"On avait des rêves" : au procès Rançon, Mokhtaria Chaïb revit à travers le témoignage de sa meilleure amie
Au sixième jour du procès de Jacques Rançon, la cour s'est penchée sur l'assassinat de cette jeune femme de 19 ans, tuée alors qu'elle commençait sa vie de femme.
C'est l'histoire d'une amitié de lycée. Qui commence avec des confidences, des fêtes, des galères de famille et des projets professionnels. Deux jeunes femmes à peine sorties de l'adolescence, mais déjà confrontées à des préoccupations d'adultes. "On avait un avenir ensemble, des rêves, on était à rien d'y arriver, à pas grand-chose, jusqu'au jour où…"
Sabine s'interrompt devant la cour d'assises des Pyrénées-Orientales, mardi 13 mars. Vingt ans plus tôt, le 20 décembre 1997, sa meilleure amie a été retrouvée sur un terrain vague de Perpignan, assassinée et mutilée.
Ma meilleure amie est devenue l'affaire Mokhtaria Chaïb.
Sabinedevant la cour d'assises des Pyrénées-Orientales
"Mokhta", comme elle l'appelait, est devenue l'un des noms des disparues de la gare de Perpignan, une affaire pour laquelle Jacques Rançon est jugé depuis six jours. La jeune femme de 19 ans a croisé la route du quadragénaire alors qu'elle rentrait dans sa petite chambre universitaire. "Elle adorait dire 'je rentre chez moi'", témoigne son amie, qui raconte ses efforts pour s'émanciper de sa famille et d'un père qui voulait la marier en Algérie.
"Enfant rejetée par son père"
Une enquêtrice de personnalité confirme un peu plus tard à la barre l'enfance difficile de la victime, ballottée de foyer en foyer après la mort de sa mère quand elle avait 2 ans. "Enfant rejetée par son père", dit "une phrase notée au crayon de mine" sur une "feuille volante" d'un rapport de l'Aide sociale à l'enfance. Le week-end, Mokhtaria sert d'aide ménagère à la maison, s'occupe de ses demi-frères et sœurs. C'est une enfant "triste", "mal habillée".
A l'adolescence, Mokhtaria Chaïb reprend le dessus, rompt avec sa famille et trouve refuge dans celle de sa meilleure amie. Bac en poche, elle s'inscrit en fac de sociologie. "Mokhtaria a mené un combat toute sa vie, celui de devenir une femme responsable et épanouie", souligne l'enquêtrice de personnalité.
Elle est morte l'année de sa renaissance, au début de sa vie.
L'enquêtrice de personnalitédevant la cour d'assises des Pyrénées-Orientales
Comme le souligne l'avocat général, c'est précisément cette indépendance, durement acquise, qui l'a conduite à s'aventurer cette nuit-là dans les rues de Perpignan, pour rentrer dans son chez-elle. Les images de la reconstitution du crime, diffusées à l'audience, suggèrent la suite. Jacques Rançon tombe sur cette belle jeune femme, l'entraîne sur un terrain vague sous la menace d'un couteau, tente de la violer et la poignarde douze fois. Il découpe ensuite ses seins et ses organes génitaux, qu'il emporte dans un "sac plastique", comme des "trophées", selon les experts psy.
"Mokhtaria ne vous a jamais appartenu"
"Mokhtaria ne vous a jamais appartenu, car elle nous appartient à nous", lance Sabine à l'accusé dans le box, lui enjoignant de la regarder. Jacques Rançon, le nez vers ses chaussures depuis le début de la journée, lève les yeux. "J'ai pensé 17 ans à vous [Jacques Rançon a été confondu par son ADN en 2014]. Je vous ai cherché car vous avez créé de la haine en nous, de la peur, de la douleur. Aujourd'hui, je pense que vous êtes à votre place", poursuit-elle calmement.
Sur les écrans de la salle d'audience apparaît le joli visage de son amie, filmée lors d'une fête. Mokhtaria, longs cheveux bruns frisés, a 18 ans et demi et fait le pitre devant la caméra. La vie s'engouffre dans la cour d'assises, faisant oublier pour quelques instants les photos de son corps supplicié projetées aux jurés dans la matinée et les rapports des médecins légistes. Mercredi, la cour tentera de faire revivre à son tour la seconde victime de Jacques Rançon, Marie-Hélène Gonzalez.
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