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USA : l'irrésistible montée des "charter schools"

Elles scolarisent deux millions d’écoliers américains, c'est cinq fois plus qu'il y a dix ans. Financées par des fonds publics elles sont entièrement gérées par des organismes privés. On les appelle des "charter schools". Sont-elles l'avenir de l'école ? Aux Etats-Unis la question se pose…
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15 min
  (Maxppp)

C'est ce que pensent les autorités de la Nouvelle Orleans où le district scolaire le plus important - il couvre 33.000 élèves - vient de passer à 100% sous ce régime des "charter schools".

Comment cela fonctionne-t-il ?

Sur la base d'une charte qui définit les obligations de l'école, notamment en termes de résultats. La principale différence avec les écoles publiques tient à la liberté qui leur est donnée de recruter et de licencier leur personnel comme elles l'entendent et de déployer l'approche pédagogique qu'elles souhaitent. Ensuite elles sont évaluées, généralement tous les trois ou cinq ans. Si les résultats sont conformes aux objectifs, la charte est renouvelée, sinon l'Etat peut retirer son agrément et donc son financement.

Ce système n'existe pas seulement à La Nouvelle Orléans

Non. La première charter school est née il y a vingt ans dans le Minnesota. Depuis une loi a autorisé tous les États à se doter de telles écoles - 42 des 50 États l'ont fait. Mais si La Nouvelle Orléans est allée aussi loin c'est à cause de l'ouragan Katrina. Nous sommes en 2005, toutes les infrastctures scolaires ont été détruites, et les autorités y voient l'occasion de changer radicalement de système - il faut dire que le système précédent était totalement déficient, puisqu'il affichait les pires résultats des États Unis. Les écoles les moins performantes sont alors réunies dans un District unique, le Recovery School District. Lequel ferme d'entrée de jeu une quarantaine d'écoles, et privilégie le modèle de la "charter school" qui va donc, à partir de la rentrée prochaine, s'appliquer aux 58 écoles du district.

Parce que les résultats y sont meilleurs ?

Les résultats sont ambigus, comme l'explique le Washington Post. En apprence oui, les progrès sont spectaculaire : avant Katrina, 54% des élèves de la Nouvelle Orléans finissaient leurs études secondaires, ils sont aujourd'hui 77%. Mais il y a des bémols. Le premier est que la population a changé : certains jeunes, parmi les plus fragiles, ne sont pas revenus à l'école après la catastrophe. Ensuite les dégâts sociaux ont été considérables puisque des milliers d'enseignants ou de personnels des écoles ont été licenciés. Ils ont d'ailleurs porté plainte et la justice leur a octroyé au total un milliard de dollars d'indemnités pour licenciement abusif. Enfin ce système est en train de tuer le lien historique entre les écoles et leur quartier puisqu'on peut être affecté loin de chez soi.

On n'est pas libre de choisir sa charter school ?

Quand il y a coexistence des deux systèmes, si Les écoles choisissent. En revanche le Recovery District procède différemment : les candidats sont affectés par un système de loterie l'électronique.

La Nouvelle Orléans a donc complètement réinventé son système

Exactement. Katrina a donné la possibilité de faire table rase et plutôt que de reconstruire un système qui marchait mal, les autorités en ont profité pour tenter autre chose.

Ce système progresse ailleurs...

Oui. En dix ans on est passé au niveau national de 2000 à près de 6000 charter schools et de 500.000 à plus de deux millions d'élèves scolarisés. C'est clairement une tendance. Cela ne se fait pas sans heurts. Ses détracteurs dénoncent son rôle dans l'aggravation des inégalités, affirmant que ces écoles accueillent majoritairement des enfants issus des classes moyennes blanches. Ils s'attaquent aussi à la pression qui pèse permanente sur les élèves et les enseignants du fait des évaluations qui sont régulièrement menées. Enfin certains accusent les organismes qui gèrent ces écoles d’n tirer des bénéfices indécents : sur les 350 millions de dollars versés l’an passé aux chartes schools de l’Etat de Pennsylvanie, seuls 150 millions auraient été dépensés. Bénéfice net : 200 millions. Où sont-ils passés demandent les défenseurs du système public.

Un tel système pourrait-il prendre en France ?

D'une certaine manière il existe avec l'enseignement privé sous contrat, qui scolarise environ 20% des élèves. L'Etat assume l'essentiel des charges puisqu'il paie les salaires des enseignants, en échange de quoi les établissements sont censés respecter un certain nombre d’obligations. C'est la même logique, à ceci près qu’on est en France dans une obligation de moyens, pas de résultat – le renouvellement du financement n’est pas lié aux performances des élèves. Autre différence : en France 95% de ces écoles sont catholiques - ce système a en quelque sorte été inventé pour pérenniser un ordre scolaire préexistant, il n'a pas été mis en œuvre par des opérateurs privés au sens commercial du terme. Aux États-Unis cette idée de déléguer l'éducation au privé sur fonds publics est nouvelle - il existe bien là-bas un enseignement privé, mais qui correspond en France au privé hors contrat. Enfin le format des charter schools relève aussi d'une autre philosophie, une philosophie de la réforme, qui considère que les services publics sont trop lents et trop difficiles à faire évoluer, que le poids des statuts, le rôle des syndicats sont trop puissants, et que la seule façon de faire bouger les choses est de repartir d'une feuille blanche.

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