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Le hurlement de Sabrina, survivante de Jacques Rançon, glace la cour d'assises de Perpignan

La jeune femme, qui a échappé à la mort en mars 1998, a littéralement revécu son agression à la barre avant de s'effondrer.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Jacques Rançon, dans le box de la cour d'assises de Perpignan, le 5 mars 2018.  (MAXPPP)

"Il a sorti son couteau déjà ouvert, assez grand avec un manche marron. Il m'a donné un coup sous la poitrine, j'ai entendu la perforation et j'ai fait 'aahh'." Sabrina témoigne depuis plusieurs minutes à la barre de la cour d'assises des Pyrénées-Orientales, jeudi 15 mars. Son récit était très attendu. Cette femme est une survivante. Elle a échappé à la mort, il y a 20 ans. C'était le 9 mars 1998. Ce soir-là, Jacques Rançon l'a violemment agressée à Perpignan, trois mois après avoir tué et mutilé Mokhtaria Chaïb, âgée de 19 ans, comme elle. Le sexagénaire, mutique dans son box, est jugé depuis huit jours pour ce qui est devenu "l'affaire des disparues de la gare de Perpignan"

Sabrina, qui a assisté depuis huit jours à tous les débats et aux récits particulièrement difficiles des faits commis sur les autres femmes, commence par raconter comment Jacques Rançon l'a abordée alors qu'elle attendait son petit ami au pied de son immeuble. L'homme, qui fête ses 38 ans ce jour-là, lui semble alcoolisé. "Il me dit qu'il a bu du champagne avec ses collègues au marché Saint-Charles, qu'il habite au dernier étage de l'immeuble", explique-t-elle avec un débit rapide, les deux mains accrochées à la barre. Très vite, elle perçoit ses intentions sexuelles.

Il me fixait d'un regard sadique, un regard noir. C'est comme s'il me faisait l'amour sur place, il me parlait en expirant.

Sabrina

devant la cour d'assises de Perpignan

La jeune femme, chignon haut, mime le halètement de Jacques Rançon, "comme un asthmatique". Sabrina ne raconte pas la scène. Elle la revit. Sur le moment, elle se dit intérieurement : "Sabrina, dévisage-le, n'oublie pas ce visage, il est le mal incarné." Elle se revoit, figée, incapable de se retourner, de peur de le voir dans son dos. Sa voix se brise, elle hoquette. Jacques Rançon fait semblant de tomber, elle l'aide à se relever puis se dirige avec lui sous le porche, vers les sonnettes de l'immeuble. Devant son hésitation, elle tourne la tête pour prendre sa clé dans son sac. Une seconde plus tard, elle est transpercée. "Il a trouvé une satisfaction à me pénétrer avec le couteau."

De longues années de terreur

La cour d'assises est avec elle, sous ce porche mal éclairé. "Je cours, j'ai hurlé, hurlé, je suis tombée au sol. Il m'a enjambée, j'ai hurlé le plus fort possible, j'ai appelé, appelé, je me voyais mourir, il m'a éventrée de bas en haut, il a mis sa main sur ma bouche, je n'ai même pas senti la douleur", débite-t-elle, comme ébahie.  

Je commençais à partir, je mourais, je partais, je partais.

Sabrina

devant la cour d'assises de Perpignan

"Une dame est venue me sauver la vie." S'ensuivent plusieurs jours de coma, puis de longues années de terreur, passées à chercher son agresseur dans la rue, à faire en sorte de ne pas oublier ce visage. Sabrina déménage, rencontre son mari en 2003, donne naissance à quatre enfants. Mais son histoire la poursuit, symbolisée par une cicatrice de 32 cm sur le ventre.

"A chaque fois que mon ventre commençait à grossir, j'avais peur que ma cicatrice s'ouvre, pouf, à chaque grossesse. Quand je regarde ma cicatrice, c'est lui que je vois." Elle interdit à ses enfants de jouer à cache-cache dans la maison car "ils [la] surprennent, ils [lui] font peur". Elle fait des crises de paranoïa, se montre "agressive, nerveuse" avec son époux. Surtout, elle se sent "abandonnée par la justice", qui n'a jamais fait le lien entre son agression et le meurtre de Mokhtaria Chaïb, jusqu'à l'arrestation de Jacques Rançon en octobre 2004. Elle reconnaît alors son image diffusée par les médias.

J'étais assise sur le canapé, son visage apparaît. J'ai eu un flash, j'ai eu peur, même à travers la télé, je me suis dit : 'C'est lui'.

Sabrina

devant la cour d'assises de Perpignan

"L'animal, c'était Rançon"

Cette peur que lui inspire toujours l'accusé, elle l'éprouve de nouveau à la barre. Sabrina est prise d'un rire nerveux, incontrôlable, qui se transforme en un long hurlement profond et glaçant. Les agents de la protection civile, au premier rang, se précipitent vers elle pour la soutenir alors qu'elle est sur le point de défaillir. Des cris de douleur montent depuis les bancs du public, où sa famille est assise, et des bancs des parties civiles. "Fils de pute", hurle le frère de Mokhtaria Chaïb en direction de Jacques Rançon, toujours tête baissée. L'audience est suspendue.

"Quand elle a été agressée, elle a poussé des cris bestiaux comme un animal qu'on est en train d'égorger. Mais l'animal, c'était Rançon", souligne, en marge de l'audience, l'avocat des parties civiles, Etienne Nicolau. Et d'ajouter : "Aujourd'hui, il faut qu'elle entame un travail thérapeutique sinon elle ne s'en sortira pas." La jeune femme n'a jamais été prise en charge. De retour dans la salle, Sabrina a repris place sur le banc des parties civiles et fixe Jacques Rançon. Dans le box, celui-ci murmure ne pas se souvenir de lui avoir donné des coups de couteau. Juste de "l'avoir draguée", avant de s'enfuir en courant. Trois mois plus tard, il tuait Marie-Hélène Gonzales.

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