Retraites complémentaires de l'Agirc-Arrco : on vous explique le bras de fer entre le gouvernement et les partenaires sociaux
Le gouvernement et les partenaires sociaux se divisent de nouveau sur les retraites. Cette fois-ci, ce n'est pas sur le recul de l'âge légal de départ que les débats portent, mais sur les caisses complémentaires de l'Agirc-Arrco, qui concernent les salariés du privé. Les syndicats et le patronat s'opposent au versement d'une partie des excédents de cette caisse au régime général de retraites, comme l'a souhaité le gouvernement, qui a menacé de les contraindre. Alors que se poursuit, lundi 16 octobre, l'examen des textes budgétaires à l'Assemblée nationale, au terme duquel cette question sera tranchée, franceinfo décortique cette bataille à plusieurs milliards d'euros.
Le gouvernement veut équilibrer le système via les excédents de l'Agirc-Arrco
Schématiquement, il y a deux composantes pour les pensions de retraite : les retraites de base et les retraites complémentaires. Dans le secteur privé, les retraites complémentaires sont regroupées dans le régime Agirc-Arrco. Il est géré par les partenaires sociaux, de manière paritaire, c'est-à-dire par les syndicats et le patronat. Ce sont les caisses de ce régime que le gouvernement lorgne aujourd'hui. En effet, l'Agirc-Arrco se targue de disposer d'une trésorerie confortable, avec "68 milliards d'euros de réserves et 0 euro de dette". Il a encore réalisé 5,1 milliards d'euros d'excédents en 2022, et verse, chaque année, environ 87 milliards d'euros à quelque 13 millions de salariés du privé.
Le régime général, lui, est dans une moins bonne situation : le Conseil d'orientation des retraites (COR) anticipe un système toujours déficitaire en 2030, malgré la réforme des retraites actée cette année. Le gouvernement a en outre annoncé fin septembre que une hausse de 5,2% des pensions de retraite au 1er janvier 2024, pour un coût de 14 milliards d'euros pour les finances de l'Etat.
C'est donc pour aider le régime général que le gouvernement a demandé en septembre aux syndicats et au patronat de reverser une partie des excédents de l'Agirc-Arrco. "Quand un régime de retraite, et en l'occurrence le régime complémentaire, génère des excédents et qu'une partie de ses excédents est intrinsèquement liée à la réforme mise en place, nous considérons comme normal qu'il y ait une participation à l'équilibre général du système de retraite", a défendu Olivier Dussopt, ministre du Travail, fin septembre, devant des journalistes. Le gouvernement explique en effet que l'Agirc-Arcco a bénéficié de nouvelles recettes apportées par la réforme des retraites, estimées à 22 milliards d'euros sur 15 ans.
Les syndicats veulent utiliser l'argent pour des mesures d'accompagnement
L'initiative du gouvernement est intervenue alors que les partenaires sociaux étaient autour de la table pour négocier un accord sur la gestion de l'Agirc-Arrco sur la période 2023-2026. Ils ont décidé de refuser unanimement cette demande de l'exécutif. "Les excédents éventuels proviennent intégralement des cotisations des salariés et des entreprises, et même s'il est vrai que la réforme des retraites en est mécaniquement à l'origine en raison du recul de l'âge légal de départ (...), il ne serait en aucun cas admissible que le gouvernement détourne ces sommes pour financer des dépenses qui lui reviennent", a balayé la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
"C'est l'argent des salariés du secteur privé, dédié à leurs retraites complémentaires, géré par les organisations syndicales et patronales, donc l'Etat n'a pas son mot à dire sur cette partie", a aussi rejeté sur France 2 la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, début octobre.
L'accord conclu entre les syndicats et le patronat pour 2023-2026 prévoit par ailleurs une hausse des pensions complémentaires de 4,9% au 1er novembre. C'est notamment pour financer cette augmentation que l'Agirc-Arrco refuse de se voir ponctionner une partie de ses réserves pour le régime général.
De plus, l'accord comprend la suppression d'ici au printemps 2024 d'un malus de 10% qui avait été mis en place pour inciter les salariés à rester plus longtemps au travail avant de faire valoir leurs droits à la retraite. Autrement dit, aux yeux des partenaires sociaux, l'Agirc-Arrco aura besoin de sa copieuse réserve dans les prochaines années pour ne pas se retrouver dans le rouge avec ces dépenses accrues.
Le gouvernement menace de passer en force
De son côté, le gouvernement a accentué la pression et reproché aux partenaires sociaux d'avoir engagé des "dépenses nouvelles" qui mettent "en péril l'équilibre de la réforme" des retraites, selon les mots du ministre du Travail, Olivier Dussopt. "Nous avons fait confiance au dialogue social et aujourd'hui, nous regrettons que les partenaires sociaux n'aient pas pris en compte cette nécessaire responsabilité pour nos finances publiques", a lancé le ministre devant l'Assemblée nationale, en début de semaine dernière.
"Cet accord déséquilibre les comptes publics pour un milliard d'euros, ce à quoi nous allons devoir répondre."
Olivier Dussopt, ministre du Travailà l'Assemblée nationale
Lors du compte rendu du Conseil des ministres, mercredi, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a également dénoncé le choix des partenaires sociaux d'utiliser les excédents issus de la réforme des retraites "pour dépenser davantage d'argent pour augmenter le niveau des retraites complémentaires des cadres", au risque de "pénaliser le financement de nos écoles, de nos hôpitaux, de nos services publics". Au détail près, comme le précisent Les Echos, que le régime de l'Agirc-Arrco ne concerne pas uniquement les cadres, mais tous les salariés du privé.
Le gouvernement a donc affiché sa volonté de reprendre la main et prélever entre un et trois milliards d'euros par an dans les caisses de l'Agirc-Arrco. Pour cela, le ministère du Travail a d'abord émis l'hypothèse de ponctionner la trésorerie de ce régime complémentaire via un amendement, lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.
L'opposition met son veto
Dans ce bras de fer entre gouvernement et syndicats, l'opposition a choisi son camp. "Ne laissons pas le gouvernement piller les retraites complémentaires", a lancé dès le 5 octobre Marine Le Pen dans une tribune publiée par Le Figaro. A l'Assemblée nationale, mardi dernier, la gauche, le Rassemblement national et Les Républicains ont demandé à Olivier Dussopt, d'"abandonner" ce projet de ponction qui fait "l'unanimité contre lui". "Ces excédents n'appartiennent pas ni à l'Etat, ni aux syndicats, ni au patronat. Ces excédents, c'est l'argent des salariés qui ont cotisé toute leur vie", a tonné le député LR Nicolas Ray.
"Toucher aux réserves de l'Agirc-Arrco sans l'accord des partenaires sociaux, ce serait la fin du paritarisme !"
Nicolas Ray, député Les Républicainsà l'Assemblée nationale
La députée RN Mathilde Paris a dénoncé une "scandaleuse tentative de hold-up du pécule de l'Agirc-Arrco". Et le communiste Pierre Dharréville a reproché au gouvernement sa "fâcheuse tendance de croire que ce qui est à d'autres lui appartient : il pioche dans les caisses sociales par des lettres de cachet".
Cette coalition des oppositions fait souffler un vent de panique du côté de la Première ministre Elisabeth Borne. "A Matignon, ils sont tétanisés", a confié à Politico un conseiller de l'exécutif, car "ils sont persuadés qu'elle va tomber sur cette disposition". Pour l'instant, LR n'a pas annoncé son intention de déposer une motion de censure en cas de passage en force du gouvernement lors de l'examen des textes budgétaires, mais l'exécutif a appris, grâce à la réforme des retraites, à se méfier de la droite parlementaire.
Elisabeth Borne évacue finalement toute ponction du régime complémentaire
Est-ce la perspective de la conférence sociale sur les bas salaires, lundi, qui a poussé le gouvernement à esquisser un recul ? Dimanche, la Première ministre s'est exprimée sur ce bras de fer entre exécutif et partenaires sociaux. Et à la question de savoir si le gouvernement comptait toujours prélever entre 1 et 3 milliards d'euros dans les caisses de l'Agirc-Arrco, Elisabeth Borne a répondu par la négative : "Il n'a jamais été question de les ponctionner", a-t-elle assuré à La Tribune dimanche. "Il n'y a plus de ponction Agirc-Arrco", a renchéri le président des députés Renaissance sur France 3.
"Le milliard d'euros sera affecté pour revaloriser les pensions des cadres. (...) Il nous faudra trouver un milliard supplémentaire dans le budget de l'année prochaine pour financer les minimums contributifs", a regretté Sylvain Maillard, alors que l'examen des textes budgétaires se poursuit jusqu'à mi-novembre.
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