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Ce que la mission Rosetta nous apprend sur l'histoire des océans

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Cette image, réalisée à partir de plusieurs clichés, le 13 novembre 2014, présente la sonde Rosetta lors de son atterrissage sur la comète Tchouri.  (AP / SIPA)

L'eau découverte sur la comète Tchouri est très différente de celle des océans terrestres, selon des résultats publiés mercredi 10 décembre.

D'où vient l'eau des océans ? Des comètes ou des astéroïdes ? La mission scientifique Rosetta a peut-être livré un verdict déterminant. En effet, d'après une étude publiée par la revue Science, mercredi 10 décembre, les analyses chimiques montrent que l'eau sur la comète Tchouri est très différente de celle de la Terre. Francetv info vous entraîne aux origines de la planète bleue. 

Que cherchent à comprendre les scientifiques ?

Voilà des décennies que les scientifiques tentent de comprendre d'où vient l'eau des océans terrestres. "Tout s'est passé très vite, sans doute dans les premières centaines de millions d'années de la Terre, explique Bernard Marty, chercheur au centre de Pétrographie de Nancy, contacté par francetv info. La croissance de la proto-Terre est sèche, car l'environnement est chaud et les éléments volatils ne peuvent pas se condenser." Mais la planète est bombardée par des corps hydratés, qui viennent de régions plus distantes du Soleil. 

Lesquels ? Il existe deux candidats potentiels, selon les scientifiques. "Il y a d'abord les astéroïdes situés entre Mars et Jupiter, dans une région suffisamment éloignée pour retenir de l'eau. Ainsi, certaines météorites carbonées contiennent jusqu'à 15% d'eau", précise Bernard Marty. Les comètes ont également un profil intéressant, car certaines sont constituées à 50% de glace d'eau et elles viennent parfois croiser dans la région terrestre. "Ce sont des objets assez préservés, qui contiennent énormément d'eau", précise à francetv info Christelle Briois, chimiste et enseignante-chercheuse à l'université d'Orléans, associée à la mission Rosetta.

Quel est le moyen utilisé pour lever le mystère ?

Qui a enfanté les océans ? Pour le découvrir, rien de mieux qu'un test de paternité. Les chercheurs disposent d'une sorte de trace ADN. En effet, la molécule d'eau a pour formule H2O, mais l'hydrogène (H) a un isotope : le deutérium (D). Cette forme lourde d'hydrogène est plus ou moins fréquente dans l'eau, selon les régions du système solaire. Les chercheurs calculent donc ce rapport entre les deux formes, afin d'obtenir une valeur. Elle est comparée à celle des océans terrestres, afin d'établir d'éventuelles correspondances. "On sait que ces variations de rapport D/H varient de façon importante dans le système solaire et on peut donc les utiliser comme traceurs." 

Depuis les années 1980, ce rapport a été calculé dans une dizaine de comètes du nuage d'Oort, grâce à la sonde Giotto ou à des télescopes. Mauvaise pioche, toutefois, puisque le rapport est deux fois supérieur à celui des eaux du globe. "Ainsi, ces résultats ne collaient pas à la croyance selon laquelle les comètes avaient apporté l'eau terrestre", résume Christelle Briois. Dans le même temps, les rapports observés dans les météorites carbonées, entre Mars et Jupiter, sont similaires à ceux des océans. Ce qui nourrit un éventuel apport en eau des astéroïdes, d'autant que d'autres rapports isotopiques correspondent, comme celui de l'azote.

Banco ? Que nenni. En 2011, une équipe exploite les données recueillies par le télescope Herschel sur 103P/Hartley et sur une autre comète de la famille de Jupiter, qui proviennent toutes deux de la ceinture de Kuiper, au-delà de l'orbite des planètes géantes. Et cette fois, le fameux rapport isotopique est similaire à celui des océans, ce qui relance la candidature des comètes. Tout est à refaire.

Quelle est la réponse de la mission Rosetta ?

Heureusement, Rosetta entre en piste. La mission va pouvoir analyser in situ une comète de la famille de Jupiter en question. Après de nombreuses péripéties, la chercheuse de l'université de Berne Kathrin Altwegg clôt le suspense dans un article publié par Science. Coup de théâtre. Non seulement le rapport est trois fois supérieur à celui des océans, mais il est même le plus élevé jamais observé pour un corps du système solaire. Ainsi, résume Bernard Marty, "il semble que les océans ne peuvent pas venir d'une glace du type analysé sur Tchouri par Rosetta. Mais prudence, toutefois, puisqu'on n'analyse ici qu'un seul corps." 

Au passage, ces résultats confortent le modèle initial des scientifiques, mis à mal en 2011. Ceux-ci avaient d'abord identifié un lien entre quantité de dieutérium et distance au Soleil. "Quand on mesure tous les objets dans le système solaire, plus on s'éloigne du soleil, plus ce rapport D/H augmente", explique Bernard Marty.

Tchouri valide ce modèle. Car malgré sa proximité relative, la comète provient originellement de la ceinture de Kuiper, un réservoir de comètes situé aux confins du système solaire. "C'est une mesure magnifique, tout à la gloire de l'équipe qui a fabriqué les instruments et les fait fonctionner. Ensuite, c'est quand même le corps le plus primitif en termes de D/H trouvé dans le système solaire !" s'enthousiasme Bernard Marty.

Enfin, ces résultats montrent que les comètes proches de Jupiter sont beaucoup plus complexes que prévu et qu'elles "ne proviennent pas uniquement de la ceinture de Kuiper, mais que certaines viennent sans doute d'ailleurs et s'apparentent davantage à des astéroïdes troyens", complète Christelle Briois. La dynamique de la formation du système solaire réserve encore bien des mystères.

Et maintenant ?

"L'affaire n'est pas finie", ajoute Bernard Marty, car la mission Rosetta doit livrer de nouvelles données. "Il y a des mesures en cours sur d'autres éléments volatils et d'autres rapports isotopiques vont être mesurés, notamment avec l'azote." L'exploration d'objets lointains et riches en volatils est donc toujours d'actualité. "Pour nous, le Graal serait d'obtenir des bouts de comètes rapportées par des missions spatiales. Cela nous permettrait d'obtenir des informations encore plus précises, grâce à nos instruments de laboratoire."

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