Marginalisés et persécutés, l'enfer des chrétiens au Pakistan
Un kamikaze s'est fait exploser, en plein week-end de Pâques, dans un parc de Lahore, tuant 72 personnes.
Les chrétiens une nouvelle fois pris pour cible au Pakistan. Un kamikaze s'est fait exploser, dimanche 27 mars, en plein week-end de Pâques, dans un parc de Lahore (nord-est), tuant 72 personnes. La faction des talibans pakistanais a depuis revendiqué l'attentat, précisant que le terroriste visait la communauté chrétienne.
"Cette minorité vit une pression constante au Pakistan", explique Michel Varton, directeur de Portes Ouvertes France, une ONG internationale au service des chrétiens persécutés. Les 3,9 millions de chrétiens pakistanais, soit 2% de la population, sont souvent pris pour cibles. En 2013, un attentat-suicide lors d'une messe avait fait 82 morts à Peshawar et en 2015, 17 personnes ont été tuées dans l'attaque de plusieurs églises à Lahore. Une pression qui s'est accentuée depuis quelques années. "En 2006, le Pakistan était en 16e place de l’Index mondial de persécution des chrétiens élaboré par Portes Ouvertes. En 2016, il est sixième", expose Michel Varton.
"Les chrétiens vivent la plupart du temps dans des ghettos"
Les chrétiens sont, en outre, marginalisés au sein de la société pakistanaise. "Dans les villages, les musulmans refusent de vendre les graines de semence à des prix normaux aux chrétiens. Ces derniers font donc faillite et sont forcés de quitter leurs terres, relate Michel Varton. Ils vivent la plupart du temps dans des ghettos." La communauté est réduite à exercer des petits boulots. S'y ajoute une "discrimination constitutionnelle, car seul un musulman peut être président ou Premier ministre", décrit Jean-Luc Racine, géopolitologue spécialiste du sous-continent indien.
Un confinement dû à la radicalisation de la société. "Quand le pays a été créé, nation des musulmans du sous-continent indien, l'Islam avait un grand respect pour les autres cultes, explique l'expert. Puis cette conception a été vivement critiquée par certains groupes, qui ont voulu revenir à un Islam jugé plus orthodoxe, une pensée qui s'est renforcée dans les années 1980."
La loi anti-blasphème "instrumentalisée contre des chrétiens"
"Les lois anti-blasphème promulguées en 1986 ont grandement collaboré au processus de radicalisation", précise Michel Varton. Elles prévoient la prison à vie pour qui profane le Coran, explique Libération, et l'exécution pour qui insulte le prophète Mahomet. Une législation "instrumentalisée contre des chrétiens" à de nombreuses reprises, d'après Jean-Luc Racine, même si personne n'a encore été exécuté pour l'avoir enfreint. "Les croyants de ce pays font régulièrement face à des actes de persécution au nom de cette soi-disant loi, à savoir l'absence de travail ou de droits constitutionnels, l'esclavagisme d'enfants ou le travail forcé, le viol ou le mariage forcé, l'emprisonnement pour ses croyances, la destruction d'églises ou même la mort", énumère Wilson Chowdhry, président de l'Association britannique des chrétiens pakistanais.
Certains hommes politiques se sont pourtant montrés favorables à une révision de la loi. Ce fut le cas notamment de Salmaan Taseer, ex-gouverneur du Pendjab tué en janvier 2011 par son propre garde du corps, Mumtaz Qadri. Fêté en héros par les radicaux, ce dernier a été exécuté le 28 février dernier. L'attentat de Lahore pourrait être une réponse à cette décision. "Les chrétiens représentaient la plus forte voix appelant à la justice pour Salmaan Taseer et sont devenus, en conséquence, les parias nationaux", dénonce Wilson Chowdhry. Mais en octobre dernier, la Cour suprême du Pakistan a publié un avis de 39 pages dans lequel elle dénonce une loi parfois abusive et rappelle "qu’une fausse allégation de blasphème est tout aussi condamnable que le blasphème en lui-même", traduit Paris-Match. "Tout appel à la réforme de [cette loi] ne doit pas être confondu comme un appel à (sa) suppression, mais compris comme un appel à l'introduction de garanties adéquates contre l'application malveillante ou l'utilisation de cette loi par des personnes malintentionnées".
Un message encourageant, sachant que "les chrétiens ne représentent que 1,6% de la population pakistanaise, mais 15% des condamnations au nom de la loi contre le blasphème", déplore Wilson Chowdhry. Accusés, les chrétiens ne peuvent que rarement se défendre, affirme Michel Varton, dont l'association tente de leur fournir une aide juridique. "Ils sont souvent parmi les plus pauvres au Pakistan. Beaucoup sont illettrés. Souvent, ils ne peuvent pas se payer un avocat." C'est le cas d'Asia Bibi, jeune chrétienne emprisonnée depuis 2010 et condamnée à mort pour avoir bu l'eau d'un puits réservé aux musulmanes, relate Ouest-France. La date de son procès n'a pas encore été fixée.
Un gouvernement accusé d'attentisme
Face à cette situation, le gouvernement est accusé d'attentisme par la communauté chrétienne. "Le niveau d'impunité, pour ceux qui attaquent les chrétiens, est en partie responsable de l'augmentation, tant en fréquence qu'en intensité, des attentats. Nous avons plusieurs fois prévenu le gouvernement pakistanais d'une possible attaque pendant la période de Pâques. Nos inquiétudes ont été ignorées", accuse Wilson Chowdhry, dont l'association a depuis lancé une pétition (en anglais) pour appeler les dirigeants à réagir. Un silence expliqué, entre autres, par un contexte particulièrement saturé entre le terrorisme et les crise énergétique et économique auxquelles doit faire face le pays.
Et quand il s'agit de minorités, le gouvernement doit agir avec beaucoup de prudence. "La politique gouvernementale, si elle a su s'accomoder des groupes radicaux quand ça l'arrangeait — car ils servaient la politique régionale d'Islamabad — mesure aujourd'hui le danger qu'ils représentent pour le pays", analyse Jean-Luc Racine. L'attentat de dimanche Lahore ne visait pas que les chrétiens, mais également le combat des autorités contre les attaques ciblant des minorités. "La revendication [des talibans] est aussi un message explicite adressé au gouvernement en réponse à la politique antiterroriste qui se met en place, et qui signifie 'Nous sommes là, au Pendjab, dans votre grand fief électoral'", conclut le chercheur.
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