Loi El Khomri : les économistes divisés
Devant la loi El Khomri, les économistes sont divisés. Il y a deux camps. Les "contre" et ... les "archi contre". Et c’est, en un sens, assez réjouissant. Cela montre qu’il n’y a pas de discours d’évidence, et qu’il y a bien sûr une place pour des raisonnements spécifiques et pour de belles batailles d’idées. Et cela ressemble même à une petite guerre académique, une guerre qui s’est matérialisée autour de deux textes, publiés dans Le Monde et signés de part et d’autre, pardonnez-moi l’expression, par du très beau linge. Trente-deux grands noms de l’économie d’un côté, 22 de l’autre. Du côté des "pour", de ceux qui pensent que la loi El Khomri constitue une avancée indiscutable, il y a dans, cette liste éclectique, notre dernier Prix Nobel d’économie Jean Tirole, une star internationale, extrêmement respectée par ses pairs, mais il y a aussi Philippe Aghion, qui a enseigné à l’université d’Harvard, aujourd’hui professeur au prestigieux Collège de France et classé généralement à gauche. Du coté des "contre", de ceux qui pensent que la Loi El-Khomri ne réduira pas le chômage, la liste n’est pas moins prestigieuse. Il y a une autre star internationale, Thomas Piketty, grand spécialiste des inégalités, et Daniel Cohen par exemple, qui enseigne à l’Ecole normale supérieure, et tous ceux-là sont franchement classés à gauche.
Sur le fond, qu’est-ce qui opposent ces économistes prestigieux ?
Les "pour" ont trois affirmations principales :
1/ Cette réforme est une avancée pour les plus fragiles, les moins qualifiés, et ils rappellent que 80% des chômeurs n’ont que le bac.
2/ Cette loi est faite avant tout pour les PME, les petites et moyennes entreprises, celles qui font massivement l’emploi et qui oui, affirment-ils, ont une vraie crainte d’embaucher en CDI, à cause du coût et plus encore des incertitudes qui pèsent sur les conditions du licenciement.
3/ Ces économistes s’appuient sur le cas de l’Espagne pour dire qu’une réforme similaire a fait bondir le nombre de CDI, dès l’année suivante.
Du côté des "contre", les économistes anti-loi travail s’intéressent eux, essentiellement aux conditions de la croissance, c’est la croissance qui fait l’emploi, plus que n’importe quel réglage des règles du marché du travail. L’Europe et la France, disent-ils, n’ont pas le bon réglage de politique économique, c’est pour eux la réduction trop rapide des déficits publics qui explique la hausse du chômage. Enfin, ils ne croient pas à l’impact d’une éventuelle surprotection des emplois comme facteur de précarisation ou de chômage.
Ces deux visions sont totalement irréconciliables ?
Pour certains sans aucune doute. Il y a des clivages très forts de sensibilités et aussi quelques égos. Mais sur d’autres points c’est moins sûr. Ces deux camps d’économistes ne regardent en fait pas la même chose, et ils sont sur plusieurs points tout à fait complémentaires. Les uns, les "contre", regardent d’abord la macro-économie, et sans doute une grande partie des économistes de l’autre camp seraient d’accord pour considérer, avec eux, que l’Europe et la France ont commis depuis de longues années des erreurs de pilotage, de réglages de la politique économique. Les "pour", eux, s’intéressent beaucoup plus à la micro-économie, à ce qui se passe dans l’entreprise, et à ce qui se passe dans la tête des agents économiques. Bref, ces deux textes donnent une très belle illustration des tropismes et des débats passionnants de la science économique. Il faut les lire.
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