Lutte contre le sida : ces pistes prometteuses sur lesquelles planchent les chercheurs
Plusieurs travaux ont été présentés lors de la conférence sur les rétrovirus organisée du 3 au 6 mars à Boston (Etats-Unis). Analyse avec Philippe Benaroch, directeur de recherche au CNRS.
Alors que le vaccin contre le sida tarde à être mis au point, la conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI), organisée du lundi 3 au jeudi 6 mars à Boston (Etats-Unis), a remis en lumière les progrès de la recherche en matière de lutte contre le VIH. De nombreux travaux axés sur les traitements y ont été présentés. Permettront-ils, à terme, dé guérir les 35 millions de personnes vivant avec le virus ? Francetv info fait le tour de ces pistes avec Philippe Benaroch, directeur de recherche au CNRS et chef de l'équipe Immunité et cancer à l'Institut Curie (Paris).
Un traitement antirétroviral dès la naissance
Pour gérer le cas d'une enfant née d'une mère séropositive, des médecins californiens lui ont administré une forte dose d'un traitement antirétroviral composé de trois médicaments, quatre heures seulement après sa naissance. Comme l'explique le New York Times*, les nourrissons sont normalement traités avec deux molécules et uniquement si l'infection est avérée. Les médecins attendent parfois plusieurs semaines.
Quels sont les résultats ? Neuf mois plus tard, l'enfant, toujours traitée, ne présente aucune trace de virus. Sa charge virale reste indétectable. "Ce qui est le plus remarquable, c'est la rapidité avec laquelle le virus a disparu. Les tests ADN étaient négatifs quand elle avait six jours et le sont restés depuis", s'étonne une des pédiatres qui a suivi la fillette. Difficile de parler de "guérison" : elle est pour l'instant considérée en "rémission". Le virus peut être caché dans les tissus et revenir, explique le Guardian*.
Pourquoi c'est prometteur ? Il s'agit du deuxième cas d'un enfant traité par antirétroviral et ne présentant plus de signe de l'infection. En 2012, un bébé séropositif, né dans le Mississippi (Etats-Unis), avait été traité de façon précoce, avec succès. Les tests n'ont toujours pas détecté la présence du VIH dans son sang. Pour Philippe Benaroch, cela est donc "assez encourageant" et montre que "plus on traite tôt, plus on empêche la formation d'un réservoir viral et plus on contrôle l'infection". Le traitement semble aussi "sans danger pour l'enfant". Selon le New York Times, un essai clinique concernant 60 nourrissons doit bientôt être lancé.
Des cellules génétiquement modifiées contre le virus
Pour créer une résistance naturelle au virus, une équipe américaine s'est appliquée à modifier génétiquement des cellules. Emmenée par Carl June, professeur d'immunothérapie à l'université de Pennsylvanie (Etats-Unis), elle a ciblé les lymphocytes T – des cellules immunitaires – de douze patients volontaires infectés et y a introduit une mutation rare dans le gène CCR5.
Celle-ci, présente chez seulement 1% de la population, fonctionne comme un bouclier face au virus. En 2012, Timothy Brown, un séropositif surnommé "le patient de Berlin", a été déclaré guéri après une greffe de moelle osseuse dont le donneur présentait cette mutation. Comme l'explique le spécialiste santé de France 2, Jean-Daniel Flaysakier, sur son blog, les médecins ont ensuite "réinjecté par milliards" les cellules modifiées dans le sang des patients.
Quels sont les résultats ? L'étude, qui testait la sécurité et non l'efficacité du traitement selon le New York Times*, s'est révélée concluante sur le fond. Ses résultats, publiés dans le New England Journal of Medicine*, montrent que sur les douze patients, six ont arrêté leur trithérapie pendant trois mois. Pour quatre d'entre eux, la charge virale a baissé et les cellules modifiées ont persisté plus longtemps que les autres. Pour un seul, la charge virale est devenue indétectable.
Pourquoi c'est prometteur ? "Cela renforce notre conviction que des cellules immunitaires T sont la clé pour éliminer le besoin de prendre des antirétroviraux toute sa vie", a déclaré Carl June. Mais "de là à ce que l'on voie si elles sont efficaces contre le sida, il y a un grand pas", juge Philippe Benaroch. Pour lui, tester ce protocole sur des humains prendra du temps et posera "une question de coût".
Une injection mensuelle d'antirétroviraux en prévention
Le traitement prophylactique, ou préventif, est au cœur des travaux menés par des virologues du Centre de recherches sur le sida à New York, et publiés dans Science*. Ils ont testé, sur des singes, l'efficacité du GSK744, un antirétroviral expérimental développé par le laboratoire britannique GlaxoSmithKline et approuvé par l'Agence américaine des produits alimentaires et pharmaceutiques. Pour cela, ils ont injecté le VIH dans le rectum de seize macaques, une fois par semaine pendant deux mois, détaille la revue Nature*. Huit d'entre eux ont aussi reçu une injection mensuelle et à effet prolongé du GSK744.
Quels sont les résultats ? Aucun singe ayant bénéficié d'injections mensuelles d'antirétroviral n'a été infecté par le VIH. Les autres, en revanche, l'ont tous été, parfois en à peine deux semaines. Le GSK744 aurait donc joué un rôle de protection. Des résultats similaires ont été obtenus par les centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), qui ont mené la même expérience sur douze macaques femelles, en leur inoculant le virus par voie vaginale.
Pourquoi c'est prometteur ? Pour Philippe Benaroch, ces recherches pourraient être une réponse efficace à la mauvaise observance de certains patients, qui respectent mal leur traitement. "En faisant des injections, on peut obtenir une protection qui dure plus longtemps que par oral", explique-t-il. D'après Nature, une dose unique de GSK744 protège les singes pendant 5 à 10 semaines en moyenne. Chez l'être humain, une injection tous les trois mois suffirait.
"L'idée de pouvoir espacer ces injections et que ce soit efficace serait un progrès" notamment pour les personnes à risque, poursuit le chercheur. Cela permettrait de "limiter la transmission". Un premier essai clinique sur 175 personnes doit avoir lieu, en 2014, aux Etats-Unis, au Brésil, en Afrique du Sud et au Malawi, selon l'AFP.
Un anneau vaginal expérimental contre le sida
Eviter grossesse et contamination. Tel est l'objectif d'un anneau contraceptif protégeant du sida présenté à Boston. Son fonctionnement est détaillé dans la revue scientifique Plos One*. Concrètement, l'anneau diffuse du lévonorgestrel, bloquant l'ovulation, et du ténofovir, un médicament antirétroviral déjà délivré sous forme orale. L'anneau, proche du point de transmission du virus, présente l'avantage de ne diffuser que des petites doses.
Quels sont les résultats ? 144 femmes ont déjà testé le dispositif. Les chercheurs ont effectué des biopsies vaginales, où ils ont étudié la quantité de médicament encore présente. Ils ont ensuite ajouté du virus sur ces prélèvements. Conclusion : les tissus, qui ont été en contact avec du ténofovir, lui résistent plutôt bien. Avec cet anneau, les médecins pensent donc pouvoir éviter des contaminations.
Pourquoi c'est prometteur ? Pour Philippe Benaroch, ce dispositif présente "pas mal d'avantages", comme celui d'être une "alternative intéressante au préservatif masculin qui n'est pas mis". Mais ces recherches nécessitent d'être poussées : "Il faudrait tester cet anneau en situation réelle, auprès des prostituées de certains pays d'Afrique par exemple. Les chercheurs pourraient alors mesurer de façon plus précise s'il y a une baisse d'infections."
*articles en anglais
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