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Crise des éleveurs : l'Etat a-t-il les moyens d'intervenir ?

Le gouvernement a présenté une série de mesures pour venir en aide aux éleveurs en difficulté. Mais les marges de manœuvre de l'Etat semblent limitées. Francetv info a posé la question à Lucien Bourgeois, économiste spécialiste de l'agriculture. 

Article rédigé par Florian Delafoi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, et le Premier ministre, Manuel Valls, lors d'une conférence de presse organisée à l'Elysée le 22 juillet 2015, à Paris.  (JACQUES BRINON / AFP)

Le gouvernement s’active. Le ministre de l’Agriculture s’est rendu à Caen (Calvados), mardi 21 juillet, pour rencontrer les agriculteurs en colère. Dès le lendemain, une série de mesures a été annoncée pour répondre à l’urgence de la crise agricole. "Les éleveurs ont l'impression que leurs efforts quotidiens ne sont pas payés en retour. Cette angoisse, il faut l'entendre, nous l'entendons", a assuré le Premier ministre, Manuel Valls, au moment de présenter ce plan. 

La contestation a certes forcé les pouvoirs publics à agir rapidement. Mais cette intervention de l’Etat peut-elle permettre de résorber la crise ? Lucien Bourgeois, économiste et membre de l’Académie d’agriculture de France, explique pourquoi le gouvernement a très peu de marges de manœuvre pour venir en aide aux éleveurs.

Francetv info : Le gouvernement veut pousser les différents acteurs de la filière à se mettre d’accord sur une augmentation des prix. Mais a-t-il les moyens de faire respecter l’accord trouvé le 17 juin ?

Lucien Bourgeois : Un vrai problème se pose pour les pouvoirs publics. On a retiré les moyens d'action qui permettaient à l'Etat de contrôler l'activité agricole, et notamment le niveau des prix fixés pour les produits comme la viande. Il est donc difficile de dire si le gouvernement peut vraiment agir. Ce qui est certain, c'est que ses marges de manœuvre sont faibles dans cette crise. Le gouvernement peut seulement favoriser l'entente entre les acteurs de la filière et les pousser à négocier pour trouver une fourchette de prix qui serait acceptable.

Comment peut-on expliquer l'impuissance des pouvoirs publics dans cette crise ? 

L'Etat français, dans le cadre de l'Union européenne, s'est privé d'outils pour réguler l'activité agricole. Par exemple, les quotas laitiers, instaurés en 1984, ont permis de contrôler la production laitière pendant une vingtaine d'années. Dans sa vision libérale, l'Europe a décidé d'arrêter ce système. Cette libéralisation a permis d'augmenter la production de lait jusqu'à devenir excédentaire. Cela a entraîné une baisse des prix. Dans le secteur alimentaire, il suffit d'un léger surplus de production pour que les prix s'effondrent. Le phénomène a impacté la filière de la viande, car des vaches laitières ont été mises à la réforme, c'est-à-dire vendues aux abattoirs pour leur viande. Dans le même temps, les débouchés se sont réduits, notamment à cause de la baisse de la consommation de viande. Et l'embargo russe sur les produits alimentaires a également eu un effet redoutable. 

Le Premier ministre a présenté une série de mesures pour apporter un soutien économique aux éleveurs en crise. L'Etat est-il condamné à verser des aides pour soutenir la filière ?

Bien sûr que non, le rôle de l'Etat est d'apporter de la sécurité aux différents acteurs de la filière. Les aides posent un problème budgétaire, c'est toujours de la dette publique. L'Etat doit plutôt renforcer les organisations interprofessionnelles et leur donner plus de liberté. Les pouvoirs publics tiennent un double discours. D'un côté, on favorise la libéralisation de l'agriculture, mais, de l'autre, on empêche les agriculteurs de s'organiser pour défendre les prix. Par exemple, en 2012, 18 structures endivières ont été sanctionnées par l'Autorité de la concurrence pour entente sur les prix.

Il faudrait que le gouvernement donne les moyens aux agriculteurs de se regrouper, et qu'ils ne soient pas condamnés. Je trouve cocasse qu'une entreprise comme Bigard ou que des groupes industriels se retrouvent dans une situation de quasi-monopole dans le secteur de la transformation et que les éleveurs ne puissent pas se regrouper pour s'accorder sur les prix et leur production annuelle. C'est une injustice profonde et une interprétation particulière du droit de la concurrence. 

Mais cette concurrence est aussi encadrée au niveau européen. Le gouvernement français peut-il agir dans ce cadre ? 

Le cadre européen est certes très pointilleux au sujet de la concurrence entre les acteurs économiques, mais la France l'est encore plus.

Et puis, les pouvoirs publics français peuvent influencer les politiques de l'Union européenne. Par exemple, la distribution de la Politique agricole commune (PAC) pourrait être réformée. Les aides sont actuellement versées en fonction du nombre d'hectares. Plus l'exploitation est grande, plus les aides sont importantes. Il faudrait que les aides soient repensées pour favoriser les productions biologiques ou les agriculteurs qui privilégient les circuits courts, par exemple. Ces systèmes sont dans l'air du temps. 

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