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Inversion de la courbe du chômage selon l'Insee : "Pas de quoi se réjouir", réagit un économiste

La courbe du chômage s'est bien inversée en 2013, selon les chiffres de l'Institut national de la statistique. Mais avant tout parce que de nombreux seniors ne sont plus comptabilisés. Explications de l'économiste Eric Heyer.

Article rédigé par Christophe Rauzy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
François Hollande, entouré de Michel Sapin, le ministre du Travail, et de Catherine Derre, directrice d'une agence Pôle emploi, à La Roche-sur-Yon (Vendée), le 6 août 2013. (FRANK PERRY / AFP)

Tout vient à point à qui sait attendre. Selon les chiffres de l'Insee, publiés le jeudi 6 mars, le gouvernement a fini par obtenir la très attendue inversion de la courbe du chômage en 2013 : au quatrième trimestre, le taux de chômage a reculé de 0,1%. Jusqu'ici, le vœu présidentiel d'inversion de la tendance avait tourné à l'échec, selon les (autres) chiffres officiels, ceux de Pôle emploi. Mais l'Insee se base, lui, sur la méthode du Bureau international du travail (BIT), offrant des chiffres enfin positifs à l'exécutif. Le gouvernement s'en est d'ailleurs immédiatement réjoui.

Pourtant, selon Eric Heyer, économiste et directeur adjoint à l'OFCE, il n'y a pas vraiment pas de quoi sabrer le champagne. Il estime que ces chiffres sont provisoires et avant tout dus au fait que des chômeurs ont disparu des écrans radars.

Francetv info : Etes-vous surpris par les chiffres de l'Insee, qui relaie une baisse du chômage en France ?

Eric Heyer : Ce qui est étonnant c'est qu'habituellement, les chiffres de Pôle emploi sont cohérents avec ceux de l'Insee. Depuis que Pôle emploi a modifié ses méthodes de catégorisation en 2009, le nombre de chômeurs de catégorie A correspondait toujours à peu près aux chômeurs comptabilisés par l'Insee, qui utilise, pour sa part, la méthode du Bureau international du travail. Or, cette fois, les chiffres diffèrent : + 68 000 pour Pôle emploi, - 41 000 pour l'Insee. Jusqu'ici, une telle différence de résultats n'était survenue qu'une seule fois, en 2010. 

Comment expliquer cet écart ?

C'est lié à la méthode de comptabilisation des chômeurs. Pôle emploi compte simplement les personnes inscrites dans ses fichiers. L'organisme considère qu'être inscrit à Pôle emploi, c'est déjà faire des démarches pour trouver un emploi. L'Insee, lui, applique la méthode du BIT, et fait pour cela une enquête basée sur un questionnaire [soumis à 100 000 personnes]. Et à la question "Recherchez-vous activement du travail ?", c'est-à-dire "Envoyez-vous des CV ?" et "Répondez-vous à des offres d'emploi ?", si vous répondez "non", vous n'êtes pas comptabilisé comme chômeur, même si vous n'avez pas d'emploi et que vous êtes toujours inscrit à Pôle emploi.

Et où l'Insee a-t-il observé une baisse plus forte du nombre de chômeurs ?

Si on regarde les chiffres 2013 en détail, on voit que le nombre de chômeurs de moins de 25 ans baisse à Pôle emploi et à l'Insee, et que les 25-50 ans augmentent avec les deux méthodes. Mais seul l'Insee comptabilise une baisse du nombre de chômeurs âgés de plus de 50 ans. Cela signifie que, fin 2013, beaucoup de seniors ont arrêté de chercher activement du travail, pas que des chômeurs ont retrouvé un emploi. Il vaut mieux une stagnation du chômage qu'une baisse liée à un retrait d'activité. Parce que cela signifie que des chômeurs se découragent et qu'on ne peut plus les aider à trouver du travail. Il n'y a pas de quoi se réjouir.

Pourtant, le gouvernement a immédiatement salué ces chiffres.

C'est normal qu'il communique. Il est juste de dire que le chômage diminue, d'autant que c'est au sens du BIT, qui est la méthode de référence internationale. Mais pour l'heure, je rappelle que c'est encore un taux de chômage provisoire, que la marge d'erreur est de 0,1 ou 0,2 point. La baisse de 0,1 point annoncée ce matin par l'Insee pourrait, en fait, se transformer en baisse de 0,2 point, mais aussi en augmentation de 0,1 point. Il faut au moins 18 mois avant de considérer qu'un chiffre est définitif, c'est ce qui fait que cette méthode est plus fiable pour les économistes.

Si elle est plus fiable, pourquoi le gouvernement choisit toujours les chiffres de Pôle emploi comme référence ?

Parce que c'est plus rapide et plus simple en matière de communication pour les politiques et pour les médias. L'enquête de l'Insee n'est conduite que tous les trois mois, alors que les chiffres de Pôle emploi sont publiés chaque mois. Les chiffres BIT demandent d'être affinés, analysés... Ce qui peut prendre deux ans. Un homme politique, comme un journaliste, ne peut pas attendre aussi longtemps pour communiquer sur le taux de chômage et pour évaluer les méthodes du gouvernement en matière d'emploi. 

C'était une erreur de choisir la méthode Pôle emploi pour mesurer la fameuse "inversion de la courbe du chômage" ?

Selon moi, l'erreur est double, elle est politique et technique et ne dépend pas de la méthode de comptabilisation du nombre de chômeurs. Qu'un gouvernement dise : "Notre priorité, c'est l'emploi", c'est normal. Mais dire : "Nous allons réduire le chômage à telle date", c'est n'importe quoi. C'est impossible à prévoir avec autant de précision. Parce qu'il était mis à mal politiquement, le président a voulu regagner en crédibilité en montrant qu'il pouvait tenir ses engagements. Pour y parvenir, le gouvernement a créé des dizaines de milliers d'emplois aidés, mais pas suffisamment pour atteindre l'objectif. Il aurait fallu prévoir une marge de manœuvre plus grande, créer davantage d'emplois aidés.

A quoi faut-il s'attendre désormais ?

A de nouvelles hausses du nombre de chômeurs. Car de nombreux emplois aidés vont arriver à échéance. Il en a été créé 100 000 l'an passé, on en attend seulement 50 000 cette année. Mathématiquement, cela va forcément créer davantage de chômeurs. D'ailleurs, l'Insee a déjà prévu un chômage légèrement à la hausse pour le premier trimestre 2014.

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