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Une assurance-chômage pour tous : cinq questions sur la promesse d’Emmanuel Macron

Le candidat à l'élection présidentielle prône un accès aux allocations chômage pour les indépendants, ainsi que pour les salariés qui démissionnent. Pourquoi une telle mesure ? Décryptage.

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Le candidat d'En marche !, Emmanuel Macron, en meeting à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 1er avril 2017.  (LILIAN AUFFRET/SIPA)

C'est une proposition emblématique, qui s'inscrit dans un projet de refonte en profondeur de l'assurance-chômage. Candidat à l'élection présidentielleEmmanuel Macron propose d'ouvrir les droits aux allocations chômage à plusieurs millions de Français supplémentaires – les indépendants, et les salariés ayant démissionné. En contrepartie, l'ancien ministre de l'Economie s'engage à renforcer le contrôle des demandeurs d'emploi et à suspendre leurs allocations dans certains cas. Objectif, coût, faisabilité : franceinfo décrypte cette idée en cinq questions.

1De quoi s'agit-il ?

La promesse d'Emmanuel Macron part d'un constat simple. Sur un marché de l'emploi fluctuant, des travailleurs indépendants manquent de protection en cas de baisse d'activité, pendant que des salariés craignent de quitter leur travail – et d'évoluer –, faute d'un filet de sécurité. "Demain, nous devons rebâtir de véritables sécurités professionnelles, universelles, simples et efficaces, qui puissent accompagner chacun d'entre nous, quel que soit notre statut", défend le candidat d'En marche ! dans son programme.

Pour cela, Emmanuel Macron compte activer deux leviers. Le premier ? Ouvrir l'assurance-chômage à "tous les actifs" – qu'ils soient agriculteurs, artisans, entrepreneurs ou commerçants. En parallèle, tout salarié français pourra, une fois tous les cinq ans, bénéficier d'allocations chômage s'il démissionne, "pour changer d'activité ou développer son propre projet professionnel". L'ancien locataire de Bercy espère ainsi offrir une même sécurité pour tous face au chômage, tout en stimulant les prises de risque professionnelles. En contrepartie, les demandeurs d'emploi indemnisés seront davantage contrôlés. Ils pourraient même voir leurs allocations suspendues en cas de recherches insuffisantes, ou du refus de plus de deux offres d'emploi "décents".

2Combien ça coûterait ?

L'impact financier de l'idée reste encore flou. Selon Le Figaro, Emmanuel Macron chiffre à 1,44 milliard d'euros par an le coût d'une assurance-chômage universelle. Le candidat d'En marche ! évoque plusieurs pistes pour financer l'idée. "Je réaliserai 10 milliards d'euros d'économies sur l'assurance-chômage grâce aux réformes structurelles", défend-il dans un entretien aux Echos. Emmanuel Macron mise aussi sur une baisse du chômage, et donc des dépenses liées aux indemnités.

En parallèle, le candidat propose d'augmenter de 1,7 point la contribution sociale généralisée (CSG), tout en supprimant les cotisations salariales pour le chômage. A terme, l'idée serait de replacer l'assurance-chômage sous le giron de l'Etat, alors qu'elle est aujourd'hui gérée par les partenaires sociaux. L'ancien ministre parie aussi sur les retombées financières du contrôle renforcé des demandeurs d'emploi – et de la suspension d'allocations.

Mais les chiffres avancés par le candidat sont contestés. L'Institut Montaigne, un think tank libéral, a décrypté cette proposition et évoque plutôt un coût moyen de l'ordre de 2,9 milliards d'euros par an. Les contrôles renforcés sur les recherches d'emploi permettraient, quant à eux, de dégager "500 à 950 millions d'euros". L'organisme note deux autres sources de financement possibles : la limitation du cumul entre allocation et activité réduite et le relèvement de l'âge d'accès à une indemnisation chômage d'une durée de 36 mois (de 50 ans à 59 ans).

3Qui seraient les gagnants ?

Les millions d'indépendants et les salariés démissionnaires, qui, aujourd'hui, ne bénéficient pas de l'assurance-chômage. La France compte environ 2,8 millions de travailleurs non-salariés, selon l'Insee. Ces indépendants peuvent aujourd'hui bénéficier de l'assurance-chômage uniquement s'ils disposent d'un contrat de travail, "et sous certaines conditions", précise le site Service-Public.fr. Les micro-entrepreneurs, les gérants d'une SARL ou d'une EURL par exemple, sont automatiquement exclus de l'assurance-chômage.

Le principe est similaire pour les salariés qui font le choix de quitter leur emploi. Ces derniers n'ont pas droit aux allocations chômage, sauf si Pôle emploi considère que leur démission est "légitime", poursuit Service-Public.fr. Cela peut être le cas si le salarié doit déménager pour suivre son conjoint, ou s'il peut justifier que son employeur ne lui versait plus tout ou partie de son salaire. Des cas qui sont donc limités.

4Qui seraient les perdants ?

Les demandeurs d'emploi actuellement indemnisés, qui pourraient voir leurs allocations suspendues. En cas de victoire d'Emmanuel Macron, ces chômeurs pourraient en effet perdre leurs droits si "l'intensité" de leur recherche d'emploi "est insuffisante", ou s'ils refusent plus de deux emplois adaptés à leurs qualifications. Actuellement, les demandeurs d'emploi qui refusent "à deux reprises" une offre d'emploi "raisonnable" ne perçoivent plus d'allocations pendant seulement deux mois. Ce n'est qu'en cas de "manquements répétés" que leurs indemnités sont suspendues plus longuement, selon Service-Public.fr.

Et si les indemnités étaient aussi revues à la baisse, afin de financer ces droits élargis à l'assurance-chômage ? Pour Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), la suppression des cotisations sociales pour le chômage souhaitée par Emmanuel Macron "ouvre potentiellement la porte à la réduction des prestations chômage". "Un salarié ne pourrait plus revendiquer un certain montant d'indemnisation au motif qu'il a beaucoup cotisé", analyse-t-il dans La Croix. Les demandeurs d'emploi seniors pourraient aussi être affectés, si le candidat d'En marche ! relève bien l'âge d'accès à une indemnisation plus longue.

5Est-ce réalisable ?

Le financement  – et le coût potentiel – de cette mesure interrogent. L'assurance-chômage a enregistré un déficit de 4,36 milliards d'euros en 2016, a récemment annoncé l'Unédic. Son déficit devrait être de 3,6 milliards d'euros en 2017 et de 3,9 milliards en 2018. Selon Pôle emploi, 2,8 millions de demandeurs d'emploi bénéficient aujourd'hui de cette assurance. Combien seront-ils demain si cette mesure est appliquée ? Et à quel point le déficit de l'Unédic sera-t-il affecté ? Beaucoup de questions restent encore en suspens.

Le renforcement des contrôles auprès des demandeurs d'emploi fait aussi débat. Comme le note La Croix, la loi existante, qui pénalise les chômeurs refusant deux offres, "reste peu ou pas appliquée". Les résultats de ces contrôles sont aussi mitigés à l'étranger. Ioana Marinescu, professeure d'économie à l'université de Chicago, a détaillé plusieurs exemples dans une chronique récente pour Libération. Dans l'Etat américain du Maryland, par exemple, les demandeurs d'emploi ont dû prouver qu'ils envoyaient quatre candidatures par semaine. "Le retour à l'emploi n'a pas augmenté", souligne la chercheuse. Au Royaume-Uni, certains ont même été découragés par de telles demandes, et ont mis un terme à leur recherche d'emploi. 

En résumé...

Emmanuel Macron propose d'étendre à tous les droits à l'assurance-chômage. L'objectif : garantir une même protection face au chômage et permettre à tous les Français d'avoir un filet de sécurité s'ils souhaitent évoluer dans leur carrière. En contrepartie, l'ancien locataire de Bercy propose de renforcer les contrôles des recherches d'emploi, et de suspendre les allocations de chômeurs qui refuseraient plus de deux emplois. Mais le coût de cette mesure semble sous-estimé, et son financement reste incertain. L'idée ne risque-t-elle pas de creuser davantage le déficit de l'assurance-chômage ? La faisabilité et l'efficacité du renforcement des contrôles sur les chômeurs est aussi contestée.

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