Bac : la réforme silencieuse
On
peut dire que si un ministre avait voulu réformer le bac pour arriver à la
situation actuelle, il aurait probablement mis des centaines de milliers de
jeunes dans la rue. C'est ce qui est arrivé en 1986 à Alain Devaquet, alors
secrétaire d'Etat aux Universités du gouvernement Chirac. Il conçoit une loi
qui donne aux universités la liberté d'instaurer des procédures de sélection et
de moduler, dans une certain limite, leurs droits d'inscription.
Ce qui déclenche un mouvement de
protestation massif...
Oui.
Et la mort de Malik Oussekine en marge d'une manifestation. Le gouvernement
recule, Alain Devaquet démissionne. Depuis, aucun ministre, de droite comme de gauche, n'a osé remettre sur
le tapis ces réformes. Valérie Pécresse avait même passé un accord avec l'Unef,
le syndicat étudiant majoritaire dès son arrivée au ministère de
l'Enseignement supérieur en 2007 : je ne toucherai pas à ces deux dossiers
avait-elle promis, en échange de quoi l'Unef n'avait protesté que de manière
très symbolique contre la loi Pécresse.
Beaucoup de choses se sont pourtant
passées depuis 1986, à commencer par le doublement du nombre d'étudiants.
Oui,
de un à deux millions. Et dans le même intervalle le nombre de bacheliers a été
multiplié : on est passé de 30% à 80% d'une génération. Mais cette augmentation
ne s'est pas faite sur les bacs généraux, qui représentent 50% du total, elle
s'est faite sur celle des bacs technologiques et surtout du dernier venu, le
bac professionnel. Or contrairement aux bacs généraux, ces bacs ne préparent
pas vraiment aux études universitaires. Les taux d'échecs sont d'ailleurs
significatifs pour les bacs techno, massifs pour les bacs pro.
Et cela se sait, résultat : la
majorité des candidats au bac choisissent une autre voie...
Oui ;
et une voie sélective, voire sélective et payante : 67% des futurs
bacheliers sont dans ce cas ; seuls 33% d'entre eux placent l'université
en premier vœu. Et encore ce nombre est largement porté par deux
filières : médecine, et droit, qui sont très sélectives une fois que vous
y êtes entré.
Mais à l'arrivée, ils sont plus nombreux
que cela à aller à la fac...
Oui. 57%. Ce qui signifie que 24% atterrissent à l'université par défaut. C'est
un défi majeur pour les universités car même s'ils sont minoritaires, se
retrouvent parmi ces 24% nombre de bacheliers technologiques et professionnels,
ceux qui sont les moins bien préparés aux rigueurs des études universitaires.
51 % des élèves de terminale demandent un BTS
mais seuls 41 % y accèdent ; la déperdition est encore pire pour
les bacs pros : 78 % envisagent un
BTS mais seuls 20 % y accèdent.
La loi Fioraso tente de remédier à ce
problème.
Oui.
Elle est censée faciliter l'accès des bacs techno en IUT et des bacs pro en
BTS – on va voir cette année si cela change quelque chose. Et notamment si les
bacheliers généraux qui seront refusés
en IUT ou en BTS du fait de cette concurrence renforcée iront à l'université ou
choisiront le privé. L'hypothèse n'est pas aberrante quand on sait qu'en dix
ans le privé a absorbé 80% de la progression du nombre d'étudiants. Les seules
écoles de commerce ont vu leurs effectifs augmenter de 60% ces dix dernières
années.
Pourquoi ce plébiscite pour les filières
sélectives ?
Soit
parce que ce sont les plus prestigieuses, celles que les professeurs de lycée
conseillent à leurs meilleurs élèves – à commencer par les classes
préparatoires aux grandes écoles ou les Sciences Po de Paris et de province -,
soit parce qu'elles sont réputées conduire vers l'emploi – c'est le cas des
BTS, des DUT, des écoles spécialisées, ou encore des grandes écoles qui
recrutent dès le bac. Et ces dernières font de plus en plus de concurrence à
l'université avec ce nouveau cursus, le bachelor, beaucoup moins sélectif que
les autres voies d'accès aux grandes écoles ; il en existe des dizaines
dans les écoles de commerce, et les écoles d'ingénieurs commencent à en créer.
Donc à l'arrivée, l'université est
restée gratuite et non sélective, mais ce n'est plus le cas de l'enseignement
supérieur en général.
Exactement.
Vous savez, le bac a deux fonctions : il est à la fois le diplôme terminal
des études secondaires et un grade universitaire – les jurys du bac sont
d'ailleurs présidés par des professeurs d'université. Juridiquement c'est pour
cette raison que l'université ne sélectionne pas. Or aujourd'hui, on se rend
compte que la majorité des jeunes et des familles continuent à croire au bac en
tant que diplôme terminal, mais admettent l'idée qu'il ne donne pas accès de
droit à l'enseignement supérieur.
Seule l'université reste en dehors de ce
mouvement et à l'évidence cela la pénalise en l'obligeant à accueillir des
bacheliers qui n'ont pas été préparés à ce type d'études. C'est d'ailleurs un
paradoxe : les études universitaires sont très exigeantes, aussi bien en
termes de contenus qu'au niveau méthodologique et dans l'autonomie personnelle
qu'elles requièrent. Mais elles ne parviennent pas à attirer la majorité des
bacheliers les plus brillants, ceux qui justement tireraient le plus profit de
ce type d'études.
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