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"Les aménagements de peine diminuent le risque de récidive"

Alors qu'un rapport sur la récidive doit être rendu ce soir à Jean-Marc Ayrault, le magistrat Serge Portelli dénonce sur francetv info le recours trop fréquent à l'incarcération. Et estime qu'il faut mieux préparer les détenus à leur sortie.

Article rédigé par Yann Thompson - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un employé de l'administration pénitentiaire installe un bracelet électronique à la cheville d'un détenu, le 16 juin 2008 à Haubourdin (Nord). Le placement sous surveillance électronique est parfois utilisé comme aménagement de peine, tout comme la libération conditionnelle, la semi-liberté ou le placement à l'extérieur. (DENIS CHARLET / AFP)

En 2008, Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, publiait Récidivistes (Grasset), une série de douze portraits de repris de justice. Douze "chroniques de l'humanité ordinaire", consacrées à des "êtres en déshérence ou en souffrance dont la vie n'est plus regardée qu'au travers d'un relevé de condamnations". Aujourd'hui président de chambre à la cour d'appel de Versailles (Yvelines), Serge Portelli rêve d'un recours moins systématique à la prison et de libérations mieux préparées. Alors que la conférence de consensus sur la prévention de la récidive doit rendre, mercredi 20 février, ses conclusions à Jean-Marc Ayrault et Christiane Taubira, le magistrat à la voix caverneuse appelle sur francetv info à une refonte "radicale" du régime des peines.

Francetv info : La récidive revient dans les débats. Que vous inspirent les travaux de la conférence de consensus ?

Serge Portelli : J'en suis plutôt satisfait. Il y avait une nécessité depuis un petit moment de se poser et de réfléchir à ce sujet, jusque-là caricaturé et manipulé comme argument électoral. Les lois se mangeaient les unes les autres, sans qu'on ne suive leurs effets. Cela frisait le ridicule. C'est un vrai sujet, mais il faut changer la façon de l'approcher, il faut rester à l'écart des faits divers.

Comment peut-on réduire la récidive ?

Pour moi, une des principales réponses tient au fonctionnement des tribunaux correctionnels, principaux pourvoyeurs des prisons. On y prononce de courtes peines d'emprisonnement qui sont souvent idiotes. Pendant quelques mois en prison, le temps est suspendu, inutile, voire destructeur. On n'a pas le temps d'y faire quoi que ce soit et il y a beaucoup de récidive au bout. Il faut que les juges se demandent pourquoi ils prononcent des peines de prison.

Ces peines sont notamment censées décourager les délinquants...

C'est la vieille idée de la dissuasion, qui vient des Etats-Unis. Elle est à l'origine des peines planchers en France, qui visent à sanctionner plus lourdement les récidivistes et à marquer les esprits. François Hollande s'est engagé à y renoncer, si bien que certains l'accusent de laxisme. Pourtant, on n'arrive à rien en accroissant la répression, en tapant comme un sourd et comme un aveugle. 

Pour le magistrat Serge Portelli, ici dans son appartement parisien le 11 février 2013, "aucune peine de prison ne doit aller jusqu'au bout". (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Faut-il aller jusqu'à abolir la prison ?

Non, car elle a une fonction de neutralisation. La prison protège la société de gens pour lesquels il n'y a pas de solution immédiate. Cette fonction doit être maintenue et cela passe forcément par des murs. En revanche, il faut changer la prison radicalement. Pour l'heure, la récidive révèle un échec de la justice et notamment de la prison. Une personne sur deux qui y va y retourne dans les trois ans. 

Par quoi faut-il commencer ?

Il faut accepter l'idée que la peine est quelque chose de vivant. Quatre-vingts pour cent des détenus sont libérés du jour au lendemain, c'est dangereux. La sanction doit être évolutive : plus on approche de la fin de la peine, plus il faut pouvoir penser à la vie d'après. Cela passe par une réadaptation à l'extérieur, comme dans un sas de décompression, pour sortir du monde démobilisant de la prison.

Que préconisez-vous ?

Du bon sens : aucune peine de prison ne doit aller jusqu'au bout. Il faut faire en sorte que la libération conditionnelle soit systématique, à l'exception peut-être d'une poignée de cas rarissimes. Aux deux tiers ou aux trois quarts de la peine, tous les détenus devraient bénéficier d'un aménagement de peine, car cela diminue le risque de récidive.

Pourquoi les aménagements de peine demeurent-ils une exception ?

Pour des raisons culturelles. Il n'y a pas de volonté politique de faire comprendre à l'opinion l'intérêt de ces mesures. La conférence de consensus est un premier pas dans ce sens, le début d'une vaste entreprise culturelle pour faire changer les mentalités. Il y a d'autres façons de faire que la prison.

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