Cet article date de plus de six ans.

Prostitution : dans les coulisses d'un stage pour des clients condamnés "qui sont le problème et la solution"

Depuis que la législation permet de condamner les clients de la prostitution, les contrevenants peuvent se voir imposer un stage de sensibilisation pour affronter la réalité et remettre en question leurs certitudes.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Depuis la loi de 2016, les clients de la prostitution peuvent être verbalisés et écoper d'une amende pénale (illustration). (MAXPPP)

Depuis la loi prostitution votée en avril 2016, les clients peuvent être sanctionnés. En plus de l'amende pénale prévue jusqu'à 1 500 euros, le procureur, comme à Fontainebleau en Seine-et-Marne, peut imposer un stage de sensibilisation au contrevenant. L'association Equipes d'action contre le proxénétisme (EACP) organise ces sessions deux jours par mois à Melun.

Une mise au point sur la prostitution en France

Le stage se déroule dans une petite salle, au pied d’un bâtiment HLM. Les profils des clients condamnés sont variés. Certains sont venus habillés en vieux survêtement, d’autres portent d’élégants manteaux. Figurent dans le groupe des jeunes aux apparences d'étudiants, des quadras de différents milieux, le stagiaire le plus âgé a 63 ans. Tous ont été arrêtés en lisière de la forêt de Fontainebleau, en train de payer une passe ou en plein acte dans leur voiture. Leur stage débute par une présentation de la loi de 2016, pour leur rappeler que l'achat d'actes sexuels est illégal en France. La présidente de l'association EACP, Elda Carly dressent devant ces hommes un état des lieux de la prostitution dans l'hexagone.

Très peu de prostituées se prostituent sans proxénètes.

Elda Carly, de l'association Enquête d'action contre le proxénétisme

à franceinfo

Elda Carly avance aussi des chiffres destinés à marquer les esprits. Les 40 000 prostituées en France, dont 80% sont étrangères, font en moyenne 30 passes par jour, déclare-t-elle, ajoutant que leur espérance de vie, en France, est de 42 ans.

Les clichés et les excuses

Les dix hommes qui ont versé 180 euros pour ce stage sont invités à prendre la parole. Ce qui impossible pour certains, murés dans le silence. Il y a aussi les conjoints dans le déni qui se disent victimes d'une erreur judiciaire, affirmant que lors de leur interpellation, ils changeaient une roue de leur voiture. Ceux qui parlent le plus, sont les défenseurs décomplexés de la prostitution, à l’aise avec ce qu'ils appellent des pulsions naturelles. Un sexagénaire bougon s'exprime pour expliquer qu'"il est seul et qu'il n'a plus de femme". Il est persuadé que les prostituées ne font "rien sous la contrainte". Il désigne "ces filles-là qui se font du pognon".

Elles sont tout à fait normales, elles sont bien contentes qu’on aille les voir.

Un stagiaire, parlant des prostituées

à franceinfo

Pour contrecarrer discours et clichés, Julie intervient très vite. Cette ancienne prostituée paraît bien plus âgée que ses 19 ans. Elle raconte son enfance en foyer, le cannabis, la cocaïne puis la mauvaise rencontre avec deux garçons dans une belle voiture qui avaient l’air très charmants. Ils deviendront ses proxénètes, "derrière, dans le bois". Ce sont "des types qui sont armés", précise-t-elle. "Ils m'expliquaient où me mettre, qu'il fallait que je dise que c'était 50 euros la pipe", raconte Julie. Elle a décroché de la drogue et du trottoir, non sans mal, il y a quelques mois. Elle évoque la peur qui l'anime encore et ce milieu qu'elle connait.

Personne ne fait de la prostitution de son plein gré, ce n'est pas possible. Il y a trop d'argent qui passe.

Julie, ex-prostituée de 19 ans

à franceinfo

"Si une prostituée sourit, dit-elle, c’est qu’elle est obligée de sourire." la jeune fille assure que cela laisse "des séquelles psychiques", avant de demander aux stagiaires, s'ils ont des questions.

Les mots ont marqué... certains

Même les participants qui somnolaient se sont mis à écouter la jeune fille. Pendant la pause cigarette, l'un d'eux, âgé d’une cinquantaine d’années, adresse à Julie un regard à la fois gêné et compatissant. "Je me dis qu’elle a une sacrée force de caractère pour se sortir de tout ça. Je suis admiratif", reconnait le stagiaire.

Quand on sait ça, on ne peut que réfléchir. La prochaine fois, on ne s’arrête pas. On passe son chemin. Comme elle dit, moins il y aura de clients, moins il y aura de filles à faire ça.

Un stagiaire

à franceinfo

À la reprise de la séance, un autre participant se dit aussi troublé par le récit de Julie. Depuis son interpellation, il voit un psychologue. Le stagiaire raconte que lorsque la police est intervenue, il a vu que "la pauvre fille" était mal. "Ça sentait la misère profonde", déclare-t-il.

Mais une majorité de ces clients condamnés se disent au contraire victimes d'une injustice, d'une loi mal faite, d’un État qui les prendrait pour des vaches à lait. "L’interpellation du client, c’est trop facile. Il faut traiter le problème à la base. Comment se fait-il qu’on interpelle le client et qu’on laisse la fille où elle est ?", juge un des hommes participant au stage, reprochant à la police "d'être capable de mettre cinq ou six personnes pour arrêter un client, mais aucun pour une proxénète".

Dépasser l'humiliation de l'arrestation

C’est oublier que ces proxénètes, dont parle le stagiaire, font fortune grâce aux clients. Auguste Fuguet, chargé du pôle juridique de l'association EACP, refuse de baisser les bras, même si le stage parait parfois peu fructueux. Il regrette que des participants refusent de voir la réalité en face, "c’est-à-dire une personne qui est victime d’un réseau de traite des êtres humains, qui vient de l’autre bout du monde, qui est battue, violée". Selon Auguste Fuguet, leur discours est fataliste.

Ils parlent toujours du plus vieux métier du monde, qui existera toujours, qu’on ne pourra rien faire contre. Ils parlent parfois de pulsions, 'moi je suis un homme'.

Auguste Fuguet, intervenant au stage

à franceinfo

Les stagiaires, d'après l'intervenant, ne veulent pas voir qu’"ils font partie du problème, et aussi de la solution". La session est donc l'occasion, ajoute-t-il, de tenter "de désamorcer au mieux ce qu’ils racontent, de les mettre en face de leurs contradictions". Auguste Fuguet dit avoir remarqué que beaucoup ont "un truc en tête, l’humiliation de l’arrestation". Il tente donc de dépasser l’émotion : "Des fois, ça marche." L'association estime que même si, comme cela semble le cas, seulement la moitié des participants choisissent à l'issue du stage de ne pas récidiver, cela reste une victoire.

Un stage pour les clients de la prostitution - un reportage de Mathilde Lemaire

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.