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"L'Europe, qui était le continent de la paix, va devenir un continent qui va réfléchir à sa protection, à sa souveraineté", estime Jean Viard

Dans "Question de société" aujourd'hui, on évoque le 8 mai 45, la commémoration de la  victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie, et la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
8 mai 2022. Oyonnax, commémoration de la victoire du 8 mai 1945 à Oyonnax et remise à la ville de la médaille de la Résistance Française. Photo souvenir avec les porte-drapeaux. (CATHERINE AULAZ / MAXPPP)

Avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherches au CNRS, auteur de nombreux ouvrages sur la France, on évoque aujourd'hui le 8 mai, cette commémoration du 8 mai 45, la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie, et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 8 mai n'a pas toujours été commémoré. On peut se souvenir notamment que Giscard d'Estaing, entre 1975 et 1980, avait décidé qu'on ne commémore plus cette date.

franceinfo : En quoi est-ce important aujourd'hui de commémorer cette date ? Quel sens ça a ? 

Jean Viard : Bien sûr, c'est une victoire. C'est la fin de la guerre mondiale, c'est une victoire sur le nazisme, c'est une victoire sur une idéologie. Le 11 novembre, qui est l'autre commémoration de victoire avec l'Allemagne, c'était la guerre de 14-18, ça n'avait pas ce sens idéologique. On pourrait presque en faire une journée antiraciste si on voulait, voir le sens effectivement que ce combat a eu, et ce combat, il n'a pas d'époque : se battre contre le racisme, se battre contre l'holocauste des juifs, etc., évidemment, ce n'est pas daté historiquement, donc c'est important.

Je crois que c'est "une bataille du sens" le 8 mai, et je crois que c'est pour ça qu'on l'a remis. C'est vrai que le président Giscard d'Estaing avait trouvé qu'il y avait beaucoup de commémorations sur l'Allemagne, puisqu'il y en a deux. Et c'est vrai que de ce point de vue, il n'avait pas tort parce qu'en France, il y a 11 jours fériés, dont quatre qui sont à connotation politique. Il y a le 14 juillet, il y a le 1ᵉʳ mai bien sûr. Et puis il y a le 8 mai et le 11 novembre qui sont deux commémorations de fin de guerre mondiale, mais qui sont quand même pour nous en France, vécues comme des fins de guerre avec l'Allemagne. Il y a un vrai sujet, c'est qu'au fond, les jours fériés restent fondamentalement chrétiens dans cette société fondamentalement laïque. 

Vous parlez d'une victoire sur l'idéologie, il y a aussi la victoire militaire, la fin de la guerre et donc l'avènement de la paix. Une paix durable en Europe pour plus de 70 ans, qui commence à être menacée avec la situation en Ukraine. Mais c'est aussi la paix qu'on célèbre en ce jour ? 

Mais bien sûr, et c'est là-dessus qu'on a fondé l'Europe, sur l'idée qu'on fête la paix, on fête la fin de la guerre et on fête l'idée qu'on va tâcher de construire un continent autour de l'idée de paix, ce qui est la base de l'idée européenne qui nous a amené jusqu'à aujourd'hui. Alors, c'est vrai qu'on est dans une nouvelle époque. L'Ukraine ne fait pas partie de l'Union européenne, mais l'idée qu'il y ait une guerre en Europe, l'idée qu'il y ait un pays qui, au fond, aille attaquer son voisin, c'est un peu comme si on allait occuper Bruxelles. Les Belges seraient tellement surpris que, à mon avis, ils n'auraient aucun plan pour se protéger.

Là, on est dans une autre époque ou je pense que l'Europe, qui était le continent de la paix, va davantage devenir un continent qui va réfléchir à sa protection, à sa souveraineté et dans la souveraineté, il n'y a évidemment pas que le militaire, il y a aussi l'énergie et l'alimentation. Et on le voit bien d'ailleurs dans la crise ukrainienne, donc ça va nous amener à une autre réflexion. On a eu la chance de vivre 70 ans de paix. C'est l'époque "peace and love" de ma génération, celle de 68. Mais là, on est malheureusement en train d'en sortir. Il va falloir se remotiver autrement. 

Cette année, le calendrier est un peu taquin avec des jours fériés qui tombent un dimanche, notamment au mois de mai. On pourrait imaginer que pour marquer le fait qu'un jour soit vraiment férié, il tombe de toutes les façons sur sur un jour travaillé, d'autres le font ?

Oui, les Allemands le font et ils ont mis leurs jours fériés le lundi, notamment les jours fériés issus de la culture religieuse. Et je trouve que cela aurait du sens. Les jours républicains, le 14 juillet, ça ne peut pas être autrement, le 1ᵉʳ mai, mais les jours religieux, libre à chacun d'aller à l'Église, pour les chrétiens, le jour férié, mais on a un acquis social, ces 11 jours fériés, on ne peut pas les toucher, mais effectivement, on déciderait systématiquement que c'est le lundi qui est férié, un pont de trois jours, et puis après si dans le courant de la semaine, le jeudi de l'Ascension, ou le jour où ça tombe, les croyants chrétiens veulent commémorer, c'est leur problème.

Mais la plupart des gens ne commémorant pas d'un point de vue religieux, je pense que mettre le jour férié systématiquement le lundi, les jours issus du christianisme, ce serait une façon de laïciser le calendrier sans au fond, attaquer les traditions.

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