"La Suède est devenue le cancre de l’Europe en matière de lutte contre le changement climatique", déplore François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC. Samedi 3 février : la chute du modèle suédois, particulièrement sur l'écologie.
Article rédigé par franceinfo
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Une usine en Suède (photo d'illustration). (OLIVIER MORIN / AFP)

franceinfo : Cette semaine, François, vous nous parlez d’une dégringolade : celle de la Suède.

François Gemenne : Souvenez-vous, Jean-Rémi, c’était il n’y a pas si longtemps : on nous vantait sans cesse le modèle suédois, et tout responsable politique qui aspirait à de hautes responsabilités devait faire le pèlerinage de Stockholm. Les Suédois avaient tout pour eux : des entreprises performantes, un système de sécurité sociale exceptionnel, une quasi-égalité entre les salaires des hommes et des femmes, et ils étaient numéro 1 sur l’écologie. C’est le pays modèle. D’ailleurs, s’il y avait eu un prix Nobel du meilleur pays, ils auraient carrément pu se l’attribuer à eux-mêmes.

Tout ça, c’est fini. Et ce n’est pas la victoire de la Suède à l’Eurovision l’an dernier qui va rattraper le coup. Aujourd’hui, la Suède est devenue le cancre de l’Europe, surtout en matière de lutte contre le changement climatique. C’est un des très rares pays industrialisés dont les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté en 2023. Et ça va continuer, jusqu’en 2030. De la part du pays qui a quasiment inventé la taxe carbone et qui a hébergé le tout premier sommet de l’ONU sur l’environnement en 1972, c’est quand même assez inattendu.

Comment est-ce possible ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

La Suède fait marche arrière un peu partout, et notamment dans sa politique de transport : fin de la prime au covoiturage et à l’utilisation des transports en commun, fin des subventions pour l’éolien offshore et pour le TGV, augmentation des subventions aux énergies fossiles, fin des crédits d’impôts pour l’achat de voitures électriques, réduction de la part des biocarburants, fin des critères climat dans l’attribution des marchés publics…

"Tout ce qui a fait le succès des politiques climatiques en Suède depuis 30 ans est abandonné."

François Gemenne

franceinfo

Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui motive ça ?

Beaucoup de choses ont changé en Suède ces dernières années. Le paysage politique du pays a éclaté, notamment sous l’effet de l’apparition d’une formation d’extrême droite, les Démocrates de Suède. Le système social suédois, qui était conçu pour une population très homogène, n’a pas réussi à intégrer l’importante immigration du pays, et le pays s’est réveillé avec d’importantes tensions sociales et des disparités géographiques, des ghettos, qui ont à leur tour engendré de la criminalité.

Quel rapport avec le climat, me direz-vous ? Eh bien quand le nouveau gouvernement a été présenté en octobre 2022, il a dû compter sur l’appui des Démocrates de Suède, qui ne participent pas formellement au gouvernement mais appuient sa politique. Et ils ont bien sûr monnayé leur soutien, en demandant l’abandon des objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Il fallait lutter contre l’inflation et renforcer le pouvoir d’achat, et l’écologie fut la variable d’ajustement.

"Les politiques climatiques ont fait figure de bouc émissaire idéal."

François Gemenne

franceinfo

C’est ce qu’on pourrait appeler le "green-blaming", pour reprendre un néologisme conçu par un nouveau collectif qui s’est lancé la semaine dernière, et qui s’appelle "Construire l’écologie".

Le "green-blaming", qu’est-ce que c’est ?

C’est la tendance qui consiste à construire un épouvantail écologique, qui ferait de l’écologie le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas. Mais toute coïncidence avec un phénomène observé ailleurs qu’en Suède serait évidemment purement fortuite, Jean-Rémi, n’est-ce pas…

Justement François, est-ce que ce qui se passe en Suède peut avoir une influence chez nous ? Est-ce que ça peut peser sur le Green Deal européen, par exemple ?

On pourrait se dire que ce n’est pas déterminant, bien sûr - après tout, en termes de population, la Suède c’est à peu près la taille de la Belgique. Mais la Suède, historiquement, c’était le pays qui tirait les politiques européennes vers le haut en matière d’environnement. C’est le premier pays à avoir instauré une taxe carbone, par exemple, dès 1991. C’était aussi le pays qui avait le plus réduit ses émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne, avec une baisse de 33% entre 1990 et 2021, pour arriver à l’empreinte carbone la plus faible d’Europe, autour de 5 tonnes par habitant.

Ce que cela veut dire pour nous, c’est que ce n’est pas parce qu’un pays a entamé sa transition qu’il ne peut pas faire marche arrière. Les entreprises suédoises, de Volvo à H&M, ont eu beau protester, ça n’a pas suffi : on pourrait croire qu’une fois la baisse des émissions engagée, elle allait forcément et naturellement s’amplifier, mais la Suède nous montre que ça peut s’arrêter d’un coup. Et c’est évidemment aussi le risque qui nous pend au nez…

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