. Le nouveau président est d'abord un homme d'affaires de 51 ans ayant fait fortune dans l'immobilier, ce qui lui vaut d'être surnommé le "Donald Trump de l'Afrique". Au Parti démocratique unifié (UDP), principale organisation d'opposition, il débute comme militant, puis devient trésorier avant d'être désigné candidat à l'élection présidentielle. Il passe quatre ans au Royaume-Uni pour se former à la négociation immobilière. Pour financer sa formation, il travaille en tant que vigile dans un magasin du nord de Londres, où il est devenu fan du club de foot d'Arsenal. Il est marié à deux femmes et est père de quatre enfants.

Le président élu Adama Barrow lors d'une réunion consacrée à la crise politique, le 13 janvier 2017, à Serekunda (Gambie). (YUSUPHA SAMA / ANADOLU AGENCY / AFP)

J'ai entendu dire que le fils du président élu a été dévoré par des pitbulls ? C'est quoi, cette histoire ?

Les circonstances du drame sont troubles. Dimanche 15 janvier, Habib Barrow, 8 ans, a été dévoré par quatre pitbulls dans la capitale gambienne, Banjul, rapporte la BBC (article en anglais). Le fils du président gambien est mort des suites de ses blessures.

Lors de sa fuite vers le Sénégal, trois jours plus tôt, Adama Barrow avait pris soin de déposer son fils chez une tante près de la station balnéaire de Senegambia, selon Le Monde. Pour des raisons inconnues, cette femme aurait alors emmené l'enfant chez son beau-frère, un homme d'affaires propriétaire de chiens dangereux. Dans l'après-midi du 15 janvier, une femme de ménage aurait fait la macabre découverte. "Ce sont les cris de la femme de ménage qui ont ameuté le voisinage, a dit un voisin au MondeSur place, nous avons eu beaucoup de mal à chasser les gros chiens qui avaient déjà entamé le petit au visage et surtout au ventre." Les rumeurs font un lien entre le départ en exil d'Adama Barrow et accusent le camp de Yahya Jammeh. Mais rien n'a été prouvé jusque-là. 

Je n'ai pas voulu tout lire, vous me faites un résumé ?

Adama Barrow, un homme d'affaires de 51 ans ayant fait fortune dans l'immobilier, a remporté l'élection présidentielle gambienne du 1er décembre 2016. Mais il a dû se réfugier au Sénégal car le président sortant, Yahya Jammeh, qui dirigeait le pays depuis vingt-deux ans, refusait le résultat. Ce dernier, qui assume ne pas respecter les droits de l'Homme, avait pourtant reconnu sa défaite dans un premier temps.

Son refus de quitter le pouvoir pouvait s'expliquer par la peur de ses proches d'être traduits en justice par les vainqueurs de l'élection. Manœuvrier et imprévisible, l'ancien président a déclaré l'état d'urgence, pendant que les pays de l'Afrique de l'Ouest ont soutenu Adama Barrow en envoyant des soldats le long de la frontière entre la Gambie et le Sénégal, qui entend jouer un rôle majeur dans le règlement du conflit. 

Lâché par la communauté internationale, son armée et la population, qui ont laissé les soldats de la coalition africaine entrer en Gambie, Yahya Jammeh a finalement annoncé, samedi, qu'il quitterait le pouvoir, et devrait s'exiler.

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