Cet article date de plus de huit ans.

"Panama Papers" : est-ce forcément illégal d'investir au Panama ?

De nombreux lecteurs nous ont interpellés pour savoir si les opérations révélées par les "Panama Papers" étaient forcément illicites. Pour le savoir, francetv info a interrogé des spécialistes de l'évasion fiscale.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Les "Panama Papers" ont révélé l'existence de 214 000 entités offshore qui, entre 1977 et 2015, ont été ou sont encore impliquées dans des opérations financières dans plus de 200 pays. (STEPHANIE OTT / DPA / AFP)

C'est une fuite d'une ampleur inégalée. L'opération "Panama Papers", qui révèle un vaste scandale d'évasion fiscale impliquant de hauts responsables politiques, des sportifs ou des milliardaires, a provoqué, lundi 4 avril, une véritable onde de choc. Car les chiffres mis au jour par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), dont font partie Le Monde et France Télévisions, donnent le tournis. A travers le monde, ce sont plus de 214 000 entités offshore qui, entre 1977 et 2015, ont été ou sont encore impliquées dans des opérations financières dans plus de 200 pays.

>> Suivez les réactions après ces révélations dans notre direct

De nombreux lecteurs de francetv info nous ont interpellés pour savoir si les opérations mises au jour par l'affaire des "Panama Papers" étaient forcément illégales. Pour le savoir, francetv info a interrogé des spécialistes de l'évasion fiscale.

Posséder une entreprise au Panama n'est pas, en soi, illégal

Dans l'absolu, rien ne vous empêche d'aller faire des affaires dans ce pays d'Amérique centrale. "Vous pouvez tout à fait ouvrir de manière légitime une société active au Panama, tant que cela se fait avec de l'argent propre et déclaré au fisc français", explique Christian Chavagneux, éditorialiste à Alternatives économiques et auteur du livre Les Paradis fiscaux (éd. La Découverte).

Il vous est également possible d'aller plus loin et de créer un montage financier complexe, par exemple en créant votre société dans un paradis fiscal sans que votre nom n'y apparaisse. Cela peut se faire par le biais d'une autre société vous appartenant, ou via un cabinet juridique avec lequel vous aurez passé un contrat, et qui aura créé la société en votre nom, note notre blogueur Alexandre Delaigue.

"L'existence de ces sociétés-écrans est légale dans bon nombre de pays qui n'ont pas forcément l'image exotique de certains paradis fiscaux, comme le Royaume-Uni et le Luxembourg", précise Lucie Watrinet, coordinatrice de la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, qui regroupe 19 ONG et syndicats mobilisés dans la lutte contre l'opacité financière. "Mais cela devient illégal à partir du moment où vos avoirs ne sont pas déclarés en France", précise la spécialiste.

Mieux encore : il vous est possible de créer une véritable coquille vide, c'est-à-dire une entreprise sans réelle activité économique, et de ne pas la déclarer au fisc. Les conditions pour que cela se fasse en toute légalité sont toutefois nombreuses : il faut en effet que cette société ne détienne pas de compte bancaire, ne vous verse pas de dividendes (qui devraient alors être déclarés et taxés) et que vous ne soyez pas assujeti(e) à l'impôt sur la fortune, explique Le Monde (article payant). Lorsque vous devez payer l'ISF, les parts des entreprises que vous détenez sont en effet intégrées au calcul de l'impôt, précise le quotidien.

Ces différentes configurations expliquent en partie pourquoi toutes les données des "Panama Papers" n'ont pas été rendues publiques par les médias ayant travaillé sur le sujet. "Le fait que certains aient pu déclarer leurs avoirs, même si cela serait surprenant, permet de comprendre pourquoi François Hollande a annoncé qu'une enquête serait ouverte en France", ajoute Lucie Watrinet.

Mais le Panama est connu comme un paradis fiscal avantageux

"Si vous souhaitez développer des actifs dans la région latino-américaine, ou bien si vous voulez bénéficier d'un système financier fonctionnant en dollars pour être relié à la monnaie la plus puissante du monde, le Panama peut tout à fait servir de base pour vos activités", sourit Christian Chavagneux avant de préciser que "la réputation de ce pays ne s'est pas bâtie sur ce type de services". Comme il l'explique dans un article publié sur le site Alterecoplus, le Panama a développé dès 1927 "toutes les caractéristiques habituelles des paradis fiscaux : faibles impôts, sociétés fictives, secret bancaire"

A partir de la fin du XXe siècle, le pays s'est même fait une spécialité de blanchir de l'argent à la provenance douteuse. Des réseaux frauduleux, tout comme les fortunes des dictateurs chilien Augusto Pinochet et haïtien Jean-Claude Duvalier ont transité par le Panama, précise l'article.

Le Groupe d'action financière, organisme international charger de lutter contre le blanchiment de capitaux, a bien souligné en février les "progrès significatifs" du pays en matière de lutte contre le recyclage d'argent sale. Mais le Panama reste une place forte de l'évasion fiscale. L'année dernière, le pays d'Amérique centrale a été classé en 14e position du classement des pays à la plus forte opacité financière par l'ONG Tax Justice Network, et continue de refuser de participer aux efforts demandés par le G20 en matière de transparence.

Et cette affaire pourrait (peut-être) faire évoluer les choses

La révélation des "Panama Papers" pourrait toutefois faire bouger les lignes. "A part le Panama, qui est l'un des derniers pays à faire de la résistance, l'essentiel des paradis fiscaux s'est engagé à mettre en place un échange automatique de données bancaires avec les autres pays pour lutter contre l'évasion fiscale d'ici 2018", explique Christian Chavagneux. "On peut imaginer qu'après ces révélations, le G20 va envoyer un message politique fort envers le Panama. Cette pression diplomatique devrait être suffisante, mais si cela n'est pas le cas, le G20 pourrait décider de mettre en place des sanctions, ce qui constituerait une première", ajoute l'éditorialiste d'Alternatives économiques.

Lucie Watrinet est plus mesurée. "La mise en place du système d'échange automatique de données bancaires mettra peut-être un terme au secret bancaire à l'ancienne, mais il reste encore beaucoup de boulot. Le problème, c'est que nous aurons toujours un coup de retard sur les professionnels de la fraude. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'il reste dans la réglementation des trous qui permettront aux puissants de se payer des myriades d'avocats fiscalistes chargés de cacher leurs avoirs", conclut, fataliste, la coordinatrice de la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.