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Biens mal acquis : la vie dispendieuse de Teodorin

La police perquisitionne l’hôtel particulier du fils du président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema depuis mardi. Elle agit dans le cadre de l’enquête sur les biens mal acquis et braque l’éclairage vers un personnage hors-norme.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Teodoro "Teodorin" Nguema Obiang Mangue, ministre de l'Agriculture équato-guinéen et fils du président, le 24 janvier 2012 dans son pays. (ABDELHAK SENNA / AFP)

Les enquêteurs sont émerveillés en pénétrant au 42 avenue Foch. L'appartement du XVIe arrondissement, considéré comme le pied-à-terre de Teodoro "Teodorin" Nguema Obiang Mangue, fils du président équato-guinéen, regorge de trésors. Les juges qui ont ordonné des saisies agissent dans le cadre de l'affaire des "biens mal acquis". Ils cherchent à savoir comment les chefs d'Etat de Guinée équatoriale, du Congo et le défunt président du Gabon ont acquis d'importants patrimoines immobiliers. Les juges les soupçonnent d'avoir détourné des fonds publics.

Parmi ces richissimes familles, le fils Obiang fait figure de personnage exceptionnel. Il accumule les objets de luxe et mène une vie de patachon alors que son pays vit dans la pauvreté.

Les jouets de Teodorin

Teodorin aime les belles choses. Quand il fait escale à Paris, il peut retrouver son chez soi évalué à plusieurs dizaines de millions d'euros. Le Parisien énumère : 5 000 m2 sur 6 étages, 101 pièces, un bureau Louis XV estimé à 1,6 million, des oeufs Fabergé, 18,35 millions d'euros d'oeuvres d'art issus de la vente de la collection d'Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, des salles de bains immenses, jaccuzzi, salle de cinéma, salon de coiffure, salle de sport. L'avocat proteste : c'est une "propriété de l'Etat équato-guinéen" protégée par l'immunité diplomatique, ce n'est pas celui de Teodorin. Que nenni répond le Quai d'Orsay.

Au pied de l'immeuble, les camions de déménagement font des va-et-vient pour embarquer le tout. Pas prudent, Teodorin. Les policiers avaient déjà mis leur nez dans le parking du 42 avenue Foch. En septembre, ils ont saisi 16 voitures : Maserati, Aston Martin, Rolls Royce, Porsche, Bugatti, Bentley, Ferrari.

Au Etats-Unis, où il a commencé à faire parler de lui, le fils Obiang avait déjà un beau tableau de chasse. Il s'est payé une villa à Malibu pour 35 millions de dollars avec piscine terrain de tennis, golf quatre trous, rapporte Harper's. Il s'est aussi offert un jet Gulfstream pour 38 millions, sans parler des voitures de luxe.

En mars 2011, l'ONG britannique Global Witness a révélé que Teodorin envisageait de se faire construire un yacht. Le bateau aurait été l'un des plus chers à voir le jour, dit l'ONG : 380 millions de dollars. "Presque trois fois plus" que le budget annuel de la Guinée équatoriale pour l'éducation et la santé, souligne Global witness. 

La vie de patachon de Teodorin

Le fils Obiang s'est rendu célèbre pour ses frasques à Malibu. Dans une enquête fournie (et traduite par Slate Afrique), le réputé magazine américain Foreign Policy (FP) décrit une "vie de luxe et de débauche". Il rapporte des beuveries avec escort girls, playmates et même un tigre. Un chauffeur qui dépose plainte contre son patron affirme : "Je ne l'ai jamais vu faire quoi que ce soit qui s'apparente à du travail". L'avocat de Teodorin rétorque qu'il s'agit d'accusations "salaces" et "extrêmes".

Amateur de hip hop, il se serait bien vu en producteur. Pour ça, il crée TNO (comme ses initiales) entertainment, un label. On parle de lui encore quand il a une liaison avec la rappeuse Eve pour qui il organise une soirée sur le yacht Tatoosh, loué plusieurs centaines de milliers de dollars.

Depuis, il a été nommé ministre de l'Agriculture en Guinée équatoriale. Il a récemment octroyé un généreux cadeau à l'équipe de football nationale. Lors de la Coupe d'Afrique des nations (CAN), que son pays a co-organisé avec le Gabon, il a remis de sa poche une prime de 760 000 euros au Nzalang (surnom de la sélection) après un bon premier tour.

Le pays de Teodorin

Si Teodorin baigne dans le luxe, les 650 000 habitants de la Guinée équatoriale restent en majorité très pauvres. Les trois quarts vivent sous le seuil de pauvreté. Teodoro Obiang Nguema, le père, règne sur cette ancienne colonie espagnole en partie insulaire depuis un coup d'Etat en 1979. Il avait alors fait fusiller son oncle qui dirigeait le pays.

En 2009, il a été réélu avec 95 % des voix (son plus mauvais score). Le Parlement compte un seul et unique opposant. Le pays est classé 161 sur 179 pour la liberté de la presse par l'ONG Reporters sans frontières. "Obiang est responsable d'un bilan épouvantable en matière de violation des droits humains et d'une gestion catastrophique de la Guinée au cours des trente dernières années", a dénoncé l'ONG Human Rights Watch.

Des enfants jouent au football dans une rue de Malabo (Guinée équatoriale). (REUTERS / LUC GNAGO)

Sans réelle ressource, le pays aurait pu voir sa destinée changer quand il s'est mis à exploiter massivement le pétrole off-shore dans les années 2000. Il est aujourd'hui le 3e producteur sub-saharien (derrière les géants nigérians et angolais, nettement plus peuplés). Le président a lancé une campagne de grands travaux. Il a, par exemple, fait surgir la ville nouvelle de Sipopo avec hôtel de luxe, plage artificielle, golf, salle de conférences, centre de santé et 52 villas. Pourtant, le pays reste classé 136e sur 187 à l'Indice de développement humain (IDH), avec une espérance de vie de 51 ans.

Les amis de Teodorin

La presse américaine n'a pas été tendre avec Obiang fils, mais les autorités ont longtemps été conciliantes. Le président Obama a d'ailleurs posé avec son père. Dans un nouvel article, Foreign Policy soulignait en octobre qu'il aura fallu des années et des années d'enquête avant que le ministère de la Justice américain ne dépose des plaintes pour corruption et blanchiment d'argent afin de confisquer des biens appartenant au playboy équato-guinéen (dont un gant ayant appartenu à Michael Jackson). Selon une enquête du Sénat américain, le président de la Guinée équatoriale a plusieurs dizaines de comptes à la Rigg's Bank au nom de membres de sa famille, sans respecter ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment.

Si la procédure a été si longue, c'est peut-être parce que la Guinée équatoriale et ses barils pèsent à Washington. Des notes diplomatiques publiées le 10 février 2011 par El Pais et relayées par Slate Afrique révèlent ainsi que "l’ambassade a pour objectif de réaffirmer la position des Etats-Unis et d’éviter que d’autres pays occupent les espaces stratégiques en Guinée Equatoriale".

Sur le plan diplomatique, la Guinée équatoriale essaie de s'acheter une virginité. Fort de ses pétrodollars le président avait proposé de créer un prix à son nom doté de 5 millions de dollars à l'Unesco pour récompenser "la recherche en sciences de la vie". Scandale. La mobilisation d'ONG et du prix Nobel sud-africain Desmond Tutu a contraint l'Unesco à faire machine arrière.

Obiang père a toutefois été choisi pour occuper la présidence tournante de l'Union africaine. A ce jeu, personne ne cherche à froisser le jeune Teodorin. Il a été nommé vice-président du parti présidentiel et pourrait bien devenir le futur président équato-guinéen.

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