Violences conjugales : il y a "davantage de victimes qui sont entendues", estime Ernestine Ronai

La responsable de l'Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis estime que lorsque les victimes "révèlent des violences, on les entend mieux, notamment par les forces de sécurité".
Article rédigé par franceinfo
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Ernestine Ronai, figure historique française de la lutte contre les violences faites aux femmes, lors d'une interview, le 22 août 2019 à Paris. (ZAKARIA ABDELKAFI / AFP)

"On parle de libération de la parole, moi je parlerais de libération de l'écoute", estime sur franceinfo Ernestine Ronai, figure historique française de la lutte contre les violences faites aux femmes. Environ 244 000 victimes de violences conjugales ont été enregistrées par les forces de sécurité en 2022, soit une hausse de 15% par rapport à 2021, a annoncé jeudi 16 novembre le ministère de l'Intérieur.

Il y a "plus de victimes qui osent parler, mais surtout davantage de victimes qui sont entendues", estime la responsable de l'Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, l'un des départements les plus touchés par ces violences. Mais si les femmes révèlent davantage les violences qu'avant, il y a encore beaucoup de progrès à faire pour les protéger, estime Ernestine Ronai.

franceinfo : Selon vous, y a-t-il davantage de victimes recensées car davantage de victimes osent parler ?

Ernestine Ronai : Oui, plus de victimes osent parler, mais surtout davantage de victimes sont entendues ! On parle de libération de la parole, moi je parlerais de libération de l'écoute : lorsque les victimes révèlent des violences, on les entend mieux, notamment les forces de sécurité, quand on voit l'augmentation du nombre de plaintes. Je crois qu'on peut encore s'améliorer largement et encore mieux écouter les femmes.

Je souhaite que le nombre de révélations aux forces de sécurité continuent à augmenter, et de manière encore plus importante. Aujourd'hui, une femme victime sur quatre soit va devant la police, soit appelle les forces de sécurité pour une intervention à domicile. C'est mieux, mais c'est encore très peu.

Qu'est-ce qui empêche les femmes victimes de porter plainte, est-ce la peur des représailles, de ne pas être écoutées ?

C'est plutôt la peur de ne pas être crues. Si je parle, est-ce qu'on va me protéger ? Lorsque les victimes parlent, il faut qu'elles soient protégées. Donc il faut séparer la sanction de la protection ; c'est normal que pour sanctionner quelqu'un, notamment l'agresseur conjugal, il y ait des éléments de preuve, une enquête, et ça prend un certain temps. Mais de l'autre côté, ce qui est important, c'est que si la dame révèle des violences, qu'on la croie tout de suite et qu'on la protège tout de suite.

Et pour cela, il existe des moyens, notamment l'ordonnance de protection, où la victime doit simplement montrer des éléments de preuve vraisemblables des violences qu'elle subit. Ça peut être des SMS, des mails, mais aussi un certificat de mon médecin, une attestation de mon assistante sociale. Tout cela fait ce qu'on appelle un faisceau d'indices, qui devrait permettre au juge aux affaires familiales de délivrer une ordonnance de protection, qui est très protectrice. C'est très insuffisamment utilisé encore en France.

Il existe des outils assez récents pour prévenir ces violences : sont-ils réellement utilisés et efficaces aujourd'hui ?

Le bracelet anti-rapprochement a quelques difficultés, mais il est en augmentation. C'est surtout le téléphone Grave danger qui est très pratique, facilement attribuable par le procureur, et qui lui se développe. Il y en a plus de 5 000 aujourd'hui en France, il en faudrait plus de 7 000, et qu'on continue à les distribuer dans les parquets. Et puis pour l'ordonnance de protection, il faut qu'on continue à en attribuer, là on est encore en dessous des possibilités.

Les cinq départements où il y a le plus de violences sont la Seine-Saint-Denis, le Pas-de-Calais, le Nord, la Guyane et la Réunion. Comment expliquez-vous cela, est-ce lié au taux de pauvreté ?

Je pense que l'augmentation du taux de plaintes est lié au travail que nous faisons, par exemple en Seine-Saint-Denis dans le cadre de l'Observatoire, avec l'ensemble des partenaires (la justice, la police, les associations), nous nous améliorons réellement dans le cadre de ce partenariat, avec la prise de conscience collective que les hommes violents sont toujours dangereux et imprévisibles.

C'est sûr que la précarité joue un rôle dans les violences, mais les violences sont dans toutes les couches de la société. Ce ne sont pas juste les femmes pauvres ou migrantes qui en sont victimes. En Seine-Saint-Denis, ça n'est pas parce que nous avons une population plus précaire, plus jeune, qu'il y a des violences, c'est parce que nous travaillons mieux, que les plaintes augmentent.

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