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Reportage "La prochaine crise sociale viendra du logement" : dans l'Oise, la colère montante des demandeurs de HLM

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Un panneau indique l'entrée de Pont-Sainte-Maxence (Oise), le 1er février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Face à l'envolée de l'immobilier, les files d'attente pour les logements sociaux s'allongent en France. Aux portes de la région parisienne, élus et bailleurs constatent une "électrisation" des comportements.

C'est comme si le froid l'avait poursuivie depuis chez elle. Enserrée par son épais manteau, son écharpe et son bonnet, Kaïna* s'assoit face à la table. En ce début d'après-midi, le soleil d'hiver éblouit ses paupières dorées. Ses yeux sont fatigués, son regard suppliant. C'est une enseignante "à bout" qui se présente devant Monique Martin, lundi 31 janvier, lors de sa permanence d'adjointe municipale à Pont-Sainte-Maxence (Oise).

"Je loue un petit 45 m2 dans le privé, expose Kaïna. Mon fils de 15 ans a une chambre minuscule, je dors dans le salon et cela devient compliqué entre nous. Je n'ai pas de place pour préparer mes cours ; mon ado menace de tout bazarder s'il doit faire ses devoirs dans ces conditions. A cela s'ajoutent le bruit et le froid. On est couverts comme des oignons. J'en ai les mains bleuies. Je n'en peux plus."

Faute de pouvoir devenir propriétaire ou de trouver une location décente et abordable, cette habitante de 49 ans vient placer son "dernier espoir" entre les mains de l'élue en charge des logements sociaux.

"Il va vous falloir un T3 ?

– C'est ça, madame. Vous avez des offres en ce moment ?

 C'est creux. Mais dès que j'en ai un, je vous positionne dessus."

Kaïna attendra peut-être des mois. Certaines familles patientent des années. Bienvenue au pays des 2,2 millions de ménages demandeurs d'un logement social. Devise nationale : patience, espoir et, désormais, colère. Une colère encore peu audible, qui pourrait recevoir un écho dans la campagne présidentielle. Mais les candidats n'en ont pas fait un sujet majeur, bien qu'un Français sur deux vit ou a vécu en HLM.

Moins de logements libres, plus de demandes

A Pont-Sainte-Maxence, le logement social s'élève sur trois ou quatre étages en moyenne. Ambiance petite ville, vieilles ruelles, quartiers plutôt tranquilles et bientôt 13 000 habitants. De nombreux ouvriers et employés de la région parisienne ont trouvé ici des logements accessibles. Voici qu'arrivent des ménages plus aisés, en quête d'espace et de verdure, à 60 km de la capitale et 40 minutes en TER. Les herbes folles se font rares, les promoteurs se défient au bras de fer et les prix jouent aux nouveaux riches.

Une femme promène son chien au-dessus de l'Oise sur le pont qui relie les deux rives de Pont-Sainte-Maxence, le 31 janvier 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Une agence immobilière de Pont-Sainte-Maxence, le 1er février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

"En six ans, le nombre de demandeurs sur notre territoire a grimpé de 20%, passant de 19 000 à 23 000", s'alarme Vincent Péronnaud, le directeur général de l'Opac de l'Oise, premier bailleur du département. Victimes de l'inflation immobilière, de nouveaux publics se tournent vers le parc social. Les fonctionnaires s'inscrivent en nombre. "En parallèle, on a fait 20% d'attributions en moins. Nos budgets de construction baissent et les taux de rotation s'effondrent, car nos locataires n'ont plus les moyens d'acheter ou de louer dans le privé."

"Cet ascenseur social qu'est le logement social fonctionne de moins en moins bien."

Vincent Péronnaud, directeur général de l'Opac de l'Oise

à franceinfo

Malgré l'une des plus fortes densités en logements sociaux du département (37%, bien au-delà du quota légal de 25%), Pont-Sainte-Maxence peine à faire face. Vingt-quatre nouveaux logements sociaux et 51 appartements intermédiaires doivent être livrés en fin d'année, derrière la gare. Les canards du ruisseau mitoyen se demandent qui viendra bientôt les gaver de pain rassis. Les visites n'ont pas commencé, les convoitises si.

"Ce lotissement, je l'ai en ligne de mire depuis qu'ils ont posé le premier parpaing", prévient Aurélie, en attente d'une HLM depuis deux ans et demi. Après un divorce en 2016, cette mère de quatre enfants a enchaîné mille galères, dont des nuits dans sa voiture à Paris, "un appart pourri" à Pont-Sainte-Maxence, puis un autre, "pourri de chez pourri", avec "des souris", toujours dans la même ville.

Des logements sociaux et intermédiaires en cours de construction au bord de la Frette, à Pont-Sainte-Maxence, le 31 janvier 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)
Aurélie pose dans son appartement de Pont-Sainte-Maxence, le 31 janvier 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

La voilà désormais dans un nid sans trop d'épines, à 690 euros par mois, presque le niveau de son RSA. Elle paye rubis sur l'ongle, grâce à 450 euros d'aides au logement et 260 euros d'allocations familiales, qu'elle craint de voir bientôt rabotées au profit de son ex-mari. "Je ne sais pas si je vais réussir à conserver mon appart, malgré un temps partiel que je viens de trouver à la station-service, confie la trentenaire. Je ne veux pas retourner à la rue. Alors j'embête les bailleurs sociaux et madame Martin pour qu'ils me trouvent quelque chose."

Tensions et manque de solutions 

Madame Martin a l'habitude d'être embêtée. L'adjointe municipale de 75 ans est régulièrement "harcelée" par des demandeurs, inquiets de voir leur dossier traîner. "Vu qu'ils ont mon portable, ils m'appellent pour s'assurer que je ne les oublie pas. Même chez Leclerc, les gens m'interpellent pour un logement. Si je veux être tranquille, je vais jusqu'à Senlis pour faire mes courses." 

Au fond, elle les comprend. Depuis le début de la crise du Covid-19, l'élue a vu la situation économique de ses administrés se dégrader. Leur moral aussi. "Les gens sont à bout et ils deviennent impatients, exigeants. Je pense qu'ils ont peur de l'avenir, de ce qui va leur tomber dessus. Certains en sont agressifs, faute de réussir à mettre des mots sur leur ressenti."

"Si vous attendez un logement depuis trois ans, j'arrive à entendre que vous puissiez péter le chou."

Monique Martin, adjointe au maire de Pont-Sainte-Maxence

à franceinfo

Dans ce coin du département, une première agression physique a été recensée en 2018. "J'ai été obligé de fermer le bureau de Nogent-sur-Oise pendant plusieurs semaines, après des menaces et des violences", rapporte Vincent Péronnaud, le directeur de l'Opac de l'Oise. Désormais, les mauvais gestes sont "réguliers" et une mairie a même "décidé de ne plus répondre elle-même aux demandes de logements".

Monique Martin, adjointe au maire de Pont-Sainte-Maxence, se tient dans les locaux du centre communal d'action sociale de la commune, pour sa permanence hebdomadaire, le 31 janvier 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Depuis plus d'un an, le maire de Pont-Sainte-Maxence, Arnaud Dumontier, alerte sur cette "électrisation" qu'il observe aussi dans ses permanences hebdomadaires. "Les gens ne viennent presque plus me voir que pour un logement. Je ne suis plus maire, mais deuxième adjoint en charge des HLM. Le pire, c'est que leurs demandes sont toutes fondées, hormis un ou deux rigolos qui veulent déménager pour avoir un évier à deux bacs."

"Je sens une colère qui monte. La prochaine crise sociale viendra du logement."

Arnaud Dumontier, maire de Pont-Sainte-Maxence

à franceinfo

Encarté aux Républicains, l'élu de 48 ans se désole de voir sa famille politique se désintéresser de la question du logement social. Lui aussi a eu ses doutes, avant de se "convertir" en devenant président de l'Opac de l'Oise, en 2015. "Je sais maintenant que cela change la vie d'une famille, d'une rue, d'une ville. J'ai vu des gens pleurer en obtenant le leur. Il faut cesser de voir le logement social comme une infamie ou un ratio budgétaire."

Forcés de vivre dans un appartement pourri

La prochaine élection présidentielle aidera-t-elle à désamorcer la bombe ? Pour Kevin Matteuzzi, jeune patron d'un restaurant de Pont-Sainte-Maxence, l'urgence est de s'attaquer aux marchands de sommeil. "On en est infesté ici", accuse-t-il. Avant de trouver son salut dans le parc social, le chef s'est battu trois ans face à un propriétaire peu scrupuleux, qui refusait de rénover son appartement couvert de moisissures. Ses alertes adressées à la mairie et sa main courante déposée à la gendarmerie n'ont pas permis de faire reconnaître l'insalubrité du logement.

"Dans quel monde vit-on ? Respectez un peu les locataires."

Kevin Matteuzzi, ancien locataire d'un logement dégradé

à franceinfo

Kevin Matteuzzi pose devant son restaurant, Plats sur mesure, le 1er février 2022, à Pont-Sainte-Maxence. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

L'ancien appartement de Kevin Matteuzzi se trouvait dans cet immeuble en mauvais état. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Avouant "une petite haine contre les marchands de sommeil", Monique Martin feuillette son cahier de rendez-vous. "Beaucoup de mes demandeurs logent dans le privé et patientent dans une situation préoccupante. Regardez, ceux-là." L'adjointe a griffonné quelques mots sous leur nom : "Urgent. Bébé en mars. Privé, trop petit, problèmes de moisissures."

"Regardez, ceux-là." Au bord de la départementale, non loin de l'Oise qui imprègne la commune d'humidité, se dessine une impasse. A l'étage, Hicham* ouvre. Radiateur hors service. Fenêtre cassée. Appartement glacial. Les champignons dévorent les manteaux et s'attaquent à la poussette, achetée il y a un mois. "J'ai dû laisser les vêtements de la petite chez un collègue", s'émeut le futur papa. Sur la table basse, des médicaments pour le couple, qui a développé des problèmes respiratoires et dorsaux. "Ça ne va pas non plus dans la tête."

L'appartement humide et glacial de Hicham et Myriam à Pont-Sainte-Maxence, le 1er février 2022. (PIERRE MOREL / FRANCEINFO)

Malgré un loyer de 500 euros, le Marocain de 39 ans n'ose rien dire à son propriétaire. "Je n'ai pas envie d'avoir de problèmes avec lui, il est très gentil", évacue-t-il, avant d'expliquer que sa femme, Myriam*, attend un titre de séjour depuis un an. Lui a ses papiers depuis 2017 et travaille comme chauffeur routier dans une entreprise locale. Grelottant en silence, Myriam doit accoucher le 21 mars. Un autre heureux événement, attendu "depuis juillet 2019", serait bienvenu d'ici là : l'attribution d'un logement social.

* Les prénoms suivis d'un astérisque ont été modifiés à la demande des intéressés.

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