Irène Frachon, à l'origine de la révélation du scandale du Mediator, a été entendue comme témoin mercredi à Arcueil
Après l'audition, dans le cadre de l'enquête préliminaire menée par le parquet de Paris, la pneumologue a lancé: "C'est un soulagement de voir que la justice a commencé son travail sur cette histoire dramatique".
L'auteur du livre "Mediator 150 mg. Combien de morts?" avait relevé d'importants dysfonctionnements cardiaques chez certains patients.
Irène Frachon a enquêté pendant plusieurs années, avec le soutien de ses collègues du service de cardiologie du CHU de Brest, sur le rôle du Mediator, antidiabétique qui serait à l'origine de plusieurs centaines de morts.
"On sent que la puissance des laboratoires vacille, on est à un moment-clé. On a peut-être d'ailleurs surestimé leur puissance", a-t-elle ajouté. Irène Frachon a été interrogée par les gendarmes de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), situé à Arcueil, dans le cadre de l'enquête ouverte en décembre par le parquet de Paris après le dépôt d'une première plainte.
Il s'agit de la première audition réalisée dans le cadre de cette enquête, a-t-on appris de source judiciaire. Mme Frachon, qui a de nouveau été entendue le 13 janvier, a exposé aux enquêteurs "de façon chronologique" et "documents à l'appui" comment elle a peu à peu été alertée des possibles méfaits du Mediator.
"Le point central, c'est quand quand je me suis aperçue que la consommation du Mediator ou de l'Isoméride (autre médicament du laboratoire Servier, ndlr) pouvait provoquer la formation d'un métabolisme commun, d'un même poison, qui attaque les valves du coeur", a-t-elle expliqué.
Un cardiologue accuse le laboratoire Servier
Le Pr de cardiologie Bernard Iung accuse le laboratoire Servier d'avoir dénaturé en 2009 son rapport sur le Mediator. Il démontrait "le lien de causalité entre le Mediator et les valvulopathies". But, selon Bernard Iung dans "Libération" jeudi: tenter d'en éviter le retrait.
Le Pr Bernard Iung, spécialiste des atteintes des valves cardiaques, "rémunéré 5.000 euros" par le laboratoire pour cette étude, affirme dans le quotidien daté du 13 janvier que sa présentation destinée à l'Agence du médicament (Afssaps) a été modifiée par le laboratoire Servier qui commercialisait le benfluorex en France jusqu'à son retrait en novembre 2009.
"Initialement, je devais rendre un rapport écrit. Puis le laboratoire m'a demandé de le présenter à l'Afssaps" lors de la commission d'autorisation de mise sur le marché du 23 octobre 2009, raconte le Pr Iung. "J'avais écrit que, vu le signal fort (de toxicité), une surveillance échocardiographique des patients traités au benfluorex était adéquate". Cette remarque "figurait sur la dernière diapo la veille de la réunion dans l'après-midi".
Le jour de la présentation, le Pr Iung dit avoir découvert des "modifications" sur la diapositive, où il a été ajouté que "les propositions du laboratoire sont adéquates".
"J'ai sans doute manqué de discernement", avoue le cardiologue pour qui cette conclusion "ne correspondait pas à (son) sentiment". Le Pr Iung explique avoir "revu la présentation à la dernière minute et" n'y avoir "pas prêté attention". "J'étais focalisé sur les chiffres", assure-t-il.
Mais "Libération" note qu'il semble bien avoir lu la diapositive telle quelle d'après le compte-rendu qu'en a fait la pneumologue Irène Frachon dans son livre. "Ca peut poser la question de savoir si les experts ne devraient pas être mandatés directement par l'Afssaps", ajoute le professeur en cardiologie.
Servier se défend d'avoir minoré les risques
Le laboratoire Servier s'est défendu d'avoir "minoré les risques éventuels" du Mediator pour éviter son retrait, en modifiant en 2009 la présentation de l'étude du Pr Iung.
Selon Servier, ce changement "ne touchait en aucune manière les résultats de l'étude" et concernait seulement "le suivi des patients traités et les contre-indications".
"La modification, loin de chercher à minorer les risques éventuels, jugeait adéquates deux surveillances du médicament", contre "une seule" recommandée par le document d'origine, a affirmé le laboratoire, avant d'ajouter: "La version initiale préconisait une surveillance échographique. La version définitive ajoutait à cette surveillance l'inscription d'une contre-indication en cas d'anomalie valvulaire".
"Les laboratoires Servier tiennent à rappeler qu'ils ne se sont jamais opposés au retrait du médicament décidé par l'Afssaps en 2009", concluent-ils dans un communiqué, ajoutant que le groupe "a seulement estimé nécessaire d'envisager l'ensemble des hypothèses et notamment la balance bénéfice-risque" du Mediator.
Le Mediator a été prescrit à quelque cinq millions de Français de 1976, jusqu'à son interdiction fin 2009, et serait à l'origine de la mort de 500 à 2.000 personnes, selon des estimations contestées par le laboratoire Servier. Il aurait également provoqué de graves lésions cardiaques chez des milliers d'autres.
Au 11 janvier, un total de 116 plaintes avaient été déposées au tribunal de grande instance de Paris par l'Association des victimes de l'isoméride et du Mediator (Avim), dont 10 pour homicide involontaire et 106 pour blessures involontaires.
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