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L’Institut du monde arabe présente à Paris trois générations d’artistes algériens à l’extraordinaire créativité

Article rédigé par franceinfo Afrique
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L’exposition "Algérie mon amour – Artistes de la fraternité algérienne 1953-2021" permet de découvrir une partie de la collection de l’IMA, qui compte 600 œuvres d’art moderne et contemporain algérien, grâce notamment aux donations de Claude et France Lemand en 2018, 2019 et 2021.

Jusqu’au 31 juillet 2022, à travers 38 œuvres de 18 artistes issus de trois générations, l’exposition Algérie mon amour – Artistes de la fraternité algérienne 1953-2021 à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris permet d’explorer toute la richesse de la créativité algérienne. Claude Lemand, commissaire de cette exposition, déclare qu’elle est "l’une des plus importantes du monde arabe".

Dans un entretien à Radio France, il explique pourquoi le sous-titre Artistes de la fraternité algérienne a été ajouté. "J’ai (voulu) être un porte-parole de ces artistes algériens qui ont commencé à venir à Paris en 1951, 52, 53 (pour faire leurs études). Cette génération qu’on a appelée celle de 1930 parce que tous sont nés autour de 1930 est restée dans la capitale jusqu’en 1962, date de l’indépendance de l’Algérie. Pratiquement tous sont rentrés sauf principalement Benanteur (Abdallah qui prônait une résistance pacifique). Ils avaient cette relation fraternelle entre eux, et quelles que soient leurs origines. Quand ils sont rentrés en 1963, il y a eu une première exposition (organisée par le poète Jean Sénac) au musée des Beaux-Arts d’Alger qui a été appelée 'Peintres algériens' pour dire que l’Algérie avait des jeunes peintres. Il y avait une trentaine d’artistes et on n'a pas du tout fait de distinction entre celui-ci est arabe, celui-ci est kabyle, juif, chrétien ou musulman, ni celui-ci vient d’Espagne, celui-là vient de France. C’était avant tout des artistes nés en Algérie. Ils ont exposé ensemble, fraternellement et toujours eu des relations artistiques et amicales. Et l'année d'après, en 1964, cette même exposition a été faite au Musée des Arts décoratifs à Paris, avec le même titre et le même nombre d’artistes. C’était un état d’esprit vraiment exceptionnel."

Claude Lemand ajoute qu’à travers Algérie mon amour – Artistes de la fraternité algérienne 1953-2021, "le plus important est de rappeler combien cette fraternité est fructueuse et combien la culture peut y contribuer. (C’est) le principal message de cette exposition."

Les textes qui accompagnent les œuvres présentées ci-dessous sont d’Anissa Bouayed (historienne), Emilie Goudal (docteure en histoire de l’art) et Claude Lemand.

"Affirmant une peinture non figurative depuis la fin des années 50, Louis Nallard (1918-2016) a été associé à la seconde "Ecole de Paris"(celle-ci  se réfère à tout ce que la capitale compte d'artistes indépendants dans les années entourant la Seconde guerre mondiale et intègre les tendances figuratives réalistes, principalement les expressions picturales abstraites, NDLR). (…) Acteur infatigable du "Salon des Réalités nouvelles"(rendez-vous international de l'art abstrait, NDLR), dont il a été l’un des animateurs pendant trois décennies, il est peut-être la figure d’intercesseur entre Alger et Paris, entre les communautés de peintres et d’artistes. Il ne saurait être oublié dans cette carrière qui a presque traversé un siècle de création et d’histoire."   (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Le peintre et dessinateur Abdelkader Guermaz (1919-1996) est "l’aîné des fondateurs de la peinture algérienne moderne", comme le qualifie joliment le collectionneur Pierre Rey. (…) Dans ses tableaux, l’importance de la matérialité et de la fusion – alliage entre le tissu de la toile brute et la matière picturale – est au fondement d’une rigoureuse architecture horizontale et verticale, à laquelle une couleur spectrale vient donner du rythme, en une cosmogonie de la matière qui use de la tension entre ligne et couleurs, entre rigueur du trait et fluidité chromatique. Le travail du blanc n’est jamais une invitation au vide, mais plutôt à pénétrer dans un espace perforé par la lumière. Cette lumière appelle, selon l’artiste, à la "conscience universelle", à restituer à cet éclat intérieur toute sa vraisemblance."    (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Artiste talentueux, prolifique et généreux, M’hamed Issiakhem (1928-1985) est l’un des fondateurs de la peinture moderne en Algérie. Il détruisit nombre de ses œuvres, en donna sans compter et sans se soucier d’établir ou d’en faire établir le répertoire. Il appartient à cette génération d’artistes et d’écrivains pour lesquels création et contestation de l’ordre colonial sont les deux faces d’une même conscience."       (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Le peintre et graveur Mohammed Khadda (1930-1991) a été, avec Jean Sénac (1926-1973), l’une des plumes les plus prolifiques pour penser une histoire de l’art en Algérie, au rythme des impulsions des indépendances. On lui doit d’avoir entrepris, tant dans ses écrits théoriques que dans sa pratique, de libérer la création en Algérie de passés conflictuels ou ensevelis. Son parcours pose les bases d’un art, à rebours de la vision coloniale et orientaliste, aspirant à "la désaliénation de l’homme" dans une perspective marxiste, tout en évitant les écueils identitaire ou essentialiste et avec la volonté de sortir les artistes du ghetto."         (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Peintre et sculptrice autodidacte de renommée internationale, Fatma Haddad, dite Baya (1931-1998), n’a pas souffert, comme d’autres femmes artistes, d’un manque de visibilité car propulsée dès l’âge de 16 ans au sommet de la notoriété. Son œuvre, dont le qualificatif "d’art naïf" peine à exprimer la singularité, son raffinement, ses évolutions, sa dimension spirituelle, a exercé une influence majeure, particulièrement en Algérie où elle fut beaucoup imitée par les générations formées après l’Indépendance. (…) Malgré sa personnalité discrète qui contrastait avec une scène artistique algéroise tumultueuse, Baya fraya son propre chemin en participant à des expositions collectives et en bénéficiant de nombreuses expositions personnelles, principalement dans la capitale, où elle montra ses œuvres presque tous les ans. Elle fut en 1967 de l’aventure du groupe Aouchem (mot berbère signifiant tatouage, NDLR), qui entendait connecter l’art contemporain aux sources de l’art africain et au répertoire formel transmis par les arts populaires du Maghreb."      (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Né le 3 mars 1931 à Mostaganem, Abdallah Benanteur (1931-2017) a baigné dans un milieu familial et culturel algérien sensible à l’écriture et au livre manuscrit enluminé, à la poésie mystique musulmane, à la musique et au chant andalous. (…) Imprégné de la culture arabe de son Algérie natale, de la grande peinture européenne des musées de France et d’Europe, des arts graphiques et des manuscrits d’Europe, d’Orient et d’Extrême-Orient, nourri par l’imaginaire des poètes du monde entier dont il est devenu un fin connaisseur, Benanteur a su créer des œuvres personnelles, des paysages poétiques baignés par la lumière, bien réelle, de sa Méditerranée natale et de sa Bretagne d’adoption, et par une lumière transcendantale, "ni orientale ni occidentale". (…) Persuadé d’être né au mauvais moment, Benanteur aurait aimé vivre et travailler dans un pays et à une époque où un idéal humain, esthétique et social, existait encore : la fin du Moyen Âge européen ou l’apogée de la civilisation arabo-andalouse. Le travail était son moyen naturel de calmer son angoisse, de répondre au tragique de l’existence."        (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"La "bombe" Choukri Mesli (1931-2017), comme il a pu se qualifier lui-même en évoquant ses premières années d’études, est l’une des grandes figures de la "génération des années 30", à laquelle on doit d’avoir révolutionné la peinture algérienne. Cofondateur et pilier du manifeste Aouchem, sa quête africaine et arabo-berbère s’exprime dans deux séries majeures, qu’il dédie aux Ancêtres et aux Femmes. (…) En se vouant au thème féminin, il entend mettre sur la place publique la question actuelle de la place de la femme dans la société. La totémisation entreprise pour les Ancêtres et ses premières Femmes se doublera progressivement d’une recherche plastique sur l’idée du palimpseste, processus témoignant à la fois d’une recherche d’ancrage et de la nécessité d’un renouvellement."     (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Souhila Bel Bahar (née en 1934) issue d’une famille de brodeurs est d’abord formée à la couture à Alger, entre 1949 et 1952. Artiste autodidacte, elle débute la peinture de chevalet à 17 ans et stimule sa pratique du dessin par ses lectures d’ouvrages d’histoire de l’art, puisant l’inspiration dans des œuvres d’artistes occidentaux tels que Delacroix, Renoir, Corot ou Picasso. Elle développe une palette graphique et chromatique très colorée et sinusoïdale où le trait cerné, parfois doré, de ses figures rappelle encore les fils d’or brodés hérités de sa formation textile. (…) Son travail, qui met la figure féminine et les motifs orientaux tout autant que l’arabesque à l’honneur, sera également mis au service de l’ONG, l’Union nationale des femmes algériennes."    (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND MUSEE DE L’IMA)
"Le peintre, sculpteur et graveur Mohamed Aksouh (né en 1934) compte parmi les artistes d’Algérie de la "génération des années 30" qui adoptèrent le langage abstrait. Un choix précoce de la non-figuration, qui l’a conduit à s’inspirer des leçons de l’art moderne international, tout en laissant transparaître – ce qui fait sa singularité – la réminiscence des paysages de son enfance algéroise et des référents de la culture arabo-berbère comme les signes évoquant les alphabets arabe ou tifinagh. Cet artiste complet qui fait dialoguer local et universel vit depuis 1965 en région parisienne. Il est aujourd’hui paradoxalement plus connu en Europe et au Moyen-Orient qu’en Algérie."      (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Né en 1941 en Oranie, Denis Martinez concentre dans les différents prismes de sa création l’histoire artistique de l’Algérie contemporaine, et l’Histoire tout court. Professeur de dessin aux Beaux-Arts d’Alger dès l’âge de 21 ans, passeur et pédagogue auprès de deux générations de jeunes artistes algériens en formation, il est l’initiateur en 1967, avec Choukri Mesli, du manifeste Aouchen. (…) Au fil d’une trajectoire artistique unique (assemblages, dessins, peinture, installations, performances…), alliant riche vocabulaire formel et trait inimitable, ce promoteur de la polyphonie des arts a laissé libre cours à la déconstruction des codes et à son goût, si rare dans le monde de l’art, pour le travail collectif. (…) La riche diversité des approches picturales des jeunes générations d’artistes algériens est pour une large part héritière de ce travail de décloisonnement, de cette recherche de syncrétisme se nourrissant des cultures ancestrales et des savoirs populaires, de remise en question de l’image de l’artiste solitaire."    (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Mahjoub Ben Bella (1946-2020) suit une formation artistique aux Beaux-Arts d’Oran, de Tourcoing puis de Paris, ainsi qu’à l’école des Arts décoratifs de Paris, avant de s’installer dans le nord de la France. (…) Le lexique artistique de Mahjoub Ben Bella puise au cœur d’une rencontre entre abstraction et esthétique de la calligraphie arabe, et fourmille de traces, signes, totems alliés aux couleurs tantôt sombres, tantôt solaires. Cependant, sa proximité avec les recherches plastiques qui ont animé le monde de l’art en Algérie autour du signe, tatouage et totem "picturalisés" dont le collectif Aouchem a porté la réflexion, ne saurait être l’unique porte d’entrée dans son travail. L’écriture automatique empruntée au surréalisme, les techniques de peinture de l’Expressionnisme abstrait (1946), All-over (1948) ou Action painting (1950), ne sont pas étrangères à la palette de ses inspirations, sans qu’il ne s’interdise aucunement de rendre hommage à des artistes comme Delacroix, Van Gogh, Roberto Matta ou André Masson."      (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Graveur, peintre sur parchemin, travail de l’argile, du kaolin, sur acier, sur pierre, sur soie, créateur de tapisseries… on ne saurait résumer les mille vies de Rachid Koraïchi (né en 1947), dont l’œuvre maintes fois primée a fait le tour du globe, tant il a accumulé de projets et de collaborations, toujours singulières, nées de rencontres entre poésie visuelle et manuscrite. S’il a imposé son univers de lettres, de signes et de symboles, lui-même ne se considère pas comme calligraphe, mais comme un plasticien à la croisée entre tradition et innovation. (…) Il n’a cessé d’être présent dans les manifestations artistiques internationales, répondant à des invitations à intervenir in situ, ou collaborant avec des poètes ou des lieux desquels il fait surgir des mémoires enfouies."       (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Né en Algérie en 1952, Mohand Amara arrive en France avec ses parents en 1953. Il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1972 en dessin et peinture, puis en sculpture de 1976 à 1980, dans l’atelier Charpentier. Ses qualités de sculpteur sont vite reconnues. Il est lauréat de la Fondation de France, 2e prix de sculpture à Toulon en 1977, 2e prix à la Celle-Saint-Cloud en 1980. Très actif dans les années 80, il participe aux expositions "Les enfants de l’immigration" au Centre Pompidou, "Cap sur l’avenir" à Montréal, représente l’Algérie en 1988 au Symposium de Séoul et reçoit des commandes en France. Sa passion : le corps humain et l’animal. Sa méthode : le travail obstiné et méticuleux."     (MUSEE DE L’IMA INV. AC 87-57)
"Abderrahmane Ould-Mohand est né en 1960 à El Harrach, tout près d’Alger, dans une modeste famille kabyle. Premier prix de peinture des Beaux-Arts d’Alger, il adopte dès sa sortie de l’école en 1983, dans la veine du groupe Aouchem, une peinture ouverte à l’univers des signes de sa culture berbère, qu’il se réapproprie dans une optique moderne. Il réalise aussi des collages et se dédie également depuis son arrivée en France à d’autres médiums tels que la photographie, qu’il pratique comme une alternative au travail solitaire et silencieux de l’atelier. (…) Se partageant entre Alger et Paris, Mohand – c’est ainsi qu’il signe désormais – se rapproche des abstraits par son travail sur le signe, ce qui lui vaut d’être coopté au Salon des Réalités Nouvelles en 1992 et 1993."    (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Artiste plasticien et poète, Kamel Yahiaoui (né en 1966) considère l’art comme politique. Il mène une recherche subversive de vérité, au prix d’un travail d’élaboration esthétique long et complexe, rendant l’œuvre signifiante bien au-delà du moment de sa production. Son engagement politique et moral envers son peuple participe sans doute profondément de sa volonté de ne pas être un énième représentant d’un "art savant" destiné à une élite, même s’il est un excellent peintre."        (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"L’art de Zoulikha Bouabdellah (née en 1977) est un moyen non neutre de parler de notre monde, d’en contester certains aspects, de vouloir le transformer. Un art transgressif, dont on retrouve l’intentionnalité dans des œuvres dénonçant des situations longtemps considérées comme normatives, comme la question du genre ou celle de la place faite aux femmes dans l’ordre patriarcal dominant. Ainsi, dans des travaux récents tels que ses derniers assemblages faits à la laque monochrome sur papier, Zoulikha choisit une énonciation "en suspens" et travaille sur le non-dit, comme le suggère "Le Sommeil". (…) Sans avoir abandonné le pan de sa création qui puise dans sa culture musulmane, elle témoigne avec ses dernières créations d’une attention soutenue aux œuvres de l’histoire de l’art européen pour les activer, les faire parler à nouveau, non pas du passé mais du présent, en les regardant à partir d’intentions esthétiques et politiques actuelles."      (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
  "De la vidéo à la performance, du podcast radiophonique à la photographie scénographiée, Halida Boughriet (née en 1980) s’est engagée dans une œuvre (où le corps est omniprésent), au carrefour de préoccupations esthétique, sociale et politique, assemblant et construisant de nouvelles formes d’écriture en mouvement. En prise directe avec l’état du monde, l’artiste porte une attention particulière aux conflits qui le traversent et à leurs incidences, à l’échelle de la société ou de l’individu."    (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)
"Artiste plasticienne, El Meya est née en 1988 à Constantine. En peu de temps après sa première apparition publique, elle a su imposer un regard frontal sur la société algérienne, révélant à sa manière les attentes culturelles d’une nouvelle génération, tout en s’inscrivant dans le continuum de la peinture moderne et contemporaine, pour se confronter à son histoire et déceler les mythes visuels en les prenant au piège de son miroir grossissant. Exagérer le trait, étudier un phénomène social en en montrant les cas-limites, est une stratégie d’artiste efficace, qui pique la curiosité du regard."    (DONATION CLAUDE ET FRANCE LEMAND. MUSEE DE L’IMA)

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