CHRONIQUE. Que nous cache la "débureaucratisation" ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 4 février : la débureaucratisation, un objectif affiché par le Premier ministre Gabriel Attal.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le Premier ministre Gabriel Attal à l'Assemblée nationale, le 30 janvier 2024. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

C’était effectivement l’un des temps forts du discours de politique générale prononcé mardi 30 janvier par Gabriel Attal : l’heure est à la "débureaucratisation". Lutter contre la bureaucratie pour faire avancer la liberté, lever les contraintes, briser les chaînes des boulets : ça nous rappelle quelque chose, un certain Emmanuel Macron. En 2017, il promettait déjà une "simplification", pour combattre "l’empilement des normes". Cet objectif semble aller de soi, c’est vrai, parce qu’il pivote sur des mots qui nous donnent cette impression. La bureaucratie, l’empilement des normes, sont des termes qui sont intrinsèquement péjoratifs. Mais il faut faire attention à ne pas laisser notre regard se faire enfermer dans la connotation du lexique choisi par les responsables politiques.

Les normes ne sont en soi ni bonnes, ni mauvaises. Elles sont simplement des règles qui organisent notre vie collective, qui disent ce qui est autorisé et interdit. En cela, elles sont toujours, avant tout, l’expression d’un choix politique. Il n’empêche qu’il y a bien de plus en plus de règles, non ? Le Premier ministre rappelait dans son discours que le nombre de mots publiés sur Légifrance a doublé en 20 ans.

Et il y a effectivement une inflation normative en France. Cela a notamment été montré par un conseiller d’État, Christophe Éoche-Duval, dans un papier publié au sein de la Revue du droit public en mars 2022. Et oui, sans doute une partie de ces normes sont-elles inutilement complexes. Il n’empêche que, s’il y a de plus en plus de règles, c’est aussi parce que nous avons besoin de réglementer de plus en plus de secteurs.

Le cas emblématique du droit de l'environnement 

Prenez, par exemple, le droit de l’environnement. Effectivement, il y a 20 ans, il était beaucoup moins dense qu’aujourd’hui. Mais c’est précisément cette absence de norme qui a mené à la situation dramatique que nous connaissons aujourd’hui, avec une dégradation sans précédent des sols, des milieux aquatiques et de la biomasse.

Les normes écologiques, c’est précisément ce contre quoi protestent les agriculteurs et les agricultrices. Et d’ailleurs, cela nous montre bien que toute cette question est un peu plus complexe que ce qu’en dit Gabriel Attal. Qu’il y ait des règles alambiquées, voire absurdes, qui s’imposent aux agriculteurs et aux agricultrices : c’est probablement le cas. Mais il y a aussi des contraintes qui s’imposent à eux pour des raisons écologiques. À quoi allons-nous donner la priorité : la protection de l’environnement, ou le quotidien de celles et ceux qui nourrissent les Français ? Il ne m’appartient pas d’y répondre, mais ce qui est sûr, c’est que tout cela n’est pas qu’une simple question de "simplification".

Du danger de réformer le droit du travail

Et ce n’est pas fini car, dans son discours, le Premier ministre a aussi évoqué les entreprises. Gabriel Attal veut "débureaucratiser les fardeaux qui pèsent sur les entreprises". En apparence, on ne peut qu’y souscrire… et c’est tout le problème ! Car, cette simplification, elle ne concerne pas, ou pas seulement, le droit des sociétés, le droit commercial, le droit bancaire ou le droit de la concurrence. Ce que Gabriel Attal évoque, c’est le droit du travail. Or, le droit du travail, qu’est-ce que c’est ? C’est celui qui règle les relations entre les entreprises et les salariés. Autrement dit : le droit du travail, c’est la traduction juridique du rapport de force entre employeurs et employés.

Quand le Premier ministre dit qu’il veut réformer ce droit au bénéfice des entreprises, cela ne pourra, par définition, se faire qu’au détriment d’une partie des protections des salariés. Alors on peut être pour, on peut être contre : il s’agit, là encore, d’une décision politique. Mais la moindre des choses, c’est d’en assumer la responsabilité. Et non pas, de déguiser ce choix derrière les apparences de la "simplification" et de la "débureaucratisation".

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