Fin du franc CFA : "La souveraineté monétaire passe de Paris à l'Afrique de l'Ouest", affirme l’économiste Kako Nubukpo
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, a annoncé la fin prochaine du franc CFA en Afrique de l'Ouest qui sera remplacé par l'Eco. Pour l’économiste Kako Nubukpo, c'est une décision symboliquement forte.
Pour l'économiste togolais Kako Nubukpo, la fin du franc CFA, annoncée le 21 décembre 2019 par le dirigeant ivoirien Alassane Ouattara, marque "la rupture du cordon ombilical entre la France et les pays de la zone franc d’Afrique de l’Ouest".
Franceinfo Afrique: comment réagissez-vous à cette annonce, vous qui avez été à la pointe de ce combat ?
Kako Nubukpo: à quelques jours de 2020, l’année du soixantième anniversaire des indépendances africaines, rompre avec une monnaie qui renvoyait à l’ancien franc des colonies françaises d’Afrique, c’est symboliquement très fort. Avec cette annonce, la France coupe le cordon ombilical avec ses anciennes colonies.
Il n’y aura plus de représentants français dans les instances communautaires de la BCEAO (Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest) et de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine). La souveraineté monétaire passe de Paris en Afrique de l’Ouest, et c’est quelque chose de majeur.
Mais sur le plan économique qu’est-ce que cela change ?
La monnaie, ce n’est pas seulement de l’économie, c’est une unité de compte qui renvoie à votre souveraineté. Le dollar pour les Etats-Unis, le yen pour le Japon…
Les huit pays de l'actuelle zone franc en Afrique de l'Ouest vont couper les liens techniques avec le Trésor et la Banque de France. Ils géreront eux-mêmes cette monnaie sans interférence de Paris.
Dans un premier temps, la nouvelle monnaie aura un taux de change fixe avec l’euro, mais c’est une mesure de prudence pour rassurer les opérateurs économiques et investisseurs internationaux pour qu’il n’y ait pas de "fuite devant la monnaie". L’idéal, je le dis depuis des années, c’est d’avoir une monnaie flexible pour tenir compte des impératifs de compétitivité des économies de la région. A l’heure actuelle, l’Eco n’est pas encore créé, ses instances n’existent toujours pas. Mais à plus long terme, l’Eco pourrait être rattaché à un panier de devises, qui devrait mieux prendre en compte la diversité de nos partenaires économiques : yuan, dollar…
Quels seront les avantages de l'Eco ?
Son principal avantage, si l’Eco est adopté par les 15 Etats de la région, c’est un marché de 350 millions d’habitants. Cela va réduire les coûts de transaction, favoriser l’investissement et créer un marché intérieur plus dynamique.
Le noyau dur aujourd’hui de l’Eco, ce sont les 8 pays de l’UEMOA, auxquels peuvent s’ajouter demain des pays comme le Ghana, le Liberia, le Cap-Vert, la Guinée-Conakry.
La seconde étape sera la négociation avec le Nigeria, ou il faudra mettre un principe de solidarité monétaire et budgétaire. Si le Nigeria, qui représente 71% du PIB de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), n’y est pas, on aura un demi-succès. Ce qui est nouveau, c’est qu’un débat va pouvoir s’ouvrir entre économistes sur la taille de la zone monétaire de l’Eco et sur le régime de change.
Paris va continuer à garantir la convertibilité de l’Eco...
Nous sommes typiquement dans le domaine de la confiance. La garantie française rassure les marchés, car Paris reste prêteur en dernier ressort. Mais cela ne peut se faire qu’à titre transitoire. La France peut garantir la parité parce que l’Eco est arrimé à l’euro, ce ne sera évidemment plus le cas si l’Eco s’arrime à un panier de monnaies comme le yen ou le dollar.
L’Afrique centrale n’est pas concernée par cette réforme ?
En Afrique de l’Ouest, Il y a une volonté forte, depuis plus d’une décennie, d’aller vers une monnaie unique. Nous n’avons pas de vision similaire en Afrique centrale. Mais je pense que l’Afrique centrale va devoir, elle aussi, y penser et commencer à négocier avec Paris un processus semblable.
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