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L'étrange volte-face de Vincent Peillon sur la laïcité

Lundi dernier, le ministre de l'éducation Vincent Peillon a dévoilé le texte de sa " Charte de la laïcité à l'école ", qui sera affichée dans tous les établissements scolaires, à côté de la " Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ". Le texte de cette charte est prudent, qui rappelle que la République " respecte toutes les croyances ", " garantit la liberté de conscience à tous ", ou encore qu'" aucun sujet n'est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique ".
Article rédigé par Alexandre Lacroix
Radio France
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Si quelques critiques ont fusé, dans l'ensemble, cette charte a été accueillie
sans heurt et oubliée aussitôt que publiée. Cependant, elle annonce au moins un
changement important... chez Vincent Peillon lui-même, ministre mais aussi
philosophe de formation, qui semble avoir changé d'avis sur l'épineuse question
de la laïcité.

En effet, si l'on veut faire la généalogie philosophique de
la charte de Vincent Peillon, celle-ci semble directement s'inspirer des
principes énoncés pour la première fois par le philosophe anglais John Locke
dans sa Lettre sur la tolérance  (1686)[1]. Dans ce texte
magnifique, Locke explique que le gouvernement civil ne sert qu'à protéger la
santé et la propriété privée des citoyens, ne se soucie donc que du bien-être
collectif en cette vie terrestre, et ne se préoccupe pas des croyances
religieuses ni du salut de l'âme. Plus encore, s'il y a plusieurs religions à
l'intérieur d'une nation, le gouvernement ne doit accorder de privilège à aucune
d'entre elles, fût-elle plus traditionnelle que les autres ou largement
majoritaire. Touchant les questions d'éducation, John Locke admet que les écoles
publiques peuvent agir sur les croyances individuelles " en instruisant,
enseignant et corrigeant par la raison ceux qui sont dans l'erreur
 ", mais
il précise aussitôt que " persuader et commander  " sont deux choses bien
différentes et que nul professeur ne peut contraindre un élève à se dépouiller
de sa foi. Si Locke n'emploie qu'une seule fois le mot de " laïc ", peu usité à
l'époque, la délimitation qu'il trace entre le politique et le théologique est
nette : l'Etat est neutre en matière de religion. Et c'est bien ces principes
que réaffirme sobrement la charte de Vincent Peillon.

Seulement voilà... notre ministre de l'Education vient d'un
tout autre horizon philosophique. Il est moins anglais et lockéen que français
et rousseauiste. A la fin de son Contrat social[2]   (1762),
Jean-Jacques Rousseau propose en effet de créer une " religion civile " ;
 " il y a une profession de foi purement civile dont il appartient au
souverain de fixer les articles
 ". Autrement dit, l'Etat ne doit pas se
contenter d'être neutre, mais indiquer aux citoyens la voie d'une transcendance
et transmettre des valeurs spirituelles. Et Rousseau de détailler les
enseignements de la religion civile : " L'existence de la Divinité puissante,
intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le
bonheur des justes le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et
des lois : voilà les dogmes positifs.
 " Cette idée que la paix sociale et le
progrès ne peuvent se passer d'un ferment spirituel, donc d'une religion d'Etat
qui n'est celle d'aucune Eglise, inspirera directement les cultes rendus à
l'Être suprême lors de la Révolution française. De même, les pères fondateurs de
la IIIe République étaient promoteurs d'une " foi laïque ". Or,
Vincent Peillon s'est toujours prévalu de cet héritage. Dans un essai au titre
programmatique – Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand
Buisson 
(Seuil, 2010) – le futur ministre écrivait par exemple : " La
laïcité est un principe de tolérance, certes, mais plus encore de philosophie
positive 
(...), c'est une religion . " Et plus loin : la laïcité est
la religion de toutes les religions, de toutes les confessions, la religion
universelle
 ".

Lors de la rentrée scolaire de 2012, Vincent Peillon a
proposé, on s'en souvient, un enseignement de " morale laïque  "
obligatoire. Par là, il était fidèle à sa ligne et réaffirmait sa volonté de
conférer une dimension morale et spirituelle au message républicain. Cette
déclaration d'intention a provoqué, à l'époque, un véritable tollé. Du coup, la
récente charte sur l'éducation a de quoi nous rassurer. En revenant à une
laïcité synonyme de tolérance et de neutralité, Vincent Peillon semble s'être
appliqué ces beaux principes à lui-même, et avoir eu l'heureuse idée de mettre
ses propres croyances de côté !

Par Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de Philosophie
Magazine

[1] Consultable en
traduction française livre de droits à cette adresse : http://classiques.uqac.ca/classiques/locke_john/lettre_sur_la_tolerance/lettre_sur_la_tolerance.html

[2] Voir le chapitre " De
la religion civile ", accessible en ligne : http://fr.wikisource.org/wiki/Rousseau_-_Du_contrat_social_(texte_complet)#Chapitre_4.8_De_la_religion_civile

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