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Décision "courageuse" ou jugement "délirant" ? La relaxe des décrocheurs d'un portrait de Macron fait débat

Lundi, le tribunal de grande instance de Lyon a relaxé deux militants écologistes, qui avaient plaidé "l'état de nécessité" pour justifier leur action de décrocher un portrait d'Emmanuel Macron. Le juge a estimé que ce geste pour protester contre l'inaction climatique supposée du gouvernement était "légitime". Le parquet a fait appel.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Les deux "décrocheurs" Pierre Goinvic et Fanny Delahalle aux côtés de l'ancienne ministre Cécile Duflot, lors de leur procès, le 2 septembre 2019 à Lyon (Rhône). (NICOLAS LIPONNE / NURPHOTO / AFP)

Décrocher un portrait du président de la République et le conserver pour manifester contre la politique climatique du gouvernement est "légitime". En prononçant la relaxe de deux militants écologistes, lundi 16 septembre, le tribunal de grande instance de Lyon (Rhône) a pris une décision inédite, qui a déclenché un flot de réactions contraires. Le parquet, qui avait requis une peine d'amende de 500 euros contre Fanny Delahalle et Pierre Goinvic, a fait appel.

Les attendus du jugement, que vous pouvez consulter en intégralité ci-dessous, ont été particulièrement remarqués. Le juge estime que leur acte, un vol qui a généré "un trouble à l'ordre public très modéré", est "le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple" et que l'utilisation du portrait en manifestation "obéit à un motif légitime".

A l'audience, Thomas Fourrey, l'avocat des prévenus, avait plaidé "l'état de nécessité légitimant un acte délictueux proportionné à l'éloignement d'un danger grave et imminent", le dérèglement climatique. Un argument qui a manifestement convaincu le juge, qui évoque à propos de la dégradation du climat "un fait constant qui affecte gravement l'avenir de l'humanité".

"L'état de nécessité ne tient pas"

Contacté par franceinfo, le parquet de Lyon estime que "juridiquement, l'analyse portée par le tribunal est erronée". "L'infraction est selon nous constituée et nécessite une sanction. L'état de nécessité ne tient pas", défend-on. L'accusation rappelle que cet argument, inventé en 1898 par le juge Paul Magnaud pour relaxer une femme qui avait volé un pain, est rarement plaidé et reconnu dans un dossier environnemental.

L'état de nécessité, nous le voyons le plus souvent dans des affaires où le prévenu a volé pour se nourrir, pour donner de la viande à ses enfants, et parfois pour des excès de vitesse afin de conduire quelqu'un à l'hôpital.

Le parquet de Lyon

à franceinfo

L'ancien magistrat Philippe Bilger, qui se présente comme "réactionnaire", partage le scepticisme du parquet. "Je ne discute pas le fait que parfois l'action judiciaire soit politique dans le sens noble du terme, mais j'ai rarement vu une démonstration aussi ostensible d'une politisation délétère, analyse-t-il auprès de franceinfo. Lorsqu'on a une infraction, un vol en réunion, qu'elle est incontestable et qu'on décide qu'elle n'existe pas, au nom d'un état de nécessité, c'est extravagant, délirant."

"La légitimité du but atténue l'illégalité de l'acte"

Au contraire, l'avocat Sébastien Mabile, qui se présente sur Twitter comme "un défenseur amoureux de la planète", trouve cette décision "bien motivée" et "originale". "Parfois, la justice fait son œuvre en accompagnant les changements de la société plutôt qu'en les freinant", commente-t-il, en dressant un parallèle avec le procès de Bobigny qui avait abouti à la relaxe d'une jeune femme qui avait avorté clandestinement. Plus que l'état de nécessité, lui retient des attendus "la légitimité du but poursuivi qui permet d'atténuer l'illégalité de l'acte"

Le juge judiciaire vit aussi dans la société. Comme vous et moi, il est confronté au dérèglement climatique, à la crainte que ses enfants grandissent dans un environnement qui n'est pas soutenable.

Sébastien Mabile

à franceinfo

Et le spécialiste du droit de l'environnement de reconnaître que le juge s'est aventuré "sur un terrain un peu plus politique que juridique".

Témoin lors du procès, l'ancienne ministre Cécile Duflot, directrice d'Oxfam France, veut aussi croire que ce jugement s'inscrit "dans une longue histoire où ce sont les tribunaux qui, parfois, ont été en avance". Cette décision "est courageuse, a-t-elle insisté sur franceinfo. Ceux qu'elle devrait interroger, ce sont ceux qui sont au pouvoir et qui ne protègent pas les citoyens de ce péril imminent qu'est le dérèglement climatique".

L'ANV-COP21, à laquelle appartenaient les deux militants et qui s'est fait une spécialité de ces décrochages de portrait, espère que la décision fera jurisprudence. Rien n'est moins sûr. Le jugement de Lyon n'est pas définitif et doit encore être examiné par la cour d'appel, voire la Cour de cassation. Dans les autres procès du même genre, la relaxe n'a été prononcée que deux fois, à Lyon donc, et à Strasbourg parce que les prévenus avaient l'accord du maire. A l'inverse, les militants ont écopé d'amendes à Orléans et à Bourg-en-Bresse.

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