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Google est-il antisémite ?

Un accord confidentiel a été trouvé entre la firme et des associations françaises qui accusaient la fonction "suggestion" de Google de favoriser l'antisémitisme, en accolant le mot "juif" au nom de nombreuses personnalités.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Trois associations ont assigné Google, l'accusant de favoriser l'antisémitisme en suggérant automatiquement d'accoler le mot "juif" au nom de personnalités. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

Cherchez "François Hollande" dans Google. La fonction de "saisie semi-automatique" propose, automatiquement donc, de lui accoler le terme "juif". Même symptôme avec David Pujadas ou Liliane Bettencourt, et des dizaines de personnalités des médias, de la politique et des affaires. Des associations, choquées par ces suggestions, estiment que le moteur de recherche favorise l'antisémitisme. Qu'en est-il vraiment ?

Selon l'avocat de SOS Racisme, Me Klugman, Google Suggest a abouti à "la création de ce qui est probablement le plus grand fichier juif de l'histoire" et enfreint la loi qui interdit le fichage ethnique en France. "Cela renvoie à une obsession, au fondement antisémite et paranoïaque, qui consiste à se demander si telle ou telle personnalité est juive", juge Dominique Sopo, président de SOS Racisme, interrogé par La Croix.

L'Union des étudiants juifs de France (UEJF), SOS Racisme et le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) ont assigné Google en référé pour "trouble manifestement illicite" en avril 2012. C'est finalement une médiation judiciaire qui a permis de clore le litige, mercredi 27 juin, grâce à un accord, resté pour le moment confidentiel.

"Juif" et "feuj" oui, "youpin" non 

L'objectif affiché de Google est de faciliter les recherches, en proposant automatiquement des associations de mots. Ces suggestions sont fondées sur les recherches les plus souvent effectuées, explique la firme (site en anglais). L'apparition fréquente du mot "juif" après le nom de personnalités ne signifie pas qu'elles sont juives, mais que beaucoup d'internautes se posent la question à un instant T. Les résultats évoluent au gré des centres d'intérêt, notamment de l'actualité.

Malgré ces explications, les plaignants exigent donc que Google empêche l'occurrence "juif" de s'ajouter automatiquement aux patronymes des personnalités qui n'auraient pas donné leur accord. Ce serait possible via un tri dont le moteur de recherche possède la technologie, puisqu'il filtre déjà les termes injurieux, de la même façon que les contenus pornographiques et pédophiles, l'incitation à la haine et à la violence. Par exemple, lorsqu'un internaute entre un terme préjoratif comme "youpin", aucune suggestion n'apparaît automatiquement. Et une fois la recherche validée, les premiers résultats orientent vers des dictionnaires en ligne.

  (CAPTURE D'ECRAN GOOGLE / FTVI)

Quant au verlan "feuj", il suggère des noms de sites internet créés par et pour la communauté juive (site de rencontres, réseau social...)

  (CAPTURE D'ECRAN GOOGLE / FTVI)

Le terme "juif", même si sa recherche peut revêtir un caractère antisémite, ne porte pas en lui-même de connotation péjorative ou insultante. Google n'a donc pas souhaité filtrer les suggestions.

  (CAPTURE D'ECRAN GOOGLE / FTVI)

 De même pour "les juifs".

  (CAPTURE D'ECRAN GOOGLE / FTVI)

 

Une spécificité française ?

C'est la récurrence du mot "juif" derrière le nom de personnalités des médias, de la culture, des affaires et de la politique qui dérange, et avait déjà choqué la journaliste Colombe Schneck en 2009. Elle avait donc contacté la direction de Google France qui, embarrassée, lui avait dit avoir remarqué une "particularité française". Dans l'Hexagone, les internautes auraient, plus qu'ailleurs, envie de "savoir si telle ou telle personnalité est juive, ou encore, parfois, si elle est homosexuelle". Plus rarement apparaissent les termes "musulman", "catholique" ou "bouddhiste".

Pour vérifier ces affirmations, Le Monde (article payant) a mené l'expérience en février 2012, avec les noms des fondateurs de Google, les Américains Sergey Brin et Larry Page. Pour chacun, sur Google.fr, la deuxième suggestion était "juif" (ce n'est plus le cas aujourd'hui pour Sergey Brin), selon le quotidien. En revanche, "en Allemagne et en Espagne, (...) cette association n'est proposée que pour Larry Page et n'arrive qu'en huitième et neuvième positions. Aux Pays-Bas, en Italie, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, les versions locales de Google ne suggèrent aucune association avec l'origine des intéressés."

Google doit-il changer son algorithme ?

La présence même des suggestions, selon ces associations, entretiendrait l'antisémitisme en incitant les internautes à cliquer sur les occurrences les plus fréquentes, même si elles ne correspondent pas à leur recherche initiale. Interrogé par Slate.frOlivier Duffez, consultant en référencement, met en garde contre ce problème : "J'ose espérer que les nombreux ingénieurs talentueux chez Google ont pensé à ne pas tenir compte des requêtes faites en cliquant sur les suggestions. Sinon, effectivement, c'est le serpent qui se mort la queue !"

Ce différend soulève aussi les limites de la neutralité des moteurs de recherche, derrière laquelle se réfugie Google, assurant que sa "crédibilité" en dépend. "Google doit-il intervenir manuellement pour 'transformer la réalité' ou bien doit-on accepter que ce soit l'ordinateur, dans sa grande objectivité statistico-algorithmique, qui se charge de tout ?", s'interroge le chroniqueur Jérôme Colombain sur France Info.

Si les associations obtiennent gain de cause, les concurrents de Google, comme Bing et Yahoo, qui proposent les mêmes fonctions et donnent à peu près les mêmes résultats, auront eux aussi du souci à se faire.

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