Cinéma week-end. Régis Sauder : "On a besoin d'espoir, d'utopie et de documenter la période que nous vivons"
Le documentariste a deux films sur les bras, il est en pleine post-production de la suite de "Nous, princesse de Clèves", dont le premier opus a été tourné il y a dix ans, et il attend que puisse sortir "J'ai aimé vivre-là", tourné avec l'écrivaine Annie Ernaux dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise.
franceinfo : J’aimé vivre là a été tourné avant la crise sanitaire, comment le percevez-vous aujourd’hui ?
Régis Sauder : C’est un film sur le temps qui passe, c'est aussi un film sur le monde d'avant, puisque c'est vraiment un film tourné à la fois dans une période estivale de plaisir et de réflexion autour du bonheur qu'on a à trouver sa place dans ce monde-là. Avec la question de l'utopie, Cergy a été construite il y a 50 ans dans un désir de ville nouvelle, de vie nouvelle. Le film est baigné dans cette atmosphère avec la voix d'Annie Ernaux, ce dialogue avec les habitants qui l'entourent car elle vit toujours à Cergy. Effectivement, il y a un regard comme ça sur un monde qui, aujourd'hui, semble déjà très éloigné. Je crois que le film fait du bien. C'est un film assez joyeux. J'avais besoin aussi de faire un film après des récits un peu plus sombres. Un film d'espoir et d'utopie, effectivement.
Vous avez tourné la suite de Nous, princesses de Clèves pendant les périodes où c'était possible depuis le début de cette crise. Ça a changé quoi dans votre travail ?
Sur ce film que je suis en train de finir, on a commencé le tournage avant le deuxième confinement et on s'est posé la question, quand le confinement est arrivé, de suspendre le tournage ou pas. Et on a décidé avec le producteur et en réfléchissant à ce qu'on était en train de raconter aussi, on a décidé de continuer le tournage. J'ai dans la tête cette phrase de François Truffaut qui dit que le tournage, c'est comme un train qui fonce dans la nuit. Je n'ai jamais eu le sentiment d'être à ce point dans ce train-là, dans cette nuit-là où chaque jour, je me disais ça va s'arrêter demain.
Et on a réussi à aller au bout de ce tournage. Avec beaucoup de difficultés puisqu'il a fallu changer les plannings. Il a fallu s'adapter et surtout se dire comment faire le récit aussi de cette période. J'ai filmé des jeunes que je retrouvais après dix ans parce que c'est des jeunes que j'ai filmés dans Nous, princesses de Clèves, je les ai retrouvés dans leur vie sociale, dans leur histoire sociale et une fois de plus, ce que racontait cette période-là, c'est que les plus fragiles d'entre eux sont les plus impactés aussi par ce qui se passe, ce qui est en train de se passer. Donc, voilà, c'est des périodes où il faut aussi s'adapter et faire en sorte que ce récit puisse nourrir aussi les histoires que nous, on est en train de raconter parce qu'on est en train, effectivement, de documenter ce moment-là.
Est-ce qu'au moment de la réouverture des salles, avec l'énorme embouteillage qui se profile, le film documentaire sera plus fragilisé que d'autres ?
C'est exactement ce qui se passe avec les plus fragiles dans la société. Le cinéma documentaire fait partie d'un cinéma un peu plus fragile et il faut faire très attention au moment de la réouverture des salles. De pouvoir trouver une place au cinéma à la diversité des formes et des genres. Mais par contre, il y a aussi la possibilité de travailler différemment, c'est-à-dire de travailler au long cours. Ce sont des films qu'on accompagne beaucoup, avec des rencontres avec le public, souvent. Je crois que le cinéma documentaire peut aussi trouver sa place dans une exploitation un peu plus longue.
Je crois qu'il faut vraiment se mettre autour de la table, réfléchir avec les exploitants et les distributeurs à la meilleure façon de ne pas sacrifier toute une partie du cinéma. Il y a évidemment le cinéma documentaire, mais il y a aussi toute la fiction un peu plus alternative, le cinéma de recherche. Je suis très proche de l' ACID que j'ai présidée pendant quelques années, l'Association pour le cinéma indépendant et sa diffusion, et on est attentif à ça. C'est-à-dire faire en sorte qu’un cinéma de recherche puisse être exposé. C'est la possibilité aussi de le financer et de continuer à croire à la possibilité d'une diversité dans les écritures.
La France est sans doute le pays qui aide le plus la culture. Pourtant, vous le dites, il y a des grandes inégalités comme ailleurs. Et parfois, le public a du mal à comprendre. C'est clair qu'en voyant la cérémonie des Césars, certains ont dû se dire : mais c'est un monde qui vit en vase clos...
Mais je crois que la culture n'échappe pas à la société et à sa diversité. Donc, effectivement, on voit ce qui prédomine, ce qui est éclairé, ce qui est sous les lumières. Mais dans cette diversité, encore une fois, des formes, des écritures, des genres, il y a énormément de gens qui font un travail de terrain, en contact avec les publics, avec des écoliers, avec des ateliers. Et ce travail-là, il est fondamental parce que c'est comme ça qu'on nourrit un regard de spectateur. C'est comme ça qu'on ouvre les oreilles des enfants et souvent, ce ne sont pas les plus connus qui font ce travail-là.
C'est effectivement un travail de fourmi sur le terrain, parfois bénévole, et je crois que cette précarité-là qui aujourd'hui surgit comme ça dans les lieux d'occupation, il faut l'entendre. Parce qu'évidemment, il y a un modèle culturel de financement en France qui est très vertueux. Il faut qu'il puisse, lui aussi, s'ouvrir à cette diversité et à cette précarité de certains.
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