Comment le fisc français peut-il exploiter les "Panama Papers" ?
Selon le journal "Le Monde", on trouve un millier de noms liés à une adresse en France dans les données qui ont déclenché un scandale mondial sur l'évasion fiscale.
Après Lionel Messi, le Premier ministre islandais ou encore des proches de Vladimir Poutine, la liste des personnes mises en cause dans le scandale des "Panama Papers" s'est enrichie de noms de résidents français, mardi 5 avril. Le Monde affirme notamment, sur la base de ces documents du cabinet d'avocat panaméen Mossack Fonseca, que des proches de Marine Le Pen sont impliqués. Mais surtout, toujours selon le quotidien du soir, "on trouve près de 1 000 noms qui sont liés à une adresse en France dans les 'Panama papers'", sans compter ceux dont l'implication pourrait être cachée grâce à l'emploi de prête-noms.
Lundi, François Hollande s'est frotté les mains : "C'est une bonne nouvelle que nous ayons connaissance de ces révélations parce que ça va nous faire encore des rentrées fiscales de la part de ceux qui ont fraudé", s'est félicité le chef de l'Etat. Mais comment le fisc français peut-il exploiter des documents remis par un lanceur d'alerte anonyme aux journalistes ? Explications.
Comment la France peut-elle récupérer ces données ?
Pour le fisc français, une première étape s'annonce ardue : mettre la main sur les fameux "Panama Papers". La source qui a remis ces fichiers au journal allemand Süddeutzsche Zeitung, qui les a ensuite transmis au Consortium international des journalistes d'investigation, reste anonyme. En France, deux médias ont collaboré au sein du Consortium : Le Monde et la rédaction de l'émission "Cash Investigation" de France 2. Contacté par francetv info, le Consortium n'a pas donné suite. Mais ce n'est sans doute pas par ce biais que la France peut récupérer ces informations, comme l'a notamment expliqué le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio.
.@JeroFeno : "Notre rôle est de rendre public des données, nous ne sommes pas des supplétifs ni du Fisc ni de la justice" #panamapapers
— Matins FranceCulture (@Lesmatinsfcult) April 5, 2016
"Il peut y avoir spontanément des lanceurs d'alerte", soit celui à l'origine de la fuite, soit d'autres personnes ayant accès aux données, explique Vincent Drezet, patron de Solidaire-Finances publiques, principal syndicat de Bercy, à francetv info. Lundi, un communiqué du ministère des Finances n'a pas manqué de rappeler qu'un projet de loi vise actuellement à protéger les lanceurs d'alerte en France, ce qui peut ressembler à un appel du pied. Mais cette option reste incertaine.
Le meilleur espoir du fisc français repose donc sur la coopération internationale. Le ministère des Finances a annoncé son intention de "solliciter la transmission du fichier 'Panama Papers' (...) en application des conventions fiscales qui la lient à ses partenaires". Probablement pas le Panama : Michel Sapin a annoncé, mardi, que le pays apparaîtrait à nouveau sur la liste noire française des paradis fiscaux, dont il l'avait été retiré en 2011 après la signature d'une convention fiscale. "On fait régulièrement des demandes, mais le pays n'est pas capable de récolter les informations", explique à francetv info la sénatrice socialiste Nicole Bricq, qui s'était opposé à cette convention en 2011. "Le Panama n'est pas doté des structures qui permettraient une quelconque transparence."
En revanche, "plusieurs fractions de ce 'leak', parcellaires et plus anciennes, avaient été vendues aux autorités fiscales allemandes, américaines et britanniques au cours des dernières années", affirme Le Monde. Des documents moins intéressants que ceux dont disposent les journalistes, donc, mais dont la France pourrait demander la transmission. "Il est peu probable que la France accède à tout le fichier", conclut Vincent Drezet.
Les "Panama Papers" sont-ils suffisants, ou même nécessaires, au fisc ?
S'il met la main sur les "Panama Papers", le fisc ne pourra pas s'en contenter. Pour les trois avocats fiscalistes que francetv info a contactés, tous anciens inspecteurs des impôts, le fait que ces fichiers aient été volés poserait problème, citant l'exemple de la liste de 3 000 fraudeurs présumés clients en Suisse de la banque HSBC, dont l'existence a été révélée en 2009. En 2012, notamment, la Cour de cassation avaient estimé que ce fichier ne pouvait servir de justification à des perquisitions fiscales en raison de son origine illicite. Mais l'année suivante, la même Cour de cassation avait validé son utilisation comme preuve.
Pour Vincent Drezet, l'exploitation des "Panama Leaks" par le fisc ne sera pas un problème, puisque ces données sont toujours recoupées par une enquête. "On parle d'un fichier, mais il faut raisonner en terme d'infos", explique-t-il. "Si demain, dans la presse ou ailleurs, on détaille le schéma de fraude fiscale de M. Dupont, l'administration fiscale va chercher à le corroborer par ses propres moyens, à voir si l'information est fiable ou non." Les données des "Panama Papers" ne serviraient qu'à orienter les efforts du fisc vers certains individus. A charge du fisc de prouver la fraude, d'autant que la création d'une société offshore n'est pas, en soi, illégale.
Une démarche qui risque de se heurter à l'opacité du système bancaire et financier du Panama et des paradis fiscaux où Mossack Fonseca établissait les sociétés offshore de ses clients. Même si la justice, qui peut travailler en parallèle et a déjà ouvert une enquête préliminaire pour "blanchiment", dispose de moyens d'investigation plus importants (écoutes, auditions, placements en garde à vue), et dont les découvertes peuvent alimenter le travail du fisc.
Enfin, si certains noms, les plus médiatiques, ont été dévoilés par la presse, la France aura tout de même besoin d'accéder au fichier pour connaître l'identité du millier de résidents français anonymes qui ont fait appel au cabinet d'avocats.
Que risquent les Français cités dans les "Panama Papers" ?
Investir dans une société offshore n'est pas forcément illégal. Mais ceux qui ne le font pas dans les règles s'exposent à un contrôle fiscal. Le fisc peut alors les forcer au paiement des sommes qu'il aurait dû acquitter, ainsi qu'à des pénalités qui dépendent de la gravité de la situation. La "mauvaise foi" – dans le cas d'un contribuable qui omettrait délibérément de déclarer des avoirs à l'étranger, par exemple – est passible de pénalités atteignant 40% de la somme concernée.
En revanche, s'il est établi qu'un fraudeur a activement organisé un système pour dissimuler ces sommes, les pénalités s'élèvent à 80% de la somme. C'est le cas "dès lors que l'on crée une société dans un pays où il n'y a pas d'impôt sur le revenu ou sur les sociétés pour les investisseurs étrangers, et où on peut ne pas apparaître comme le propriétaire", estime Vincent Drezet.
"Si on crée une structure pour masquer les choses, c'est forcément une manœuvre frauduleuse", acquiesce Eric Lecoq, avocat fiscaliste et ancien inspecteur des impôts. Mais les choses sont parfois plus floues, explique-t-il : "L'inspecteur peut convoquer le fraudeur en disant 'on est au courant de tout, si vous nous donnez les détails, on peut négocier pour parler de 'mauvaise foi' et non de fraude." Une solution que peut préférer le fisc si son enquête ne permet pas de lever toutes les zones d'ombre sur le dossier.
Vincent Drezet ne confirme pas, mais explique qu'il est bien possible de s'arranger avec le fisc en prenant l'initiative de régulariser sa situation. Une pénalité de 40% peut ainsi descendre à 30%, voire 15% pour les fraudeurs jugés "passifs" : "Typiquement, le contribuable qui a hérité d'un compte à l'étranger et a laissé filer les choses", explique le syndicaliste.
Enfin, à la sanction de l'administration fiscale peut s'ajouter une condamnation en justice. En France, les sanctions pénales contre la fraude fiscale peuvent s'élever jusqu'à sept ans d'emprisonnement et deux millions d'euros d'amende, et on peut interdire à un fraudeur de gérer une entreprise, explique le ministère de l'Economie.
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