Enseignant, un métier mal-aimé ?
Commençons avec l'acte d'accusation
et ce palmarès des postes les plus recherchés et les plus délaissés, qui a été
repris en fin de semaine dernière par Le Figaro. A l'en croire, le métier de
conducteur de train, le plus attractif, recueillerait 192 fois plus de
candidatures que celui d'enseignant. " Ce métier renvoie une mauvaise
image, analyse Carlos Goncalves, le directeur général de Jobintree, bien que ce
soit un emploi dit secur e. J'entends peu d'enseignants, poursuit-il, raconter
des histoires positives sur leur vie professionnelle ".
Vincent Peillon se réjouissait
pourtant il y a quelques semaines d'un regain d'attractivité du métier...
A juste titre : le vivier s'était
considérablement asséché sous la précédente législature, notamment lorsque la
formation initiale des enseignants avait été quasiment supprimée. C'était aussi
l'effet de la " masterisation ", c'est-à-dire du passage de bac + 3 à
bac + 5 du niveau requis pour se présenter aux concours. Là c'est mathématiques :
les bac + 3 et +4 qui se présentaient auparavant n'avaient plus la possibilité
de le faire. En outre le nombre de postes proposé était à la baisse ce qui
faisait peser la menace d'une augmentation de la concurrence. Il y donc eu
comme un sentiment de désamour, l'idée que l'Etat ne prend pas soin de ses
enseignants, ne les valorise pas.
Et ce sentiment est ancien ?
Probablement. Si vous prenez un
enseignant de 35-40 ans qui a donc début à la fin des années 90 : il a
commencé sous Claude Allègre, période tendue non seulement à cause des
polémiques qu'aimait lancer l'ancien ministre mais aussi dans un contexte de
gel de l'emploi public. Il enchaîne avec un quinquennat où commencent les
suppressions de postes, pas d'enseignants mais notamment de personnels
administratifs, c'est aussi la fin des emplois jeunes. Moins d'adultes dans les
établissements, des tensions qui émergent, l'impression de devoir se
débrouiller tout seul. Quinquennat Sarkozy : les suppressions de postes
et, notamment vis-à-vis des instits, un discours assez démoralisant sur le
thème " le niveau baisse ", " vous ne savez pas apprendre à lire
aux enfants ", " en maternelle vous ne servez qu'à changer des
couches ". Tout cela laisse des traces, notamment dans le discours
collectif. Tous les sondages confirment ce que dit Jobintree sur le sentiment
des enseignants de ne pas être valorisés.
Tendance aujourd'hui inversée...
Oui, en partie au moins, avec le
retour de la formation initiale, et ces fameuses 60.000 créations de postes
prévues sur cinq ans, auxquelles il faut ajouter la fin de la politique de non renouvellement
d'un enseignant sur deux partant à la retraite. Un énorme appel d'air, qui a
produit son effet : le vivier a augmenté.
Et les concours restent sélectifs...
C'est ce sur quoi insiste l'historien
Claude Lelièvre sur son blog. Il s'appuie sur les résultats aux concours
externes du Capes et de l'agrégation de la session 2013. 2.4 présents par poste
en moyenne au Capes, soit 14.865 candidats. " Ce n'est pas, en moyenne, un
" taux de sélectivité " élevé, convient-il, mais le risque
d'échouer (après un effort en principe d'une année) était plus élevé que celui
de réussir ". En fait le véritable problème vient de l'inégale attractivité
des matières. Lettres classiques (0,6 présent pour un poste offert !), allemand
(1,2), éducation musicale (1,3), mathématiques (1,4), lettres modernes (1,5), anglais
(1,9). Situation inverse en sciences physiques et chimiques ( 4,5 présents pour
un poste offert), en espagnol (5,2), en italien (6,2), en philosophie ( 8,2).
Tout cela contrebalance ce que
relève le patron de Jobintree quand il dit : " J'entends peu
d'enseignants, poursuit-il, raconter des histoires positives sur leur vie
professionnelle "...
Oui. La plainte des enseignants sur
leurs conditions de travail est réelle, et ancienne – on l'a dit - mais elle s'exprime
de manière assez paradoxale. Dans les sondages ou via leurs organisations représentatives,
disons quand ils s'expriment collectivement, en tant que corporation, les
professeurs mettent en avant les difficultés du métier, le peu d'aide dont ils
bénéficient au quotidien. Mais quand vous les interrogez individuellement – et nous
le faisons régulièrement ici – le discours est tout autre : vous voyez
apparaître un engagement qui reste intense dans le métier, et des rétributions
symboliques fortes, à commencer par le plaisir ressenti quand les élèves
réussissent, et ce quel que soit leur niveau. Vous avez donc une distorsion
importante entre le discours collectif et le discours individuel.
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