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Au tribunal, Dieudonné revendique le "droit de faire rire"

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
L'humoriste Dieudonné M'Bala M'Bala arrive à la 17e chambre correctionnelle du palais de justice de Paris, le 28 janvier 2015. (ZACHARIE SCHEURER/AP/SIPA)

Le polémiste était jugé, mercredi, pour "incitation à la haine", après des propos controversés sur le journaliste Patrick Cohen et les chambres à gaz.

Il arrive avec une heure et demie de retard, applaudi par quelques sympathisants. Au lendemain d'une soirée où il s'est produit en spectacle à Val-de-Ruz (Suisse), Dieudonné M'Bala M'Bala se présente, mercredi 28 janvier, à Paris, devant un autre public qu'il connaît bien : les juges. L'humoriste, déjà condamné à plusieurs reprises pour des paroles antisémites, est convoqué pour répondre de propos tenus, fin 2013, dans son précédent spectacle "Le Mur". Extrait : "Quand je l'entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage."

A la lecture de son sketch par la présidente du tribunal, Dieudonné, pull noir et pantalon kaki, étouffe un rire discret qui secoue ses épaules. La juge ne manque pas de souligner que la 17e chambre correctionnelle, qu'elle préside, est moquée dans un autre extrait du spectacle – un "honneur", ironise-t-elle. Le journaliste Patrick Cohen, lui, n'est pas présent. Il ne s'est pas constitué partie civile, pas plus que son employeur, Radio France, à l'origine de la plainte contre Dieudonné.

"J'ai répondu sur mon terrain : l'humour"

A la barre, Dieudonné se pose en victime d'une "injure". "Patrick Cohen a pondu une liste de gens qu'il n'inviterait pas, dont je fais partie, qui auraient 'le cerveau malade', assène-t-il. Ça a fait 'tilt' en moi, car cette expression renvoie aux poncifs sur l'homme noir à l'intelligence moindre. J'aurais pu porter plainte mais j'ai préféré répondre à Patrick Cohen sur mon terrain : l'humour."

La défense de l'humoriste vacille quand la juge diffuse l'extrait de l'émission de France 5 dans laquelle Patrick Cohen prononce l'expression "cerveau malade". Dieudonné y est certes cité, mais n'est pas directement visé par l'expression. Autre faille dans la défense : Dieudonné peine à convaincre que son expression "Dommage" n'est pas une forme de regret de la disparition des chambres à gaz. Difficile, dès lors, de faire croire à un sketch léger écrit en réponse à une injure.

"Est-ce que j'ai le droit de faire rire ?"

Le polémiste change de terrain et, dans son seul moment de colère à l'audience, lance à la juge : "Est-ce que j'ai le droit de faire rire ?" Sa ligne de défense résumée en une question. "Ce n'est pas à vous de poser les questions", lui rétorque la présidente, mais Dieudonné tient son cap.

Tout son travail ne consisterait donc qu'à faire rire. "Je ne suis pas antisémite", martèle-t-il. De toute façon, "l'antisémitisme n'est pas drôle", donc sans intérêt pour sa profession. "Pour faire rire les gens, il faut qu'ils décèlent une distance, explique-t-il. Jamais le racisme ou l'antisémitisme, au premier degré, ne font rire." S'il y a rire, selon sa logique, c'est qu'il n'y a pas antisémitisme. Les juges n'auraient qu'à se fier à l'applaudimètre. "Ça peut déranger, mais je fais rire", clame-t-il, rappelant qu'il est "l'un des humoristes les plus populaires de France". Et tant pis si "certaines personnes interprètent mal".

Dieudonné n'est-il qu'humour ?

"On ne vient pas chercher la vérité historique à mon spectacle, on vient chercher le rire", poursuit Dieudonné, soucieux d'argumenter devant une juge à l'écoute. Selon lui, "la Shoah est un crime contre l'humanité mais elle doit pouvoir être traitée par le rire, comme Mahomet dans Charlie Hebdo". Il reconnaît être dans "l'outrance" et pas toujours "clair", mais nie toute "incitation à la haine" et revendique la liberté d'expression.

Face à lui, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) s'est constituée partie civile. "Dieudonné qui invoque la liberté d'expression, c'est comme un trafiquant de stupéfiants qui invoquerait la liberté du commerce et de l'industrie, s'indigne l'avocate de l'association. Il ne s'agit pas de la liberté d'expression mais d'un délit : l'appel à la haine."

Dans ses réquisitions, la procureure rappelle l'existence de limites à la liberté d'expression en France, même pour les humoristes. Le rire des uns ne doit pas faire oublier la sensibilité des autres. Doutant de la "distanciation" et du "second degré" de Dieudonné, elle voit dans son sketch un rire destiné à "humilier". Elle requiert 30 000 euros d'amende à l'encontre de Dieudonné. Le jugement, mis en délibéré, sera prononcé le 19 mars, à 13h30.

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