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Gérard Feldzer aux commandes... Embarquement immédiat! (épisode 3/6)

Durant tout l’été, Gérard Feldzer, nous raconte, en six épisodes, son histoire personnelle liée à la mobilité, Un « transportez-moi spécial » sur des situations vécues aux commandes de tout ce qui roule, flotte… ou vole! Ce 3 ème épisode est consacré au métier de pilote de ligne avec ses joies, et la gestion des incidents.
Article rédigé par Gérard Feldzer
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
  (© gf)

Lorsque j’ai quitté la postale de nuit ou on pilotait aux fesses par tous les temps comme disait Mermoz, je suis passé sur des  machines mythiques comme la Caravelle, ou le Boeing 707, avant qu’ils ne partent à la casse. J’ai d’ailleurs convoyé ces avions pour leur dernier vol au cimetière  avec beaucoup de tristesse et de révérences.

 

La douce caravelle dont le général de Gaulle ne tarissait pas d’éloge, avait une particularité : du cockpit, on n’entendait absolument pas les moteurs qui se trouvaient accrochés au fuselage loin derrière, et nous n’avions pas d’inverseurs de poussée sur les réacteurs, ce qui nous obligait quelquefois à tirer un parachute de queue comme pour les avions de chasse.

 

Le Boeing 707 était très instable, et difficile à dompter, un très bon avion, quelques ennuis toutefois lorsque le centrage était mal calculé…expérience vécu ou l’accident a été évité de quelques secondes…

 

Le Boeing 747 c’est une vraie brouette, ou un camion selon les pilotes, moi je dirais une baleine très docile et facile à poser, Il  m’a donné l’occasion de mes meilleurs "kisslanding" ! (se poser doucement comme un baiser)

 

Puis la série des Airbus A310, 320, 330 et l’A’340 dont j’ai fait la 1ère qualification chez Airbus…une révolution dans l’aviation de transport (commandes numériques, mini manche, glass cockpit, transferts carburants…) Il a fallut changer totalement de méthodes de travail, certains pilotes qui avaient beaucoup d'expérience sur des machines classiques ont eu beaucoup de difficultés à assimiler ces nouvelles interfaces hommes-machines.

 

Quelques incidents évidemment : des déroutements, des foudroiements, des alertes à la bombe des évacuations sur toboggans, des pneus éclatés à l’atterrissage, mais finalement on subit un tel entrainement que cela se gère d’autant mieux.

 

Sans compter ce passager fou qui voulait se suicider en tentant de prendre les commandes de mon A340, un vol sur Dakar…pas très facile à gérer. Nous avons dérouté sur Bordeaux, il est mort à l’arrivée, on a tout fait pourtant pour le sauver, et il a fallu gérer aussi les passagers une situation violente que je ne souhaite à personne.

Comme quoi, l’impensable peut toujours arriver, comme le pilote du Germanwings récemment par exemple.

 

Mais malgré cela le transport aérien avec ses 3 milliards de passagers transportés chaque année reste de loin le plus sur , 1000 fois plus sur que la route ! 

     

Les 6 épisodes à retrouver

-1/6 : 18 Juillet, de l’enfance aux études

-2/6 : 25 Juillet, les métiers de l’ingénieur et du pilote

-3/6 : 1er Aout , Le métier de pilote de ligne

-4/6 : 8 Aout , Records et autres aventures aériennes

-5/6 : 15 Aout, l'aviation solidaire...aviation sans frontières, les ailes de la ville, les pilotes handicapés.

-6/6 : 22 Aout, fais de ta vie un rêve et de tes rêves une réalité (Saint Exupéry) projets liés à l'aéronautique et aux transports de demain.

Annexe :

Ci-dessous : le portrait publié par le journal Libération par Richard Poirot -Mai 2015

L'Icare des sunlights

 PORTRAIT

Consultant télé, sollicité après chaque crash d’avion, cet ex-pilote d’Air France est aussi inventeur, aventurier et écolo.

Lu sur son CV : inventeur de la machine à décortiquer les cacahuètes, du fusil à patates et de Condom Fly, la montgolfière en forme de capote. OK, stop, inutile d’en tartiner davantage, de gâcher ces premières lignes magiques. On grossit la photo, on bâche la page d’un titre facile, style «il préfère l’amour en l’air», et on plie les gaules.

Hélas, Gérard Feldzer ne doit pas sa notoriété à la révolution apéritive, ni à son arme de dérision massive, mais à ses connaissances aéronautiques. Car cet homme de 71 ans aux allures de Pierre Richard est également ancien commandant de bord.

Et quand un avion tombe, le voilà consultant disponible et increvable tanqué sur les plateaux de BFM TV et d’ailleurs, à donner un sens à l’insondable, à expliquer que cette descente régulière du vol de Germanwings n’a rien d’un hasard, que l’A320 est l’un des avions de ligne les plus fiables au monde, que les cockpits sont devenus des forteresses imprenables et qu’il a mal au cul à force d’être assis. «Vingt et une heures de direct en deux jours, j’en pouvais plus. J’ai dit ça à la fin d’une intervention, il paraît que c’est passé en direct !»  Rire pouffé.

Sa compagne le chambre. Elle lui reproche de se précipiter dès qu’il y a une caméra. Il avoue : «C’est un peu vrai.»  Admet la faille : «Ça doit se guérir.»  Précise qu’il n’a programmé aucune séance chez le psy. Une présence cathodique justifiée aussi par son expérience personnelle. Lors d’un vol Paris-Dakar, un passager se précipite sur les manettes. Ils s’y mettent à plusieurs pour le maîtriser et, dans la confusion générale, le suicidaire perd connaissance et meurt.

Mais c’est vrai que les médias, Feldzer adore ça. Il a le goût de se montrer, le plaisir d’expliquer. Et ce besoin d’en faire toujours plus, de prouver qu’il n’est pas plus mauvais qu’un autre «et que vous allez voir ce que vous allez voir» . Une crânerie jetée au front des bien nés qui fait office de devise pour toute une vie.

Son père, immigré venu de Kiev, est abattu par les Allemands en 1944, six mois après sa naissance. La guerre finie, la mère quitte la Haute-Loire et monte à Paris. C’est le temps des vaches maigres. Les trois frères, fils de résistant mort au combat, deviennent pupilles de la nation. «L’horreur intégrale. En primaire, j’étais habillé par la mairie. La cape, les chaussures, on te reconnaissait tout de suite comme étant le pauvre à qui on donne une orange à Noël. La pitié, ça fait chier.»  Cette honte originelle fut son carburant.

Depuis, Feldzer est en compétition permanente. Derrière l’homme tronc spécialiste des déraillements aériens se cache un aventurier aux mille «parenthèses de vie»,  un pédagogue qui restitue ce qui lui a été donné.

Car il a eu de la chance. Il se souvient de ses 17 ans, quand un homme l’attrape par le col et le conduit vers une école atypique qui transforme les sans-bac en ingénieurs. Jusque-là, Feldzer a méticuleusement saboté sa scolarité : «Mes livres, je les vendais dès la rentrée, tu vois le genre !»  Il préférait le trottoir, partait à la baston contre la bande de Clichy.

Rien ne se passe normalement avec Feldzer. La dernière année, l’Estaca, son école d’ingénieurs, est en difficultés financières et menace de fermer. Il se trouve qu’on est en 1968, «l’époque est à l’autogestion» . Etudiant, il fait le tour des industriels et rachète l’école, qui existe toujours. Il en est même le vice-président.

Diplômé, il s’en va créer un village de vacances en Tunisie pour l’Unef, le syndicat étudiant. Période peace and love, «les cheveux jusque-là, les Bronzés, quoi».  Il revient au bout de deux ans pour concrétiser son rêve : devenir aviateur comme son oncle, pilote de chasse dans l’escadrille Normandie-Niemen, unité française qui combattit aux côtés des Soviétiques contre les Allemands. «C’était mon héros, il m’a fait connaître tous les as de la dernière guerre, ça a joué.»

Gérard Feldzer intègre une école d’aviation via un nouvel itinéraire bis. Et commence sa carrière en Algérie. Il se souvient de ce fils de légionnaire qui pilotait bizarrement. «Il a fini par m’avouer qu’il avait acheté sa licence à Brazzaville.»  Il lui enseigne quelques astuces… et le mercenaire devient instructeur. «Mais il est mort en avion. Il s’est planté avec son élève quelque part entre Pointe-Noire et Brazzaville.»  Il rit, sans cynisme.

On pourrait l’écouter des heures raconter ses histoires de casse-cou. «C’est un pilote excentrique, avec une vraie dimension poétique»,  dit son ami Nicolas Hulot. L’écologiste le rencontre alors que Feldzer fait voler «des engins qui n’auraient normalement jamais dû quitter le sol».  Justement, l’animateur d’Ushuaïa  est à la recherche de ce genre d’ovni. Gérard Feldzer les lui trouve, les lui crée. Ensemble, ils tentent en 1993 la traversée de l’Atlantique sur un dirigeable à pédales. L’affaire se termine dans l’océan, au large du Cap-Vert. «On n’était pas bien préparé»,  avoue le pilote. Un début de série noire pour Hulot, qui fera plus tard partie des passagers du vol Paris-Dakar. Il était dans le cockpit.

Les chutes, les membres cassés, les échecs, Feldzer en a connu. Mais il ne s’arrête jamais. «Gérard a mille idées à la seconde, mais n’en réalise qu’une par jour»,  s’amuse Hulot. «C’est un mélange de pilote professionnel, de Géo Trouvetou et de professeur Tournesol,  enchaîne le spationaute Jean-François Clervoy. Dès qu’il a une idée, il crée une association. C’est le recordman du monde des créations d’associations !»

Dans les années 80, il propose à des jeunes de la Cité des 4 000, à La Courneuve, de construire un avion et de voler avec. Mis à part quelques aléas, un meurtre dans la bande, «les flics qui arrivent et se font voler leur bagnole»,  ça marche. L’avion décolle.«Tu vis des moments formidables quand le partage est compris, accepté.»

Jean-François Clervoy admire cette énergie que consacre son ami «à vouloir rendre le monde meilleur». Son goût des médias serait une façon, pense-t-il, d’entretenir une notoriété qui lui permet de financer ses idées.«Un vrai généreux,  embraye Hulot,j’ai pu mesurer sur le terrain que ses projets avaient une viabilité.»  A l’image de son ONG Zebunet, qui propose du microcrédit aux paysans vietnamiens et africains.

Depuis sa péniche, amarrée à la Concorde en face de l’Assemblée nationale, Gérard Feldzer phosphore. CarWatt, c’est pour transformer une Véhicule utilitaire diesel en électrique. FitnessWatt récupère l’énergie dépensée sur un vélo d’appartement. HamsterWatt, c’est pareil, avec des hamsters. Nicolas Hulot dit qu’il est une «usine à lui tout seul qui part dans tous les sens».  C’est aussi un enfant avec une âme d’entrepreneur et des idées folles qui prennent corps.

En 7 dates

1974 Pilote chez Air France. 1984 Record du monde de vitesse et de consommation en avion de constructeur amateur avec Alain Souchon. 1985 Candidat astronaute. 1995Président de l’Aéro-club de France. 2005 Directeur du Musée de l’air. 2010 Conseiller régional Ile-de-France (Europe Ecologie-les Verts).

Richard POIROT

 

 

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