"Karl Lagerfeld – Révélation" : fascinant, créatif, mystérieux... qui était vraiment le grand couturier ?

Le styliste, disparu en 2019, est le héros d’une série documentaire sur Canal+ et MyCanal, coréalisée par Guillaume Perez, invité mercredi sur franceinfo.
Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7 min
Guillaume Perez, le 17 janvier 2024. (RADIOFRANCE / FRANCEINFO)

Le grand couturier et styliste allemand également photographe, dessinateur, designer, réalisateur et éditeur se dévoile à travers des archives inédites, dans la série documentaire Karl Lagerfeld – Révélation, signée Guillaume Perez et Anne-Solen Douguet. Passé par la maison Balmain, la maison Patou, c’est en tant que directeur artistique que Karl Lagerfeld rejoint la maison italienne Fendi puis la maison haute couture Chanel. Mélangeant les éléments du passé avec des références modernes, cet homme qui a habillé les plus belles femmes du monde, savait cultiver comme un parfum de mystère autour de lui. Les deux premiers numéros du documentaire sont diffusés, mercredi 17 janvier, à 21h10 sur Canal+ et disponibles sur myCanal.

franceinfo : Vous êtes le coréalisateur de ces quatre épisodes qui retracent la vie de ce créateur extraordinaire. Un personnage fascinant au point de vous lancer pour la première fois, sur un sujet qui touche la mode ?

Guillaume Perez : Je ne l'avais jamais fait. Je suis d'ailleurs assez éloigné de ce monde-là. Mais effectivement, quand on m'a proposé cette série, sur ce personnage que j'avais pu croiser par ailleurs dans ma carrière, j'ai été emballé. Il était hors de question que je ne le fasse pas.

Vous avez pu le croiser, notamment quand vous réalisiez les émissions de Thierry Ardisson ?

Oui, "Les dîners" de Thierry Ardisson, en particulier "93 Faubourg" et puis d'autres émissions pour d'autres chaînes où il est venu. Je me souviens de la dernière fois, c'était sur Natacha Polony, "Polonium" sur Paris Première.

Il y avait une espèce de décalage entre le personnage médiatique quand les moteurs étaient lancés et puis celui qui arrivait sur les plateaux qui était toujours impeccable, d'une gentillesse absolue et surtout d'une politesse remarquable.

Guillaume Perez

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Le monde entier connaît Karl Lagerfeld, mais sans savoir qui il était vraiment. Il a passé sa vie à mentir sur son âge, ses origines, l'histoire de sa famille. Est-ce compliqué avec un tel personnage de reconstituer le puzzle ?

Il brouillait les pistes. Alors, le puzzle sur l'âge, les origines, pas vraiment, parce qu'il y a des documents. J'ai retrouvé son faire-part de baptême qui date de 1933. Il avait transformé le 33 en 38. Sur les origines, je pense qu'on peut tous comprendre que quand on arrive au début des années 50 à Paris, être Allemand c'est compliqué, il vaut mieux être suédois.

Diriez-vous qu'il a lui-même créé sa légende avec cette dissimulation, avec ce mystère ?

Le mystère, certainement. La dissimulation, je ne suis pas sûr. Il préférait inventer des jolies histoires plutôt qu'une réalité qui était parfois ennuyeuse.

C'est aussi de la pudeur ?

Oui et de la politesse.

Il le disait toujours : "On ne s'apitoie pas sur son sort et surtout pas auprès des autres. Ça ne les intéresse pas".

Guillaume Perez

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Même quand il fait faillite à la fin des années 90, c'est qu'il se réinvente. Il va vendre tous ses meubles du XVIIIᵉ pour payer en partie sa dette fiscale, mais il va dire que c'est parce qu'il en a marre et qu'il veut se réinventer, passer dans le présent.

Et même quand il perd l'amour de sa vie, Jacques de Bascher, il ne montre pas son désespoir qui est réel ?

Oui. Alors, il ne le montre pas... Contraint, il va le montrer puisqu'il va prendre énormément de poids. On a souvent deux images de Karl, celui gros et celui très mince des années 2000. En fait, il a été gros à peine une dizaine d'années. Parce qu'effectivement, même si professionnellement il cartonnait absolument après avoir repris Chanel et cetera, il y a eu le décès de sa mère, en 1978, et puis la maladie de Jacques qui va commencer dès 1984. Ça va être cinq ans qu'il va passer à son chevet, tous les jours et sans que personne ne le sache ou très peu.

Vous remontez à l'enfance de Karl Lagerfeld à Hambourg, puis son arrivée à Paris où il remporte un concours qui lui ouvre les portes de chez Balmain, en 1954. C'est à cette occasion qu'il fait la connaissance d'Yves Saint-Laurent qui deviendra son grand ami. Puis, ils vont s'éloigner et se fâcher. Que s'est-il passé ?

Ça va devenir clairement son grand ami, peut-être même son premier ami. Et je pense que c'est quasiment réciproque. Ils vont former un petit groupe de quatre avec Anne-Marie Muñoz qui va être très importante dans la création de la Maison Saint-Laurent et le mannequin star de chez Dior de l'époque, Victoire Doutreleau. Et puis, ils vont vivre une petite vie de bohème, d'adolescents, à dormir les uns chez les autres, à sortir. C'est Karl qui finance parce qu'il a un peu plus d'argent que les autres. Et effectivement, ils vont se fâcher. Un personnage qui va un peu faire le chien dans le jeu de quilles, c'est quand même Pierre Bergé. Et puis Jacques de Bascher...

Qui a été l'amant Yves Saint-Laurent.

Enfin, qui a été l'amant de tout le monde, dont Yves Saint-Laurent.

Sauf de Karl, parce que c'était un amour platonique ?

C'est complètement platonique. Les proches disent qu'ils ont essayé deux fois et que c'était une catastrophe, donc ils n'ont jamais réessayé. Et pour en revenir à Jacques, c'était l'amant de tout le monde sauf de Pierre Bergé. Et ça aussi, ça a mis de l'huile sur le feu.

Ils avaient une vision de la mode et de leur carrière totalement différente. On voit qu'Yves Saint-Laurent a une trajectoire fulgurante. Celle de Karl est beaucoup plus lente ?

Effectivement, il y a un croisement des courbes qui avait été annoncé d'ailleurs par cette fameuse voyante dont Karl parlait assez souvent. Elle voyait quelqu'un avoir un succès très rapide mais qui s'essoufflerait alors que l'autre mettrait plus de temps, mais ça serait beaucoup plus solide. La vision, pour moi, d'Yves Saint-Laurent est très "artiste maudit", on crée dans la souffrance, c'est dur. Karl c'est l'absolu inverse, c'est : on aime le travail et plus on en fait, plus on est content. Ce n'est donc pas tout à fait la même chose.

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