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Réseaux sociaux et présidentielle : cinq bonnes raisons d’être prudent

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min - vidéo : 2min
Article rédigé par Anne Brunel
Radio France

À une semaine du premier tour de l'élection présidentielle, le pouvoir d'influence sur l’opinion politique de réseaux sociaux où se développent les manipulations est préoccupant.

Aujourd'hui, les réseaux sociaux constituent la première source d’information pour plus de 40% des jeunes électeurs en France, selon les résultats du baromètre annuel de nos confrères de La Croix (contenu payant). Une partie du scrutin se joue désormais sur ces réseaux et ce sera de plus en plus le cas. Résultat : tous les candidats ont investi ce champ, avec de multiples stratégies pour conquérir toujours plus d'audience. franceinfo donne cinq bonnes raisons de se méfier avant de s'informer sur les réseaux sociaux.

1La popularité des publications est parfois trompeuse

La manipulation de l’opinion commence d'abord avec la "gonflette" des chiffres de popularité des posts, des vidéos, des articles, etc. Le fonctionnement des algorithmes repose notamment sur la popularité, c'est exponentiel : plus vous avez de "like" ou de fans, et plus votre vidéo sera vue, plus votre post sera lu.

Sauf que les chiffres peuvent se révéler bidon et leur déformation est devenue une véritable industrie. Le sociologue Antonio Casilli en explique le fonctionnement : "Des dizaines ou des centaines de personnes cliquent à longueur de journée sur des contenus, des images, des articles pour les partager, et ainsi ajouter de la valeur. Parfois ils ajoutent des commentaires. Ils font le travail des petites mains d'internet."

2Les pages officielles ne sont pas toujours crédibles

Il s’agit d’un type d'action marketing très fréquent pour les supports numériques : des entrepreneurs du numérique montent des plateformes web de micro-travail sur lesquelles des micro-tâches (graphisme, développement web, rédaction de textes) sont proposées contre un micro-paiement. Sur le modèle du site américain Fiverr, s’est montée en France la plateforme 5euros.com.

L’un de ces illusionnistes du net s’engage, sous la marque AchatFans, à ramener des milliers de fans supplémentaires sur les pages de ses clients : "D'une part, je propose d’une part une application de jeu. Pour gagner des points il faut cliquer sur "j’aime", et en réalité les gens cliquent sur le "j’aime" d’une autre page. D’autre part, je crée de faux-profils de fans, je peux en livrer 50 000 par jour", lit-on. Qu’on soit commerçant, sportif, chanteur ou… candidat à la présidentielle, c’est bien souvent de cette façon aujourd’hui qu’on "amorce la pompe" de sa page officielle.

3Les contenus sont parfois manipulés

Le modèle économique des plateformes sociales, qui repose sur la captation de l'attention, encourage indirectement la création de faux contenus aux angles et aux titres accrocheurs. Samuel Laurent, le responsable des Décodeurs du site web du Monde, et fin connaisseur de la stratégie éditoriale sur les supports numériques, rappelle que cette "économie de l’attention" engendre des effets pervers dévastateurs : "Tout ce qui va faire le succès de l'information c'est son partage, donc on va être poussé à mettre des titres racoleurs, c'est ce qu'on appelle le clickbait, autrement dit l'hameçonnage par le clic".

Ces montages d’images, ces titres racoleurs et ces fausses nouvelles sont fabriqués dans ce qu'Antonio Casilli appelle des "usines à contenus". "Ce sont des structures déstructurées, flexibles, atomisées, explique le sociologue. Certaines personnes travaillent une fois par semaine pour écrire un texte en mettant ensemble trois ou quatre morceaux récupérés à droite ou à gauche sur internet, par exemple pour faire de la publicité à une figure politique, ou bien exclusivement pour créer une suite de mots-clefs visant à tricher avec les algorithmes des moteurs de recherche".

4Certaines influences sont (presque) invisibles

L’économie de l’attention, à l’origine du succès de réseaux sociaux, est également mise à profit dans un dessein idéologique. L’agence de communication ReputationSquad vient de produire une étude sur les sources d’informations les plus populaires sur les réseaux sociaux. Elle a identifié les publications des médias français en ligne les plus "likées" sur Facebook.

Surprise : en septième place, arrive RussiaToday- France et peu après, SputnikNews, soit deux médias russes (dont rien n'indique qu'ils sont Russes) qui ont été dénoncés comme organe de propagande par le Parlement européen. Le data scientist Maixent Chenebaux, auteur de l’étude de ReputationSquad, en est encore sonné : "RussiaToday arrive devant Mediapart, Le Point et Libération. Leur stratégie consiste à publier beaucoup de statuts qui ne récoltent pas forcément beaucoup de 'like', mais ils inondent le réseau de nouveaux statuts." 

Pour Tristan Mendès-France, expert en stratégie des médias sociaux et enseignant au Celsa, cela révèle le caractère éminemment important des réseaux en matière politique : "L’écosystème des réseaux sociaux est en train de rebattre les cartes de l’influence au niveau planétaire. De nouveaux acteurs viennent concurrencer nos propres médias et nos narrations nationales !" Le caractère propagandiste de ces deux médias n'est évidemment pas affiché sur leurs comptes et profils. Et peu de lecteurs de ces publications savent qu’il s’agit d’un média russe. Sans toujours en discerner l’origine, le public français de Facebook et de YouTube, peut donc se retrouver sous influence. 

5Le risque de l'enfermement dans une bulle de pensée n'est jamais loin

L’ultime travers des réseaux sociaux est leur étanchéité : on ne parle qu'à des gens qui partagent peu ou prou les mêmes valeurs. À tel point que l'on pourrait croire que la foison d'informations qui défile sous nos yeux va favoriser le débat. En réalité, il le cloisonne et cela risque de rendre le débat impossible. "Si vous vous informez via votre réseau social, vous ne lisez que des nouvelles partagées par des gens qui ont une tonalité idéologique et politique pas loin de la vôtre, pressent Tristan Mendès-France. Cela enferme les communautés et radicalise les opinions. Comment Fillon peut-il parler aux électeurs de gauche ? Il ne peut pas !"

►► Enquête Secrets d'Info à lire et écouter en cliquant ici.

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