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Le Cran va poursuivre la Caisse des dépôts pour avoir "profité de l'esclavage"

"La CDC est complice d'un crime contre l'humanité", a déclaré le président du Cran. Les faits reprochés remontent à l'indépendance d'Haïti, au début du XIXe siècle.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Le président du Cran, Louis-Georges Tin, le 10 mai 2013 devant le palais de justice, à Paris. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) a-t-elle profité de l'esclavage ? C'est le raisonnement du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) qui a annoncé vendredi 9 mai qu'il assignait la CDC et deux de ses filiales devant le tribunal de grande instance de Paris. "La CDC est complice d'un crime contre l'humanité", a déclaré Louis-Georges Tin, président du Cran.

Pourquoi maintenant ? Que reproche le Cran à cette institution financière publique ? La démarche peut-elle aboutir ? Eléments de réponse.

Que reproche le Cran à la Caisse des dépôts ?

Pour le Cran et son président, la Caisse des dépôts "a joué un rôle considérable dans l'esclavage". Les faits reprochés datent de 1825. A l'époque, la France, qui n'a pas digéré l'indépendance d'Haïti en 1804, impose à son ancienne colonie le versement d'une indemnité pour rembourser les propriétaires de plantations et d'esclaves du préjudice financier provoqué par l'indépendance. L'argent – 90 millions francs or, 21 milliards de dollars (16 milliards d'euros) – est encaissée par la CDC, qui la reverse ensuite aux anciens colons.

Or, selon le Cran, toute la somme n'a pas été redistribuée. "La Caisse des dépôts en a gardé une partie", accuse Louis George-Tin dans les colonnes du Monde. En outre, le président du Cran estime que "cette rançon a précipité Haïti dans une spirale infernale d'instabilité et de misère". Il compte demander à la CDC "d'abonder à hauteur d'au moins 10 millions d'euros un fonds de dotation pour financer des recherches" sur l'esclavage.

Pourquoi poursuivre la CDC maintenant ?

Annoncée à l'occasion de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage, cette assignation s'inscrit dans une campagne plus large lancée par le Cran pour obtenir des réparations de l'esclavage. "Si on fait cette assignation, ce n'est pas pour nous venger, mais pour alimenter le débat", a expliqué l'avocat du Cran, Norbert Tricaud.

Par ces actions en justice, l'association tente de mettre la pression sur le président de la République et son gouvernement. Pour le moment, François Hollande a en effet opposé une fin de non recevoir à cette demande, évoquant une "impossible réparation" et prôné "la paix des mémoires réconciliées". "Faute de solution politique, nous menons le débat sur le plan juridique", reconnaît Louis-George Tin. D'autres actions contre des banques privées ou des groupes sucriers sont également envisagés.

Cette démarche fait-elle l'unanimité parmi les descendants d'esclaves ?

Si, selon un sondage Ifop commandé par le Cran, 63% des habitants des départements d'Outre-mer sont favorables à des réparations, "qu'elles soient morales ou financières", les positions du Cran ne font pas l'unanimité parmi les descendants d'esclaves.

"Nous sommes tous d'accord sur l'importance de réparations morales, mais sur le plan financier, c'est beaucoup plus compliqué", a déclaré l'écrivain Claude Ribbe, descendant d'esclaves de Guadeloupe. "Ce n'est pas en intentant des procès perdus d'avance à l'Etat, ce n'est pas en multipliant les happenings que l'on avancera", a-t-il estimé.

Pour le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais, CollectifDom, "la diversité des ethnies composant les populations ultramarines commande de ne pas jouer avec le feu en réclamant notamment des réparations financières".

L'assignation peut-elle aboutir ?

Le motif de l'assignation restant encore flou, il est difficile de se faire une idée de son avenir juridique. En revanche, la démarche du Cran est déjà fragilisée sur le plan historique. Selon l'historienne Julie Duthil, interrogée par Le Monde, le Cran fait une mauvaise lecture de l'histoire.

"Les colons n'ont pas été indemnisés par rapport au fait d'avoir perdu des esclaves, mais des terres", explique-t-elle. L'historienne, qui a consulté les archives de la Caisse des dépôts, précise également que cette dernière a redistribué tout l'argent versé par Haïti, contrairement à ce qu'affirme le Cran.

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