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L'irrésistible ascension des bachelors

Il va falloir s'y faire, le mot  " bachelor " ne désigne pas seulement un célibataire en anglais, c'est aussi le nom du diplôme qui monte dans l'enseignement supérieur.
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
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Un
diplôme qui, à une exception près, n'en est pas encore un au sens légal du
terme, disons qu'il s'agit pour l'instant d'un label qui désigne des formations
accessibles après le baccalauréat, d'une durée de trois ans, et qui sont
largement tournées vers les savoirs professionnels.

Il en existe plusieurs dizaines
dans les écoles de commerce.

Ils coûtent en moyenne 7 à 8000 euros par an – et
permettent soit d'entrer dans la vie active, soit de présenter les concours d'entrée
dans les master des grandes écoles. Les écoles d'ingénieurs ne sont pas en
reste : elles créent des formations de ce genre, la dernière en date étant
le bachelor technologique de l'Ecole nationale supérieur des arts et métiers. Il
pourrait faire date car ce bachelor-là est bel et bien reconnu comme un diplôme
– il donnera à ses récipiendaires l'équivalent d'une licence.

Et d'ailleurs ce format n'est pas très éloigné
de ce qu'on appelle la " licence professionnelle " à l'université.

Absolument.
Sauf qu'il se développe majoritairement dans des écoles privées ou consulaires.
L'initiative des arts et Métiers, grande école publique, est à ce titre
significative. Elle peut contribuer à faire entrer le bachelor dans la cour des
grands.

Pourquoi ce label séduit-il ?

D'abord
par la pédagogie mise en œuvre. Beaucoup de stages, souvent des possibilité d'alternance,
des études souvent tournées vers l'international avec séjours obligatoires à l'étranger,
des cours pratiques à base d'études de cas, et puis il y a l'environnement de
ces écoles de commerce ou d'ingénieurs, qui donne une large place à la vie
associative.

Le format typique, par exemple, d'une journée de bachelor aux Arts
et métiers consistera en matinées dédiée à l'apprentissage théorique, et une
après-midi consacrée à des projets concrets,
menés en groupe, en relation avec des industriels.  Cela séduit donc des jeunes qui veulent
apprendre autrement, qui sont moins à l'aise dans le format beaucoup plus
scolaire des classes préparatoires ou des BTS. Ensuite il ya  le choix qu'offre cette formule :
travailler au bout de trois ans ou rejoindre un master – on peut décrocher un
diplôme de grande école, le même  que si
on était passé par un cycle traditionnel, en attaquant par un bachelor.

Enfin
ce cursus est sélectif et  ça rassure
beaucoup de familles et d'étudiants. Ils ont le sentiment que c'est un gage de
qualité mais aussi que l'établissement d'accueil s'engage plus fortement
puisque dès le départ il vous juge capable de réussir. Donc c'est typiquement
une filière qui attire des bacheliers qui n'auraient pas accès aux meilleures
prépas mais qui ont du potentiel ; elle est également très adaptée aux
bacheliers technologiques.

Elle se développe surtout dans le privé.
L'argent n'est pas un obstacle ?

Non.  Je rappelle que le nombre d'étudiants a
augmenté de 50% au cours des 10 années écoulées, et que 80% de cette
augmentation s'est faite au profit du privé. Nous sommes en période de crise. Les
familles sont prêtes à investir pour que les enfants trouvent un emploi, et c'est
une promesse que les écoles sont réputées tenir. En outre le dogme de la
gratuité des études supérieures dans le secteur public est attaqué de toutes
parts : dans la plupart des filières sélectives on parle d'augmenter les
droits, généralement autour de 2 à 3000 euros par an. On voit se dessiner un
paysage nouveau dans lequel la quasi gratuité va devenir l'exception.

Et l'Etat ne s'inquiète pas de cette
concurrence nouvelle des bachelors, qui d'adressent au même vivier que les
BTS, les DUT ou les licences professionnelles ?

Si. Et
l'inquiétude est probablement d'autant plus vive que ces bachelors risquent
fort de séduire un public déjà fragilisé, celui des bacheliers qui jusque-là
visaient les filières courtes que vous venez de citer. Or leur recrutement est
en train de bouger, avec la volonté de pousser les bacheliers professionnels en
BTS, ce qui fera moins de place aux autres ; idem avec le choix de pousser
les bacs techno en IUT. Vous avez une sorte de jeu de chaises musicales dont l'idée
générale est de ramener les bacheliers généraux à l'université. Mais rien ne
dit que ceux d'entre eux qui préfèrent les filières sélectives et professionnalisantes
joueront le jeu.

Donc pas question pour l'Etat de laisser
les coudées franches aux bachelors.

Non.
D'ailleurs pour le bachelor des arts et métiers, il faudra chercher la case " Diplôme
d'études supérieures en technologies " sur la plateforme d'inscription
Admission post Ba ; pas question pour l'heure de donner une légitimité à
un label développé majoritairement par le privé.**** Le ministère s'inquiète
donc de  la même façon qu'il s'était
inquiété de la création par les grandes écoles du label " master
spécialisé " il y a plus de vingt ans. Joël Etchevarria, de la Toulouse
School of Economics, rappelle l'histoire sur son, blog : " Ce label, d'abord ignoré et raillé par le monde
universitaire, finit par se faire une place au soleil.

A tel point que l'Etat
décida, à l'occasion de la réforme LMD, d'en " nationaliser " le terme,
éliminant au passage le " e " final, jugé sans doute trop
franchouillard. Le Master passa ainsi en quelques années de sous-diplôme
vaguement anglo-saxon promu par des écoles suspectes (parce qu'en dehors du
système universitaire) à clé de voûte du nouveau schéma de l'enseignement
supérieur ". Il est tout à fait plausible que le bachelor connaisse le
même sort, surtout si des écoles publiques comme les Arts et métiers le
popularisent.
                                  

 

 

 

 

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