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"Service Public : une rédaction face à une élection", un documentaire sur les coulisses de la matinale de franceinfo

"Service Public : une rédaction face à une élection", le documentaire de Salhia Brakhlia et Mouloud Achour a des points communs avec ce que fait la médiation de Radio France :  expliquer les choix éditoriaux, faire comprendre les mécanismes journalistiques.   

Article rédigé par Emmanuelle Daviet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"Service public, une rédaction face à une élection" est un documentaire de Salhia Brakhlia et Mouloud Achour, sorti dans une vingtaine de salles en France cette semaine.  (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Dans ce rendez-vous de la médiatrice, habituellement, on ne parle jamais des sorties cinéma, on répond aux questions des auditeurs sur le travail des journalistes. Et c’est précisément ce que montre le documentaire de Salhia Brakhlia et Mouloud Achour, Service public : une rédaction face à une élection

Le spectateur est plongé de manière très efficace, sans aucun temps mort, dans les coulisses de la matinale de franceinfo, pendant plusieurs mois, de août à mai 2022. Des mois intenses qui précèdent l'élection présidentielle. Pour en parler au micro d'Emmanuelle Daviet, la médiatrice des antennes de Radio France, Marc Fauvelle,  co-présentateur de la matinale de franceinfo avec Salhia Brakhlia.

Emmanuelle Daviet : La force de ce documentaire dans lequel vous êtes très présent, Marc Fauvelle, c’est de montrer avec beaucoup de transparence des séquences qui, à mon avis, vont surprendre les spectateurs. Tout d’abord, on voit à quel point le collectif est à l’œuvre, et que, contrairement à ce que pensent beaucoup d’auditeurs qui m’écrivent, les journalistes ne travaillent pas tout seuls dans leur coin.

Marc Fauvelle : Non, effectivement, l’idée, c’était de montrer ce qui aboutit à une question dans une interview, montrer que c’est un processus, que les questions on ne nous les dicte pas, évidemment, parce que parfois on nous demande ça. Ça peut paraître surprenant quand on fait ce métier de l’intérieur, mais on peut avoir des copains à l’extérieur, qui nous disent : "mais les invités vous donnent les questions à l’avance ?". Et quand on leur dit non, ils sont parfois surpris de la réponse. Non, on ne nous donne pas les questions à l’avance. Oui, on débat. Oui, parfois même on n’est pas d’accord du tout, sur les questions qu’il faut poser, sur les relances qu’il faut faire. Tout ça, l’interview, c’est un face à face. Nous, on est deux avec Salhia, chaque matin, face à un invité, mais c’est un travail collectif en amont.

Effectivement, toute la rédaction de la matinale participe à l’élaboration de l’interview...

L’interview, on la prépare, Salhia et moi la veille, et puis on la peaufine le matin. Mais c’est vrai qu’en amont, quand on reçoit un invité par exemple, on va voir la cellule Vrai du faux pour savoir tout ce que cet invité a pu dire dans les médias, dans les semaines qui ont précédé, ou les années qui ont précédé et qui a pu être faux. On va voir les services qui nous donnent leur avis sur les thèmes qui pour eux sont en train de monter, qui ne sont pas forcément les thèmes qu'on avait prévus de mettre en avant.

Ensuite, on fait une synthèse de tout ça, et notre subjectivité, c’est là qu’elle arrive dans le choix de certaines questions, le choix de certains thèmes. Par exemple, faut-il interroger un candidat à l’élection présidentielle sur ses thèmes de prédilection ? Ou, au contraire, sur les thèmes sur lesquels il n’a jamais parlé ? On s’est posé la question sur Marine Le Pen, sur Emmanuel Macron, sur Anne Hidalgo. Faut-il l’emmener uniquement là où, entre guillemets, il ou elle est forte. Nous, notre point de vue avec Salhia, c’est qu’on a envie justement de les entendre, souvent, sur autre chose.

Une idée reçue du grand public, c’est que les journalistes sont pétris de certitudes. Ce que le documentaire montre, c’est que vous vous posez tout le temps des questions, que tout le monde n’est pas sur la même ligne, et qu’il peut y avoir de gros désaccords ?

Il peut y avoir des désaccords, il y a des désaccords dans une radio, dans un média, comme il y a des désaccords dans les familles, dans n’importe quelle entreprise, lors d’un dîner à table, on n’est pas tous sur la même ligne, heureusement, on pense pas tous la même chose.

Il y a des lieux de réunion pour ça, ou tout simplement dans les couloirs. On débat parfois on n’est pas d’accord du tout à la fin. Parfois, le patron n’est pas d’accord avec nous, avec Salhia, parfois on n’est pas d’accord entre nous. La seule chose, c’est que la formulation de la question, elle, doit être la plus objective possible. On ne doit pas savoir derrière une question pour qui on vote. On ne doit pas savoir, derrière une question, quelle est notre opinion sur tel ou tel thème. Le journaliste politique – à mon sens en tout cas – ou l’interview politique, doit apporter de la contradiction à l’invité, lui apporter des éléments de débat, des éléments contradictoires. On n’est pas dans une opposition, on n’est pas dans un match de boxe, mais on est là pour tenter de faire avancer les idées en apportant d’autres points de vue sur une question.

On voit également, le patron de franceinfo, Jean-Philippe Baille, le travail des matinaliers en lien permanent avec lui, directeur de la chaîne. Et il y a une séquence très forte qui montre à quel point le travail est toujours interrogé et remis en question. C’est la scène dans le bureau du directeur, après votre interview de Julien Bayou, secrétaire national du parti Europe Écologie ? 

Ce jour-là, on s’est fait passer un savon, un petit savon cordial, mais un savon quand même, par Jean-Philippe Baille. On sortait tout juste du studio, on avait interrogé Julien Bayou, effectivement, et l’interview a été compliquée. C’est-à-dire que dès les premiers mots, dès sa première réponse quasiment, on l’a interrompu assez vite parce qu’il nous a semblé qu’il avait dit quelque chose d’incorrect. Et on est rentré dans une forme de "ping-pong" qui, pour les auditrices et les auditeurs et les téléspectateurs, devait être un peu compliqué à comprendre.

On est deux, l’invité par définition, il est un, si on commence à être deux à interroger en même temps un invité en face, plus personne n’y comprend rien. C’est-à-dire qu’il faut trouver chaque jour – on essaye de le faire, mais on n’est pas parfait, loin de là – le bon équilibre entre laisser l’invité s’exprimer, lui laisser développer ses idées, et en même temps le couper, quand ça nous semble nécessaire. Soit parce que c’est trop long, ou qu’il est là en train de réciter ses éléments de langage, soit parce qu’il dit quelque chose qui mérite une nouvelle fois d’être contredit. Ce jour-là, on s’était un peu planté avec Julien Bayou. Il y a d’autres jours sans doute, on s’est planté, sans doute plein d’autres. Mais ce jour-là, on nous l’a dit plus clairement que les autres.

Et avoir un tel recadrage, c’est facile à vivre ?

Oui, enfin j’espère

Ça fait preuve d’humilité ?

Oui, évidemment, on passe notre vie ici à franceinfo, à dire à son collègue : attention à ça, moi-même mes collègues disent : attention à cette expression, attention aux mots que tu utilises, tout à l’heure c’était bien, c’était pas bien. Si on n’est pas capable avant l’antenne, et après l’antenne, d’entendre ce genre de choses, je pense qu’il faut envisager de faire un autre métier.

Précisément, vous parlez avec vos collègues Marc Fauvelle, je vous cite dans ce documentaire, vous dites à un présentateur : "Tu te rends compte de la violence de nos journaux. T’imagines la dose de stress qu’on fout aux gens au réveil ?" Les auditeurs nous l’écrivent souvent. L’info est trop anxiogène. Vous pensez comme eux finalement ?

Oui, je pense qu’effectivement, quand on allume sa radio le matin de bonne humeur, ou encore un peu dans le pâté parce qu’on se réveille, qu’on a les enfants qui prennent le petit dej, qu’on pense déjà aussi à sa journée de boulot, on ne peut pas infliger aux auditeurs tous les malheurs du monde en cinq minutes, c’est pas possible.

Tout simplement parce que la vie n’est pas comme ça, heureusement, d’ailleurs. Il y a des malheurs dans le monde. Il ne s’agit pas de faire une radio de "bisounours", surtout pas. Mais on ne peut pas insister que sur les malheurs quotidiens des français, et des habitants de la planète. C’est pas possible de fonctionner comme ça. Ça aussi c’est une question qu’on essaye d’avoir tous les jours. L’équilibre entre donner des informations les plus claires, les plus fiables possibles, les plus sourcées possibles. Et en même temps, ne pas déverser dans les oreilles des auditeurs toute la misère du monde, ce n’est pas possible. Je pense qu’au bout d’un moment, sinon les gens vont éteindre la radio et ils auront raison. On ne peut pas vivre comme ça collectivement.

Quel est l’objectif de ce documentaire ?

L’objectif de ce documentaire de Salhia Brakhlia et Mouloud Achour, c’est ça, c’est de mettre une caméra qui filme tout. Du réveil jusqu’au moment de l’interview. Et montrer qu’il n’y a pas de fils. On n’est pas des marionnettistes, il n’y a personne qui trient nos questions. Elles ne sont pas toujours bonnes, nos questions, mais on y met tout notre cœur. En tout cas en essayant encore une fois d’être objectif. On ne sera jamais parfaitement objectif, on tente.

J’ai un souvenir qui n’a pas été gardé dans ce documentaire. On est à la veille de l’interview de Marine Le Pen, qui n’était pas venue depuis des mois et des mois sur franceinfo. Et on cherche une question précise à un moment de l’interview, écrire cette question, la poser, nous a pris 30 minutes. Chaque mot, Salhia me disait : "non, si tu dis ça, elle va dire ça". On cherchait un autre mot : "non, si tu dis ça, elle va dire ça et elle aurait raison". Chaque mot était pesé pour être le plus fidèle possible à la question qu’on voulait poser.

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