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Orientation au lycée : faut-il donner "le dernier mot" aux familles ?

Donner le dernier mot aux familles, lors de l'orientation en fin de troisième : c'est une des expérimentations lancées cette année par l'Education nationale. Le ministère vient d'en dévoiler les contours.
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
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Une
expérimentation pour l'instant modeste, puisqu'elle ne concerne pour le moment 117 collèges (sur
7.000) répartis dans 12 académies. Le principe ? Après avoir fait
l'objet d'une proposition du conseil de classe et au terme d'une concertation
approfondie avec l'équipe éducative, la décision d'orientation revient aux
responsables légaux de l'élève ou à celui-ci lorsqu'il est majeur.

L'objectif, c'est de lutter contre ce qu'on appelle
"l'orientation subie ".

Oui.
C'est ce qu'a rappelé vendredi Georges Pau Langevin, la ministre déléguée à la réussite éducative : "Le
sentiment de l'orientation subie, en particulier vers l'enseignement
professionnel, est identifié comme l'une des causes du décrochage parmi une
pluralité de facteurs - scolaires, sociaux, familiaux, personnels qui peuvent y
contribuer.
"

Il existait déjà des recours...

Oui,
qui continueront d'ailleurs à concerner la plupart des collégiens. Quand la
décision du conseil de classe n'est pas conforme à la demande de l'élève ou de
sa famille, les parents ont la possibilité de faire appel de cette décision.

Avec de bonnes chances d'être entendus...

Oui et non. En moyenne, " 60 % des familles en désaccord avec la
proposition du conseil de classe voient leur vœu initial entériné 
" -
c'est ce qu'indique une étude de la Direction de l'évaluation et de la
prospective
. Une étude qui vient de paraître, et dont le titre vous explique pourquoi
la réponse est oui et non : elle s'intitule en effet : "Le déroulement
de la procédure d'orientation en fin de troisième reste marqué par de fortes
disparités scolaires et sociales
".

Je cite : "à résultats
scolaires et autres caractéristiques sociales donnés, les enfants
d'agriculteurs, d'employés et d'ouvriers choisissent moins souvent d'être
orientés en seconde GT que les enfants de cadres et d'enseignants, sans que
cette moindre ambition ne soit corrigée par les décisions du conseil de
classe
".

C'est une sorte de double peine...

Exactement.
Première étape : vous êtes issus d'un milieu modeste. Vos résultats sont
inférieurs à ceux des enfants de cadres ou d'enseignants. Vous allez moins
souvent demander une orientation en filière générale. C'est ce que l'étude
appelle "l'auto sélection ". Et même si vos notes sont identiques à
celle par exemple d'un enfant d'enseignant, le conseil de classe va se
satisfaire de votre choix, sans vous expliquer que votre enfant a peut-être le
profil d'un élève de filière générale. Et c'est pareil lors des procédures
d'appel.

A contrario, plus de 90 % des enfants de cadres, professions libérales
et d'enseignants demandent une orientation en seconde GT, contre moins de la
moitié des enfants d'ouvriers non qualifiés et d'employés de service aux
particuliers, et à peine plus du tiers de ceux d'inactifs.

Mais alors si cette "autosélection " - ou
cette autocensure - est aussi forte, ça ne va pas changer grand-chose
de donner le dernier mot aux familles...

C'est effectivement le risque. Le ministère le sait. En fait la vraie nouveauté
et le vrai enjeu de cette réforme vient avant, bien avant même, le conseil de
classe et la procédure d'appel : c'est tout le travail de dialogue avec
les élèves et les familles qui doit s'organiser tout au long de la classe de troisième. Sans cette
anticipation, sans cet effort d'explication, d'information, les choses risquent
de ne pas changer.

Est-ce que ce dernier mot aux familles concerne
aussi le redoublement ?

Indirectement.
En fait le redoublement en fin de troisième est devenu rarissime. Il ne
concerne plus que 3 % des élèves. Mais une partie d'entre eux choisit le
redoublement suite à une décision d'orientation en lycée professionnel. Donc
avec la nouvelle procédure, ils pourront obtenir satisfaction, ce qui signifie
que le redoublement va devenir insignifiant.

Le paradoxe, c'est que cela risque de mener plus
d'élèves vers la filière générale, alors même que la voie professionnelle est
une voie de réussite pour certains élèves qui sont fragiles au niveau scolaire...

C'est
effectivement paradoxal, d'autant que George Pau Langevin défend la réforme en
expliquant, je cite, que "l'enseignement professionnel doit être valorisé
en tant qu'atout pour le redressement productif et l'insertion professionnelle
des jeunes
".

Il faut donc imaginer que le but réel du travail qui sera
organisé pendant l'année de troisième avec les élèves et les familles va
consister à en convaincre certains d'aller vers la voie professionnelle, afin
qu'elle devienne une orientation positive et non pas liée à une
"autosélection ". Mais pour cela il faudra un profond changement de
mentalité dans certains collèges, et notamment qu'on arrête, à résultat
équivalent, de conseiller la voie générale aux enfants de cadres et
d'enseignants et la voie professionnelle aux autres.

D'où l'intérêt de tester le dispositif sous forme
expérimentale dans un premier temps.

Oui.
Cela va permettre de comprendre ce qu'il faut mettre en place pour que cette
réforme n'aboutisse pas à l'inverse de son objectif, qui est de favoriser
l'équité et de limiter le décrochage.

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