Enquête : Réserve des Hauts-de-Chartreuse, les sentiers de la discorde ?

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Durée de la vidéo : 4 min
Oeil du 20h, le sentier de la discorde
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
La réserve naturelle des hauts de Chartreuse, prisée pour ses falaises percées. Des curiosités géologiques situées sur la propriété privée du marquis Bruno de Quinsonnas : au grand dam des randonneurs. Ces derniers regrettent que cet espace leur soit confisqué, disent-ils, au profit d’un business de chasse privé. L’Oeil du 20H a mené l’enquête.

C’est la plus grande arche naturelle des Alpes, surnommée la Tour Percée. Elle offre un point de vue imprenable sur les montagnes. Ce décor exceptionnel, dans lequel les randonneurs aiment se prendre en photo, a fait la popularité de ce site, situé au cœur d’une propriété privée.

Lionel Tassan est randonneur et alpiniste à ses heures perdues. Il vient souvent randonner dans la réserve. Par le passé, il a pu faire l’ascension jusqu’à la fameuse Tour Percée.

Il nous emmène au pied de la barrière calcaire des Hauts-de-Chartreuse. C'est de là désormais qu'il peut admirer, de très loin, la Tour Percée. L’accès est interdit. Cela lui déplait, mais c’est bien légal. 

Est-ce que ca paraît légitime aux yeux de tout le monde qu'une merveille comme la Tour Percée soit privée, conservée par une seule personne ? Est-ce qu’elle lui appartient réellement ? La nature a mis des milliers d’années à la façonner...

Lionel Tassan, alpiniste et randonneur

Jusqu’en février dernier, le passage sur la parcelle privée pouvait être toléré, si aucune délimitation n’indiquait au promeneur une interdiction d’y entrer. 

Depuis, une nouvelle loi renforce les droits des propriétaires : à partir du moment où l’interdiction est matérialisée, les contrevenants s’exposent à une amende de 4ème classe, pouvant aller jusqu’à 750€.

Des chasses commerciales déguisées ?

Sur les sentiers forestiers, des panneaux de signalisations ont été installés le long de la propriété ces dernières semaines. Selon Lionel Tassan, ce serait une manière pour le propriétaire de faire chasse gardée pour quelques privilégiés. “L’intérêt, ici, c’est de faire venir des gens de loin pour chasser, en leur disant qu'ils vont pouvoir le faire dans une nature sauvage comme à l’autre bout du monde... " avance-t-il.

En somme, ce serait un argument commercial pour vendre des safaris de chasse. Il s’agirait d’expéditions vendues aux touristes étrangers notamment, pour chasser le chamois de Chartreuse. Des dizaines de sites le proposent, à des tarifs allant jusqu’à 15 000 dollars pour un week-end.

C’est ce qu’affirme avoir déboursé un italien que nous avons contacté, membre du Safari Club International. Il assure avoir abattu un chamois sur les terres du marquis, encadré par le gestionnaire de la société de chasse locataire du terrain.

Nous avons pu identifier cette personne dans plusieurs vidéos où des touristes étrangers se mettent en scène pendant leur séjour de chasse. A chaque fois, il y est présenté comme un "guide". Dans une vidéo datée de février 2021, il accompagne et donne des conseils à des influenceurs espagnols pour traquer un chamois.

Si la chasse professionnelle est autorisée dans la réserve naturelle pour faire de la régulation, un décret interdit en revanche toute activité commerciale, sauf dérogation. Y’a-t-il eu une autorisation spéciale du préfet ? Nous avons posé la question à la préfecture et au propriétaire Bruno de Quinsonnas. Aucun n’a souhaité nous répondre, malgré nos relances.

Le gestionnaire de chasse, contacté par téléphone, dément avoir organisé ce type d’activité.

“Sur la propriété, il y a des chasseurs locaux adhérents, et aussi des chasseurs extérieurs, que j’invite pour chasser. Les espagnols dont vous parlez sur la vidéo, sont deux amis à moi.”

Le gestionnaire de la société de chasse, locataire du terrain du marquis Bruno de Quinsonnas

Selon nos informations, il ne disposerait d’aucun diplôme permettant d’encadrer ce type d’activités contre rémunération. Une plainte a été déposée par le syndicat des guides de haute montagne pour exercice illégal d’activités et mise en danger de la vie d’autrui. Le parquet de Grenoble a ouvert une enquête.

Loin d’être terminée, la querelle entre les randonneurs et le marquis se poursuit. Les premiers réclament dans une pétition la restitution du site au public. Le second défend son droit à la propriété privée.

Pour le député EELV Jérémie Iordanoff, il faut de toute urgence changer la législation et créer un "droit d'accès à la nature, sur le même modèle que les pays scandinaves" explique-t-il.

En l’espèce, il nous semble que le droit n’est pas adapté puisqu’il ne résout pas les conflits d’usage et il risque de priver - si on va jusqu'au bout de la logique - l’ensemble des citoyens de peut-être 70 ou 80% des espaces naturels situés dans des propriétés privées... Et on ne peut pas priver de droits les Français d’aller se balader dans la nature.

Jérémie Iordanoff, député EELV de l'Isère

Pour tenter d’apaiser les tensions, une négociation serait en cours entre le propriétaire et le Parc Naturel régional. Certains sentiers labellisés qui parcourent la propriété pourraient prochainement faire l’objet d’un droit de passage.

Parmi nos sources

LOI n° 2023-54 du 2 LOI n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée (1) Lire particulièrement l'article 8

Liste non exhaustive

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