Enquête France 2 Des associations controversées bénéficiaires de dons défiscalisés

Publié
Temps de lecture : 5min - vidéo : 5min
Oeil du 20h associations
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Chaque année, les Français sont très généreux avec les associations. En contrepartie de leurs dons, ils bénéficient d’une réduction d’impôts. Mais l’utilisation de cet avantage fiscal par certaines structures pose question.

En France, les dons aux associations ont dépassé 3 milliards d’euros en 2022. Ces dons sont déductibles des impôts, à hauteur de 66% du montant, avec un plafond en fonction des revenus. Si vous donnez 100 euros, vous pouvez donc déduire 66 euros de vos impôts, à condition que l’association vous délivre un reçu fiscal.

D’après le Code général des impôts, cette défiscalisation concerne les "organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel".

En France, de très nombreuses organisations proposent cette défiscalisation. Mais certaines d’entre elles délivrent des reçus fiscaux, alors même que leurs activités sont parfois très controversées. Et c’est autant d’argent en moins dans les caisses de l’Etat.

Une association de soutien à l'armée israélienne

Prenons le cas de l'association Libi France, qui soutient les soldats israéliens, actuellement en guerre avec le Hamas dans la bande de Gaza. Sur une publication Facebook, fin décembre 2023, elle fait un appel aux dons, en mettant en avant leur défiscalisation : "Faites un don avant le 31/12/2023 pour bénéficier d’une réduction fiscale." La publication précise : "Reçu CERFA immédiat".

En quelques mois, cette association a reçu au moins 450 000 euros de dons d’après nos calculs. En commentaire, certains donateurs écrivent "aide aux soldats de Tsahal", ou encore "soutenir et équiper Tsahal".

De l’argent qui a effectivement été reçu par les soldats israéliens, si l’on en croit une vidéo publiée sur le compte Facebook de l'association. Les soldats remercient Libi France pour "les cigarettes" et "le barbecue".

Mais ces dons servent-ils seulement à acheter de la nourriture et des cigarettes pour les soldats ? Nous avons joint cette organisation, en nous présentant comme une donatrice. Au téléphone, la responsable assure que cet argent ne finance aucune arme, sans donner beaucoup de détails. Elle ne sait pas qu’elle est enregistrée, et nous explique ne pas demander à l'armée ce qui est fait de l'argent précisément : "Moi, je ne leur demande jamais rien. Quand il y a la guerre, il y a la guerre, on sait très bien ce dont ils ont besoin, et je ne peux pas me permettre de leur demander : 'Qu’est-ce que vous faites ?' Non, sûrement pas." Nous l’avons ensuite recontactée en tant que journaliste. Elle n’a, cette fois, pas répondu.

Pour savoir si cette structure est bien éligible à la défiscalisation des dons, nous avons sollicité la direction générale des finances publiques. Sa réponse est sans appel.

“Un don à une association française dont l’objet serait de venir en aide aux soldats d’une armée étrangère ne respecterait pas les critères permettant de bénéficier de la réduction d’impôts”

La direction générale des finances publiques

à l'Œil du 20h

Une association dissoute en France

Une autre association a attiré notre attention : le CCIE, le comité contre l’islamophobie en Europe. Elle aussi fait un appel aux dons défiscalisés sur ses réseaux sociaux : “Faites un don pour que celui-ci soit déduit de vos impôts”.

Fin décembre, le CCIE annonce avoir collecté plus de 100 000 euros en quelques jours. Mais cette structure située en Belgique est en réalité, d’après ses propres termes "l'héritier de l’histoire du CCIF". Le CCIF, le comité contre l’islamophobie en France : une association dissoute en 2020 pour ses liens avec l’islamisme radical. Le CCIE n’a pas souhaité nous répondre sur ce sujet.

Ces organisations sont-elles suffisamment contrôlées ? Non, d’après la Cour des comptes, qui constatait en 2021 des contrôles “peu nombreux et peu approfondis”

Malgré nos demandes, Bercy ne nous a pas communiqué de chiffre. Pour en savoir plus, nous avons contacté un inspecteur des impôts, qui souhaite rester anonyme. D’après lui, les contrôles des associations sont peu rentables d’un point de vue fiscal.

Il faut que les montants vaillent le coup d’envoyer un vérificateur faire un contrôle.

Un inspecteur des impôts

à l'Œil du 20h

L’inspecteur évoque aussi la difficulté de contrôler certaines associations au contenu engagé : “La problématique des associations, c’est que malheureusement, y a des points qui peuvent être un peu sensibles. La crainte, c’est de dire qu’on serait partial”

Un statut auto-attribué

Alors comment ces associations peuvent-elles, au départ, proposer des reçus fiscaux ? Pour Emmanuel Joannard-Lardant, professeur de droit public à l'Université Lumière-Lyon 2, cela s’explique par une spécificité française : c’est aux associations de décider elles-mêmes si leurs activités correspondent aux textes de loi.

L’association va regarder les textes, et à partir de là elle va décider si elle est ou non d’intérêt général. En France il n’y a pas de contrôle a priori.

Emmanuel Joannard-Lardant, professeur de droit public

à l'Œil du 20h

Il ajoute : "C’est l’association qui va choisir d’elle-même d’offrir aux contribuables des reçus fiscaux, qui vont leur permettre de bénéficier de réductions d’impôts."

Depuis 2021, une nouvelle loi impose des contrôles tous les cinq ans en préfecture pour bénéficier de dons défiscalisés, mais elle ne concerne que les associations religieuses.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.