Semaine de quatre jours : "Il va falloir identifier l'impact sur l'organisation du travail et sur l'activité des gens", estime une spécialiste

Marie Bouny, docteure en droit et associée au cabinet de conseil en management Sia Partners est l'invitée éco de franceinfo, jeudi.
Article rédigé par Emmanuel Cugny
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Marie Bouny, docteure en droit et associée au cabinet de conseil en management Sia Partners, le 8 février 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Dans son discours de politique générale, Gabriel Attal a lancé l’idée d’étendre l’expérimentation de la semaine de quatre jours dans les administrations publiques. Le Premier ministre a parlé d'une semaine "en quatre jours". De quoi s'agit-il ? Quels sont les avantages, ou les inconvénients, à la fois pour les salariés et pour les entreprises ?

Pour Marie Bouny, docteure en droit et associée au cabinet de conseil en management Sia Partners, "il n'y a pas que des avantages", la semaine de quatre jours peut entraîner "une intensification de la charge de travail".

franceinfo : Pour savoir de quoi on parle, comment définir la semaine de quatre jours ?

Marie Bouny : C'est la possibilité pour les salariés de travailler non pas cinq jours par semaine, mais quatre jours par semaine. Après, il y a différentes déclinaisons. Il peut y avoir une semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail, sans réduction du temps de travail, avec réduction de la rémunération, sans réduction de la rémunération. Il y a beaucoup de possibilités.

Les sondages montrent aujourd'hui qu'il y a beaucoup de Français qui sont favorables à ce système. Mais si on ramasse cinq jours de travail sur quatre, avec le même volume de travail et la même rémunération, les journées de travail sont plus importantes. Les Français et les salariés sont-ils réellement conscients de ce qu'il y a derrière 

Effectivement, c'est un des sujets. Il y a une appétence pour la semaine de quatre jours d'un certain nombre de Français, un certain nombre de sondages le mettent en exergue. Mais il n'y a pas que des avantages. Quand il n'y a pas de réduction du temps de travail, le travail est ramassé et il y a une intensification de la charge de travail : une semaine de 36 heures sur quatre jours, ça fait 8h45 par jour. Si on fait une pause à déjeuner d'une heure, ça fait 9h45. Et on a, en moyenne en France, à peu près 50 minutes de temps de transport.

"Donc on part de chez soi à 8h et on revient à 18h45."

Marie Bouny

sur franceinfo

Où en est-on en France aujourd'hui dans cette application ?

Il y a quand même des tests, des initiatives, que ce soit dans la fonction publique, mais également dans des entreprises privées. Un certain nombre d'organisations testent la semaine de quatre jours. Parce que l'objectif premier pour les organisations qui testent la semaine de quatre jours, c'est l'attractivité, la fidélisation de leurs collaborateurs, c'est améliorer leurs conditions de travail. Donc, souvent, il y a des tests et ce sont des démarches volontaires.

Tous les salariés sont-ils concernés ?

Potentiellement, tout le monde peut être concerné. Il n'y a pas d'incohérence, d'impossibilité de principe à être en semaine de quatre jours, mais après, ce sont des décisions. Est-ce que, dans certaines entreprises, la volonté est de donner certains avantages à des collaborateurs qui ne peuvent pas télétravailler ? Dans ce cas, on va mettre en place la semaine de quatre jours uniquement pour ces collaborateurs. Dans d'autres entreprises, c'est pour tout le monde, donc c'est très variable. Ça peut être aussi dans l'industrie. Et dans des administrations dans le monde entier, ça se développe également beaucoup.

Mais n'est-ce pas plus facile pour une administration publique ?

Dans tous les cas, ce n'est pas forcément simple. Dans tous les cas, il va falloir identifier l'impact sur l'organisation du travail et sur l'activité des gens. Par exemple, dans une administration, ça peut avoir un impact sur les horaires d'ouverture pour le public. Est-ce pertinent de les élargir ou pas ? Dans une industrie, forcément, il y aura un impact sur l'organisation de la production.

L'objectif est-il d'améliorer la vie professionnelle et familiale des salariés ou est-ce aussi, pour les entreprises, l'occasion de faire des gains de productivité ?

L'un n'exclut pas forcément l'autre. En revanche, la plupart des organisations le mettent en place quand même dans un objectif d'améliorer les conditions de travail des collaborateurs. Post-Covid, on sait que le rapport au travail a évolué. On sait que les attentes sont plus fortes, on sait qu'il faut aller chercher maintenant les candidats. Il y a beaucoup de tensions sur le marché du travail, donc vraiment, c'est le principal objectif. Après, il y a quand même une attention qui est portée à la productivité. Et les résultats, à date ne sont pas clairs.

"C'est un peu comme le télétravail. On ne sait pas si ça améliore la productivité sur le long terme."

Marie Bouny

sur franceinfo

On parle parfois d'un effet cloche, c'est-à-dire que pendant une à deux années, il y a plus de productivité, mais après ça se tasse. Et pour la semaine de quatre jours, on n'a pas encore forcément assez de recul.

Comment cela se passe-t-il à l'étranger ?

Il y a une tendance vraiment mondiale sur la semaine de quatre jours. Effectivement, l'Islande a été pionnière en 2015. Ensuite, on a pu avoir le Japon, qui est quand même un pays assez connu pour le surmenage. Et puis l'Irlande, le Royaume-Uni, l'Espagne, la Belgique, l'Afrique du Sud, le Botswana, les États-Unis, le Canada… Il y a des tests et des initiatives un peu partout. En Allemagne et au Portugal également. L'exemple du Royaume-Uni est souvent présenté parce que 60 entreprises et 2 900 collaborateurs l'ont testée, avec de très bons résultats. 92% des entreprises qui ont testé la semaine de quatre jours, l'ont adoptée avec réduction du temps de travail, mais sans réduction de la rémunération.

Cette semaine en quatre jours ne va-t-elle pas pousser certaines ou certains à relancer le débat sur le temps de travail, notamment sur les 35 heures ?

Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'en France, la réduction du temps de travail, on l'a déjà faite avec les lois Aubry, il y a plus de 25 ans. Il faut avoir en tête qu'un travailleur français à temps plein travaille 230 heures de moins par an qu'un travailleur au Royaume-Uni à temps plein. Donc on ne peut pas vraiment se comparer au Royaume-Uni sur cette dimension-là.

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