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Pourquoi le droit de vote des étrangers a du plomb dans l'aile

Voie parlementaire ou voie référendaire ? Aucune des deux solutions ne semble pouvoir garantir l'adoption de cette promesse controversée de François Hollande.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Lors d'un référendum symbolique sur le droit de vote des étrangers, organisé par le collectif Votation citoyenne, le 23 mai 2008 à Paris. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

POLITIQUE - Programme de François Hollande, engagement 50 : "J'accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans." La promesse ne date pas d'hier. François Mitterrand s'y était engagé en 1981, avant d'y renoncer en 1988. En 2000, les députés de la gauche plurielle votent une proposition de loi, mais Lionel Jospin ne transmettra pas le texte au Sénat, alors tenu par la droite.

Alors, quid de 2012 ? Première précision : il ne s'agit pas d'accorder le droit de vote aux étrangers à toutes les élections locales, mais seulement aux élections municipales. Pour faire adopter cette mesure, il est nécessaire de modifier l'article 88-3 de la Constitution, ce qui complique singulièrement la donne. Au-delà de cette lourde contrainte juridique, l'exécutif semble un peu moins affirmatif que durant la campagne présidentielle. Ce qui n'a pas échappé à 75 députés PS qui pressent François Hollande de tenir sa promesse. Un défi pour le moins compliqué.

La gauche n'a pas une majorité suffisante au Parlement

Pour modifier la Constitution, la première solution consiste à passer par la voie parlementaire. Après adoption du texte par l'Assemblée nationale et par le Sénat, le président de la République doit convoquer le Parlement en Congrès. Députés et sénateurs se retrouvent alors dans l'hémicycle du château de Versailles. Pour que le texte soit adopté, il doit être voté à une majorité des 3/5es.

Faisons les comptes : si le Congrès est convoqué, 925 parlementaires (577 députés et 348 sénateurs) seront appelés à se prononcer. Le droit de vote des étrangers ne sera adopté que si les 3/5es d'entre eux, soit 555 parlementaires, l'approuvent. Or, en additionnant les effectifs des groupes communistes, socialistes, écologistes et radicaux des deux assemblées, la gauche plafonne à 523 voix. Reste donc, au minimum, 32 voix à trouver dans les rangs du centre (60 élus), de l'UMP (328 élus) ou des non-inscrits (14 élus). Le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, assure s'y employer.

La gauche pourrait obtenir un coup de pouce d'élus de droite ou du centre qui s'abstiendraient plutôt que de voter contre. Par exemple, si une cinquantaine d'entre eux s'abstenaient, la majorité des 3/5es tomberait à 525. Un seuil atteignable, mais loin d'être gagné d'avance.

Un référendum sur ce sujet serait trop risqué

Deuxième solution pour modifier la Constitution : le référendum. Au lieu de convoquer le Congrès à Versailles, le président de la République demande aux Français de se prononcer sur cette question en y répondant par "oui" ou "non". Les enquêtes d'opinion montrent que les Français y sont majoritairement favorables. Selon les instituts de sondages, 53% à 61% approuveraient l'idée de donner le droit de vote aux étrangers aux élections municipales.

Mais sauf surprise, le gouvernement ne s'engagera pas dans cette voie hasardeuse. L'expérience du référendum sur la Constitution européenne, rejetée par plus de 54% des Français en mai 2005, montre que les sondages réalisés avant le lancement de la campagne référendaire peuvent être démentis dans les urnes. Fin février 2005, tous les sondages donnaient le "oui" gagnant autour de 60%, la tendance s'inversant au cours du mois de mars.

Un référendum perdu sur un engagement de campagne serait inévitablement interprété comme un lourd désaveu pour le chef de l'Etat. Il semble très peu probable que gouvernement, qui a fort à faire en ce début de quinquennat sur le front de l'économie et de l'emploi, se lance dans une campagne incertaine qui risque de donner un espace médiatique à la droite et au Front national.

Le gouvernement hésite

Entre les parlementaires PS qui lui demandent de tenir ses engagements et les coups de boutoir de la droite contre le droit de vote des étrangers, le gouvernement semble hésiter sur la ligne à suivre.

Dans Le Monde, lundi, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a fait part de son scepticisme. Sur le fond : "Est-ce que c'est aujourd'hui une revendication forte dans la société française ? Un élément puissant d'intégration ? Non. Ça n'a pas la même portée qu'il y a trente ans. Aujourd'hui, le défi de la société française est celui de l'intégration." Et sur la forme : "Attention à la jonction droite-extrême droite sur ce sujet. Il faut bien évaluer les conséquences d'un référendum, pas seulement en termes de résultats, mais aussi de déchirure dans la société française. Ce débat risque de provoquer des fractures. Dans un moment de crise, on voit bien comment cela peut être utilisé, agité." Une prise de position inverse à celle qu'il tenait en 2007 sur son blog.

Le même jour, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, affirmait que l'engagement de campagne de François Hollande serait "tenu", mais qu'il n'est pas inscrit à l'ordre du jour de l'automne au Parlement car "le calendrier parlementaire ne le permet pas". Mardi, il a précisé sur Twitter que cet engagement serait tenu "avant la fin de la législature, probablement en 2013 pour application en 2014". Les députés impatients devront encore attendre.

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