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Harcèlement à l’école, au travail, moral, sexuel, familial

Harcèlement, un mot qui occupe largement l’actualité ces temps-ci. Harcèlement à l’école, d’abord : la semaine dernière, le ministère de l’éducation nationale annonçait une série de mesures contre ce phénomène qui toucherait au moins 1 collégien sur 10. Mais c’est aussi le harcèlement au travail : voir l’affaire de Sciences Po Amiens. Harcèlement moral, sexuel, familial, même: est-ce un abus de langage ou sommes-nous vraiment dans une société où ce type de violence monte en puissance ?
Article rédigé par franceinfo
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On a l’impression de n’avoir jamais entendu autant parler de harcèlement. Mais depuis quand ? A quand remonte, sinon l’apparition, en tout cas la banalisation de ce mot ?

Anne Laure Gannac, rédactrice en chef adjointe à Psychologies Magazine : Je ne connais pas toute l’histoire de ce mot, deux étymologies sont proposées : le vieux français « hercer » qui signifie frapper, et le terme anglais harassment qui renvoie, à l’origine, au vocable militaire et qui veut dire attaquer, tourmenter les troupes adverses... Mais ce qui est sûr c’est que le mot tel qu’on l’entend beaucoup aujourd’hui, c’est-à-dire comme un acharnement moral plus que physique, c’est à la psychanalyste Marie France Hirigoyen qu’on le doit. Dans un ouvrage qu’elle a publié en 98, c’est elle qui a mis en avant cette idée de harcèlement moral et qui l’a dénoncé comme étant un type de rapport terriblement délétère et répandu, en même temps que très peu reconnu. Dans le travail, mais pas seulement.

Non, pas seulement, parce que en ce moment, c’est surtout dans le cadre scolaire qu’il fait parler. Mais est-ce le bon terme, finalement ? Est-ce qu’on ne pourrait pas parler plus « banalement » d’agressivité ou de violence entre jeunes… ?

C’est de l’agressivité et de la violence, oui, mais le propre du harcèlement c’est que cette violence est infligée de manière répétée, systématique. Et puis, autre particularité du harcèlement : il prend souvent le visage de la banalité. Ce ne sont pas forcément des attaques brutales ou faites au vu et au su de tous, ça se fait plus sournoisement, l’air de rien, des petites remarques dont le harceleur pourra dire « c’était rien de méchant, il ou elle est trop sensible »… Parce que c’est surtout l’acharnement, la répétition qui sont ses armes.

Les brimades et les moqueries ne sont pas une nouveauté entre élèves. Qu’est-ce qui a changé pour qu’on passe aujourd’hui à ce degré supérieur de violence qu’est le harcèlement, et qui, rappelons le, peut pousser des enfants au suicide ?

Le harcèlement renvoie à la notion de victime. Or, il y a une tendance victimaire propre à notre époque : on parle beaucoup des victimes de ceci, de cela, des associations de victimes… Donc on pourrait supposer que le recours à ce mot tient à ça. Au fait que nous ayons plus facilement cette vision de nous-même. Ce sentiment d’être passif, de subir, de ne pouvoir rien faire et que du coup, ça peut ne jamais s’arrêter !… Mais à cette différence près que la victime se situe sur le registre de la justice : elle dit : « ce n’est pas moi, c’est lui », et demande justice. Alors que le harcelé ne dit pas seulement : « je n’ai rien fait ». Il dit: « on me veut du mal, il y a un autre, qui me veut du mal. »

Quelle différence ça fait, au fond ? Qu’es-ce qu’il faut entendre derrière cette peur de l’autre ?

Justement, vous avez dit le mot : la peur. Mais pas une peur minime, une peur facilement apaisée par un peu de raison. Non, une peur profonde, une peur de tout y perdre… une peur qui, de fait, peut conduire jusqu’au suicide.

Et comment expliquer cette peur ? A quoi tient-elle ?

A un sentiment de vulnérabilité extrême. Alors à quoi tient-il ? A beaucoup de choses ! Déjà, il faut savoir que le sentiment de vulnérabilité est au cœur de tout individu. On part de cela, en quelque sorte. Pour l’individu, il faut se souvenir que se mettre debout c’est une conquête : apprendre à ne plus chuter, c’est notre premier défi dans l’existence. Et c’est comme ça que le psychanalyste Winnicot expliquait la peur de l’effondrement chez l’adulte : au fait qu'il sache, même inconsciemment, que cela a déjà eu lieu par le passé.

Donc cette vulnérabilité serait humaine. Mais dans ce cas, pourquoi est-ce qu’elle serait plus vive aujourd’hui qu’hier ?

Parce qu’à cela s’ajoute le poids de notre environnement. Tout ce qui parle d’effondrement, de chute, de crack (fut-il boursier) ne peut pas ne pas trouver écho en nous immédiatement et naturellement ; dans la peur de notre propre effondrement, de notre propre chute. Ce contexte a une influence considérable.
Ensuite, pour revenir plus directement sur notre sujet, ce qui crée le harcèlement, c’est l’impression d’être dans une relation duelle, même si le harcelé est un groupe, peu importe, c’est du face à face. Autrement dit, ce sentiment de n’avoir aucun recours, aucun garde-fou : donc l’autre peut faire tout ce qu’il veut et continuer aussi longtemps qu’il le désire.

Et ça c’est un problème propre à notre société ?

Oui, parce que cela nous parle d’un grand absent : le tiers qui intervient, et qui met de l’ordre et qui rassure. Autrement dit le tiers qui fait autorité. La perte de la figure d’autorité est un fait que les psy et notamment les pédopsy d’aujourd’hui constatent.
Mais cela dépasse largement le seul cadre de l’école ou même de la sphère familiale. Je me souviens avoir interrogé une philosophe et psychologue Ariane Bilheran sur la question du harcèlement au travail. Or, ce qu’elle me disait c’est que s’il était aussi fréquent aujourd’hui, c’était essentiellement parce que, pour des raisons culturelles, sociétales, nous avons aujourd’hui un rapport problématique à l’autorité. Et elle constate que le harcèlement survient dans des milieux professionnels où règne soit un abus d’autorité, soit un manque d’autorité, dans tous les cas un manque de cadre et de repères clairs. Du coup, des personnes vont avoir tout le loisir de devenir des harceleuses, pour imposer leur pouvoir.

Justement, parlons de ces personnes qui harcèlent : que cherchent-elles ? Parce que ce que montrent par exemple les clips vidéos de la campagne pour la lutte contre le harcèlement à l’école c’est que souvent, ces enfants ne se rendent absolument pas compte de la gravité de leurs actes…

Oui, preuve que personne ne leur a dit, apparemment, que c’était des actes graves. On revient à ce que je viens de dire : ce manque de référent d’autorité qui fait loi. Maintenant, qu’est-ce qui les motivent ? Peut-être de la peur aussi : eux aussi vivent dans ce contexte d’hyper-vulnérabilité dont on parlait. Ce contexte si difficile où il semble qu'il n'y ait pas de place pour tous... Donc : si je ne harcèle pas l’autre, je risque d'être le harcelé. Ou bien : j’ai été harcelé, je ne veux plus l’être... Et je passe de victime à bourreau.

Donc ce n’est jamais par pure méchanceté ?

Ca voudrait dire que les individus sont plus méchants qu’avant... Vaste débat... Ceci étant, certains psychanalystes, Jean-Claude Liaudet, notamment, qui va sortir un excellent livre sur la névrose française, lui, par exemple avance que notre société actuelle libérale repose sur un fonctionnement pervers : c’est-à-dire que l'autre n'y est qu'un moyen pour servir mon propre bien-être. Et donc, qu’elle aurait tendance à fabriquer des pervers, autrement dit, des individus qui jouissent de la souffrance de l’autre -parce que cet autre n’est pas considéré comme, vraiment, un autre.

Dans ce contexte, en quoi parler de harcèlement, faire une campagne contre ce harcèlement à l’école peut être utile ?

Déjà, dès que l’on met des mots sur une douleur, on autorise ceux qui en souffrent à en parler, à sortir du silence, de la honte. Donc c’est majeur !
Ensuite, à travers ses campagnes, ses clips, ce que l’on voit c'est que le gouvernement, des groupes de parents, d’enseignants se mobilisent, donc cela permet de mettre en avant la parole de l’autorité, de rappeler où est le bien où commence le mal, de remettre du cadre. En ce sens, oui, c’est un bon premier pas pour lutter contre ce phénomène.

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