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Afrique-Brésil : on s’aime, un peu, beaucoup, un peu moins…

Sous la présidence de Luis Inacio Lula da Silva (2003-2011), le Brésil a considérablement développé ses relations avec l’Afrique. Résultat: le commerce entre les deux parties a quintuplé, passant de 4,2 milliards de dollars en 2002 à 28,4 en 2012. Ce rapprochement a un fondement culturel et historique. Mais il a pris du plomb dans l’aile en raison de la crise qui touche le géant sud-américain.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le président brésilien Luis Inacio Lula da Silva pose, le 10 novembre 2010, avec une jeune femme dans le cadre d'une visite d'une usine fabriquant des médicaments anti-sida à Matola, près de Maputo, au Mozambique. (BENOIT MARQUET / AFP)

«Nous ne pourrons jamais payer, ni mesurer en argent, notre dette historique envers l'Afrique. Tout ce que nous sommes, nous le devons au métissage du peuple brésilien: notre façon d'être, notre culture, notre art, notre couleur de peau», expliquait le président Lula en juillet 2010 lors de sa dernière tournée africaine, selon des propos cités par RFI.  

La «dette historique», c’est évidemment la traite des Noirs d’Afrique vers le Brésil, indépendant depuis 1822, qui ne l’a abolie qu’en 1888. Même s’il est difficile de donner des chiffres fiables en la matière, le phénomène fut considérable: on estime ainsi qu’entre 1790 et 1830, quelque 700.000 esclaves auraient débarqué à Rio de Janeiro. Et aujourd’hui, 45% des 200 millions de Brésiliens auraient des origines africaines.
 
Esclaves africains surveillés par des gardes armés au Brésil vers 1828. Gravure de cuivre tirée des «Entretiens de Gottlieb Tobias Wilhelm» tiré de «L'histoire naturelle des minéraux» (Augsbourg, 1928). (AFP - LEEMAGE)

«Tout ce que le Brésil compte de forces sociologiques "afrodescendantes" sont mobilisées pour des relations plus étroites avec l’Afrique. Les Brésiliens s’en sentent proches, contrairement aux Chinois», observait, en 2011, le tout premier ambassadeur du Burkina Faso à Brasilia, Alain-Jean Gustave Ilboudo. L’influence africaine est en effet très présente dans la culture brésilienne. Comme dans la gastronomie.

Rapprochement
Lula a traduit cette proximité culturelle en rapprochement politique et économique. Sous sa présidence, «la priorité donnée à l'Afrique (était) devenue une politique d'Etat, soutenue par des actions concrètes», comme l’expliquait son porte-parole en 2010. Il s’est rendu 11 fois sur le continent africain et «a visité 27 pays (du continent sur 54) en huit ans de pouvoir», rappelle l’historien Houlaïfat Said Omar. Dans les années 2000, Brasilia a ouvert une vingtaine d’ambassades dans la région.

Proximité linguistique oblige, les relations sont particulièrement étroites avec les pays lusophones d’Afrique qui, comme le Brésil, ont été colonisés par le Portugal. En l’occurrence: surtout avec l’Angola pétrolier, mais aussi avec le Mozambique, le Cap-Vert, la Guinée Bissau, Sao Tome et Principe. Mais Brasilia a su étendre ses relations à d’autres Etats du continent. Notamment le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Egypte.

Le président brésilien Lula avec le président mozambicain Armando Guebuza à Maputo, capitale du Mozambique, le 9 novembre 2010. (BENOIT MARQUET / AFP)

«Les acteurs majeurs de l’économie brésilienne, tels le géant pétrolier Petrobras ou la compagnie minière Vale, sont très impliqués dans l’exploitation des ressources» du continent, observait en mars 2013 un article du site Harvard International Review. En 2014, les minerais représentaient d’ailleurs près de 85% des importations du Brésil. Alors que celles du continent étaient surtout constituées de produits agricoles.

Autres firmes engagées dans la coopération: l’avionneur Embraer et le groupe de BTP Oderbrecht, devenu un gros employeur en Angola.

Entre géopolitique et soft power
Pour autant, la coopération brésilienne avec le continent, «à la différence de ce que font la Chine ou l’Inde», n’est pas seulement liée à des considérations économiques, observe Harvard International Review. Elle répond aussi à des considérations très… politiques. «Le géant latino-américain essaye ainsi de se donner une stature d’acteur mondial en fournissant une aide au développement et en faisant preuve de leadership sur des questions comme la lutte contre la pauvreté et le sida». Il tente ainsi de rassembler des soutiens pour tenter d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. De fait, les pays africains, qui représentent 28% des membres de l’organisation internationale, lui sont acquis. Mais dans cette affaire, il manque à Brasilia le soutien des grandes puissances…

L’affaire des médicaments anti-sida est très révélatrice de l’approche brésilienne. Au cours des années 2000, le Brésil a ainsi mené la lutte contre le prix des médicaments anti-sida pratiqués par les grands laboratoires pharmaceutiques notamment vis-à-vis de l'Afrique. Aidé par l’Afrique du Sud, le Brésil a alors menacé d’exporter sa technologie de production de médicaments copies. Et contraint les labos à reculer.

Ralentissement
Le Brésil sait aussi pratiquer le soft power. Notamment dans le cadre de la coopération universitaire. Il a ainsi créé une Université fédérale de l’Intégration luso-afro-brésilienne (Unilab), dont le campus se trouve à Sao Francisco do Conde (ouest). Un lieu symbolique, connu pour être celui où des centaines d’esclaves se sont révoltés en 1835. L’établissement «permet la formation des élites africaines dans des domaines» comme le développement agraire ou l’agronomie, rapporte Houlaïfat Said Omar.

Le président brésilien Lula et son épouse Marisa Leticia devant les pyramides en Egypte le 8 décembre 2003. (REUTERS/Aladin Abdel Naby)

Mais les crises économique et politique, qui ont éclaté au Brésil à partir de 2014, ont quelque peu contrarié les projets du géant latino-américain. Elles ont notamment entraîné la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff, accusée de manipulation comptable, qui avait succédé à Lula, et permis le retour au pouvoir de la droite et du centre avec Michel Temer, lui-même mis en accusation pour corruption. Ces crises ont notamment été alimentées par l’énorme scandale Petrobras, qui a des répercussions au Bénin dans une affaire d’acquisition par la firme pétrolière de droits d’exploration. Notons au passage que dans le sillage de ce scandale, Oderbrecht «est accusé d’avoir distribué des pots-de-vin dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Afrique pour remporter des appels d'offre de Petrobras», rapporte France 24… 

Ces difficultés ont détourné Brasilia de la politique extérieure et l’ont donc ainsi contraint à réduire la voilure vis-à-vis du continent africain. Résultat: les chiffres des échanges commerciaux sont en chute libre. Entre 2014 et 2015, ils ont ainsi baissé… de plus de moitié. Et si en 2016, si les exportations brésiliennes vers l’Afrique se sont à peu près maintenues, les importations du pays ont encore chuté de près de 50%. De quoi remettre la coopération à des jours meilleurs…

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