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Sexisme des hommes politiques : "Ils ne font pas les malins quand on les prend la main dans le sac"

Deux journalistes qui ont signé la tribune de "Libération" fustigeant le "paternalisme lubrique" du monde politique reviennent sur leurs conditions de travail.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des journalistes patientent dans la salle des Quatre colonnes, à l'Assemblée nationale, à Paris, en décembre 2005. (BERTRAND GUAY / AFP)

Elles donnent un coup de pied dans la fourmilière. Une quarantaine de femmes journalistes dénoncent le "sexisme" des hommes politiques, dans une tribune publiée mardi 5 mai dans LibérationMains baladeuses, propositions tendancieuses, humour douteux... Les exemples du "paternalisme lubrique" envers ces femmes sont nombreux. Pour mieux comprendre leur quotidien, francetv info a interrogé deux signataires. Hélène Bekmezian, du Monde, et Laure Bretton, de Libération, expliquent les raisons qui ont mené à l'écriture de ce texte.

Francetv info : Comment est née l'idée d'écrire cette tribune ?

Laure Bretton : Lorsque nous sommes ensemble pour couvrir l'actualité du gouvernement ou du président, on doit souvent attendre. Alors on discute. En janvier, nous étions quatre ou cinq femmes journalistes à échanger sur ce qui nous était arrivé, sur des attitudes sexistes que nous pensions être isolées. Et nous nous sommes rendu compte qu'elles étaient en réalité très répandues. C'est là que nous avons décidé d'en parler.

Hélène Bekmezian : Les journalistes de Libération m'ont appelée, pour parler de leur démarche. J'ai tout de suite accepté, envoyé des anecdotes qui sont pour certaines citées dans la tribune. En tout, le texte est resté plus de deux mois dans les tuyaux, pour des raisons pratiques : il fallait trouver des signataires, réfléchir à la question de l'anonymat...

Vous avez toutes les deux signé ce texte, mais 24 autres journalistes ont choisi de rester anonymes : pourquoi ?

Hélène Bekmezian : Certaines sont en situation de précarité, en CDD ou pigistes. D'autres font partie de rédactions très masculines et sont victimes de sexisme sur leur lieu de travail. Elles savaient qu'elles ne seraient pas soutenues par leurs supérieurs hiérarchiques et ne voulaient pas que leur quotidien devienne plus difficile.

Laure Bretton :Libération en revanche, ces revendications féministes ont beaucoup d'écho. Notre projet a été soutenu dès le début par la direction, parce que le journal a toujours œuvré pour défendre la parité et l'égalité.

Dans la tribune, vous donnez de nombreux exemples d'attitudes sexistes : quelles expériences vous ont le plus choquées, personnellement ?

Laure Bretton : Ce qui m'est arrivé est anecdotique par rapport à ce que j'ai découvert en discutant avec des consœurs. Je suis tombée des nues quand j'ai appris qu'une collègue recevait des appels insistants de la part du garde du corps d'un homme politique. Comme le comportement de certains hommes politiques n'avait jusqu'ici pas été dénoncé, d'autres ont cru pouvoir tenter leur chance, par mimétisme. J'étais indignée.

Hélène Bekmezian : Dans mon cas, les propos de discrédit sont les plus gênants. Les hommes ne répondent pas de la même façon aux questions des hommes et des femmes. Ce peut être un député qui commence par me dire "oh, elle est mignonne !" en voulant presque me tapoter la joue. C'est tellement méprisant ! Mais la plupart du temps, ce n'est pas verbalisé. Ce sont des attitudes qui vous donnent l'impression d'être une journaliste en herbe, un entraînement avant les "vrais" journalistes, les hommes.

Est-ce que certaines journalistes sont plus souvent la cible de ce sexisme, par exemple parce qu'elles sont plus jeunes ?

Laure Bretton : Heureusement, la majorité des hommes politiques agissent de façon correcte. Mais ceux qui font des propositions tendancieuses ciblent certaines catégories de femmes journalistes, en effet. Celles qui travaillent pour la presse régionale sont plus isolées, alors que nous [qui travaillons pour des médias nationaux] sommes souvent à plusieurs. On peut réagir collectivement, se serrer les coudes.

Comment réagissez-vous, face à ces attitudes, pour réussir à conserver la distance nécessaire sans mettre en péril votre relation de confiance avec les hommes politiques ?

Hélène Bekmezian : On les remet à leur place. Lorsqu'un élu m'a invitée à dîner, ce que je jugeais déplacé, j'ai trouvé une formule diplomatico-humoristique pour refuser, sans me brouiller avec lui. L'humour est la meilleure défense, précisément parce que ces hommes se cachent souvent derrière l'excuse "c'est pour rigoler". Moi aussi, je peux faire des blagues et les humilier devant leurs copains. Sans faire peur, il faut montrer que nous ne sommes pas intimidées et que nous pourrions les dénoncer publiquement et nominativement.

Laure Bretton : On peut aussi simplement "blacklister" ceux qui ont exagéré. Il n'y a jamais une source politique unique. Ça demande peut-être plus de temps, il faut peut-être passer un coup de fil en plus. Mais il est toujours possible de décider avec qui on veut travailler.

Quel est votre objectif, en signant ce texte ? 

Laure Bretton : Nous ne sommes pas la police des mœurs venue défendre le politiquement correct. Ce que l'on veut, c'est que la cohabitation avec les hommes politiques, dans l'espace public, se fasse sur un pied d'égalité. En lisant la tribune, il faut qu'ils se rendent compte que chacun de ces mots déplacés est une petite humiliation pour nous, femmes journalistes, un obstacle supplémentaire quand nous essayons de faire notre métier.

Hélène Bekmezian : Je ne pense pas que ça les poussera vraiment à changer de comportement. Ceux qui agissent de cette manière continueront, parce que c'est pratiquement inné chez eux, et pas qu'avec les journalistes. Mais ça va peut-être un peu les calmer. Les politiques ne font pas les malins quand on les prend la main dans le sac, quand on leur fait remarquer sur le coup qu'ils ont une attitude déplacée. Ils savent que ce sexisme n'est plus accepté par la société. Ils savent que si on les dénonce, ils perdront face à l'opinion publique.

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