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Particules fines : va-t-on vers un nouveau scandale sanitaire ?

Une nouvelle étude sur les particules fines menée à Paris confirme la mauvaise qualité de l'air dans la capitale. Francetv info a interrogé le docteur Thomas Tarjus, médecin généraliste à Paris et signataire en 2013 d'un texte d'alerte sur le sujet.  

Article rédigé par Tatiana Lissitzky - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
L'arc de Triomphe vu de l'esplanade de la Défense, lors du pic de pollution du 27 mars 2014 à Paris. (CHARLES PLATIAU / REUTERS)

L'air de Paris un jour de pic de pollution peut être comparé à celui une pièce occupée par huit fumeurs. C'est la conclusion choc de l’étude menée par le CNRS et Airparif, publiée lundi 24 novembre, qui met en garde contre les effets délétères des particules très finesUne information d'autant plus troublante que ce type de particules fines n'avait jamais été mesuré jusqu'à présent et ne fait à ce jour l'objet d'aucune réglementation.

A l’origine de ces poussières très nocives pour la santé : le chauffage au bois, la pollution industrielle, mais aussi le diesel, dont les méfaits ont notamment été mis en lumière par une enquête de "Cash Investigation". En février 2013, un collectif de médecins parisiens a signé un appel pour sommer les pouvoirs publics d’agir. Alors que les pics de pollution aux particules sont plus que jamais d'actualité, francetv info a interrogé Thomas Tarjus, l’un des signataires, sur la situation actuelle.

Francetv info : D’après l’étude du CNRS, respirer à Paris est comparable au tabagisme passif. Cette conclusion vous étonne ? 

Thomas Tarjus : Pas du tout. L’appel que nous avions lancé en 2013 venait à la suite de la publication des données inquiétantes du projet européen Aphekom et de l’Institut de veille sanitaire.

Cette nouvelle étude vient confirmer ce que l’on savait déjà. Elle complète les mesures réalisées par Airparif sur les particules de 10 micromètres (PM10) et de 2,5 micromètres (PM2,5). Des mesures déjà régulièrement publiées et prises en compte par les scientifiques ou par les autorités, par exemple lors du dernier pic de pollution, lorsqu’il a été décidé d’instaurer la circulation alternée.

L’appareil laser mis au point par le CNRS et placé sur le Ballon de Paris a permis, pour la première fois, de mesurer en continu les nanoparticules présentes dans l’air. Ces nanoparticules sont-elles plus ou moins dangereuses que les autres particules fines ?

Les nanoparticules sont plus dangereuses, car elles sont plus petites et vont plus loin dans le corps. Les PM10 et les PM2,5 s’arrêtent à la bouche et au larynx, ou encore au début des bronches. Les nanoparticules, elles, vont jusqu’au bout de l’hépithélium, entrent dans la paroi des poumons et passent dans le sang. Ce sont donc plutôt ces nanoparticules qui sont à l’origine des cancers, des problèmes d’asthme, des maladies respiratoires chroniques, mais aussi des pathologies cardiovasculaires ou neurologiques. Par ailleurs, l’année dernière, l’OMS a reconnu spécifiquement les nanoparticules comme cancérigènes.

Vous soulignez que le problème est connu depuis longtemps, mais du point de vue du grand public, les informations sur ce sujet semblent toujours plus alarmantes… 

Même si nous n’allons pas assez vite, des mesures ont été prises dans le bon sens. Il ne faut pas oublier que la pollution a diminué malgré tout, depuis trente ans. La situation reste grave, mais elle est moins catastrophique qu’avant.

Il y a une réelle prise en compte du problème grâce aux nombreuses études épidémiologiques, scientifiques, médicales et cliniques qui vont toutes dans le même sens. La médiatisation de cette étude le montre, les Français sont de plus en plus exigeants et la qualité de l’air est devenue l’une de leurs premières préoccupations. 

Pourtant, on estime qu'un Parisien de 30 ans voit son espérance de vie réduite de 6 à 8 mois à cause de la pollution…

C’est une réalité, l'espérance de vie de ceux qui habitent dans les plus grandes villes de France diminue à cause de la pollution. De la même façon, de nombreuses études montrent clairement la corrélation entre baisse de la pollution et diminution des prises en charge médicales, des consultations et même des décès. C’est le cas notamment de l’étude d’Atlanta lors des JO de 1996, pendant lesquels un plan de réduction du trafic routier et des aménagements avaient été mis en place et où la conséquence immédiate avait été une diminution des hospitalisations et des décès.

En tant que médecin généraliste, soignez-vous au quotidien beaucoup d’affections liées à la pollution ?

Lors des pics de pollution, les patients viennent surtout consulter pour de l’asthme ou des allergies. SOS médecins et les services d’urgences, en regroupant leurs chiffres, ont constaté une augmentation des crises d’asthme ainsi que des infarctus lors de ces pics.

Les sportifs, coureurs ou cyclistes, viennent régulièrement me voir pour des problèmes de toux persistantes ou des difficultés à respirer. Lorsque l’air est particulièrement pollué, je leur déconseille de faire du sport. L’analogie avec le tabagisme passif, même si elle est caricaturale, devient tout à fait valable : si vous passez trop de temps dans une pièce enfumée, vous tousserez de la même façon que dans un air pollué. 

Les maladies les plus évidentes liées à la pollution sont toutes les pathologies respiratoires : toux, irritations, mal de gorge, crise d’asthme, insuffisance respiratoire ou encore, à long terme, cancer du poumon. Mais la pollution peut aussi entraîner des pathologies cardiovasculaires – infarctus, accidents vasculaires cérébraux (AVC) – ou encore des grossesses plus compliquées, avec des problèmes sur les fœtus. Enfin, la pollution peut être à l’origine de problèmes neurologiques.

Quelle partie de la population est la plus concernée par les affections liées à la pollution aux particules fines ?

Les personnes sensibles, celles qui ont les poumons les plus fragiles, sont en première ligne. C’est-à-dire les personnes âgées, les personnes souffrant de maladies respiratoires ou cardiaques et les jeunes enfants. Mais en réalité, tout le monde est touché par le problème. Dans l’agglomération parisienne surtout, mais aussi dans d’autres grandes villes de France. 

Les personnes les plus exposées sont celles qui vivent près des grands axes dans Paris ou la proche banlieue. Malheureusement, de très nombreuses personnes habitent près de ces zones, où le trafic routier est très dense et où il y a parfois des usines qui rejettent aussi des polluants et des particules fines. C'est aussi une forme d'injustice sociale. Des études ont montré qu'une personne vivant à proximité directe du périphérique avait plus de risques de développer une maladie liée à la pollution qu’un Parisien habitant dans le centre de la capitale.

Comment peut-on se prémunir de ces dangers ?

On ne le peut pas. Nous subissons la pollution partout et tout le temps. Les seules recommandations émises par les épidémiologistes et les chercheurs se résument à "restez chez vous pendant les pics de pollution". Ce n'est pas satisfaisant. 

Parfois, je suis obligé de dire à certaines personnes fragiles de quitter Paris pendant les pics de pollution et de partir en vacances à la montagne ou à la mer. Ce que nous conseillons faute de mieux, c’est de s’éloigner des grands axes lors de ces pics, de ne pas faire d’activités physiques et de rester chez soi en aérant au moment où il y a le moins de circulation.  

En début de semaine, dans Le Parisien (article payant), l’élue EELV Aline Archimbaud comparait la pollution aux particules fines au scandale de l’amiante… La comparaison est-elle pertinente ?

Cette comparaison a un sens, mais la pollution tue plus que l’amiante. L’amiante, c’est entre 50 000 et 100 000 décès estimés au total, alors que la pollution serait la cause de 50 000 morts par an. En comparaison, la pollution fait plus de dix fois plus de victimes que les accidents de la route (3 250 morts en 2013).

Concernant l’amiante, différents enjeux sont entrés en ligne de compte, notamment des enjeux économiques.

Aline Archimbaud souligne que pour des raisons économiques, il y a eu des blocages concernant la législation sur l’amiante et que l’on a privilégié l’aspect économique à la santé. Est-ce que l'on tarde aujourd'hui à agir sur la pollution aux particules pour les mêmes raisons ?

Le diesel est l’une des premières sources de nanoparticules sur lesquelles on peut agir facilement. Donc, bien sûr qu’il y a des enjeux économiques derrière. Nous avons une industrie automobile puissante, avec de l’argent et des emplois en jeu. La France a fait le choix, il y a longtemps, de favoriser le diesel, pourtant reconnu comme nocif par l’OMS dès 1988. Il est maintenant compliqué de revenir en arrière.

D'un point de vue sanitaire, il est nécessaire d’aller vers une diminution voire un arrêt du diesel, et plus largement de réduire la place de la voiture dans les grandes villes. Le chauffage et les industries émettent aussi des nanoparticules. Tous ces polluants doivent être mieux réglementés, avec des sanctions à la clé.

Comme le rapporte Europe 1, la mairie de Paris semble déterminée à agir. Elle a annoncé, dès lundi, que des mesures restreignant l'accès à la capitale des véhicules les plus polluants seraient mises en place en 2015. Est-ce suffisant selon vous ?

C’est en tout cas un bon signal, la municipalité prend la mesure du problème. Attendons de voir concrètement le plan d’action, lorsqu’il sera dévoilé début 2015. 

Tout le monde doit faire des efforts, pas seulement les responsables politiques. C’est à chacun de changer ses habitudes, de moins prendre la voiture… Nous ne pouvons pas nous contenter de nous plaindre, il faut aussi participer au changement.  

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