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Exposition : Suzanne Valadon, la peintre féministe avant l’heure

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Exposition : Suzanne Valadon, la peintre féministe avant l’heure
Article rédigé par France 2, Valérie Gaget - V.Gaget, J.-M.Lequertier, Y.Kadouch
France Télévisions - Rédaction Culture
France 2
Les artistes féminines ont longtemps eu du mal à se faire un nom et ont longtemps vécu dans l'ombre d'un homme, d’un mari, voire d’un fils. Ce fut le cas de Suzanne Valadon, la mère du peintre Maurice Utrillo. Le centre Pompidou de Metz lui rend hommage jusqu'au 11 septembre.

Suzanne Valadon reste une figure singulière du vieux Montmartre. Cette femme au caractère bien trempé fut le modèle, la muse et la maîtresse de grands artistes de son temps. Devenue peintre à son tour, elle transgressa bon nombre d’interdits. Son œuvre, par trop méconnue, en fait une pionnière de l'art moderne au tournant du XXème siècle.

Sur la Butte Montmartre 

Née à Bessines-sur-Gartempe en 1865, de père inconnu, elle s'appelait en réalité Marie-Clémentine. Sa mère, Madeleine Valadon, l'élève seule. En 1870, elle décide de quitter le Limousin et s'installe à Paris dans le quartier des artistes désargentés: la Butte Montmartre. La fillette enchaîne très tôt les petits boulots: serveuse, marchande de légumes, livreuse de linge. Elle sera acrobate au cirque Medrano avant qu'une chute mette fin à sa brève carrière. Dès l'âge de 15 ans, elle fréquente le marché aux modèles de la place Pigalle. Elle accepte de poser nue - c’est payé trois fois plus cher - et se choisit un nouveau prénom : Maria. Ses longs cheveux et son corps souple inspirent les peintres. L'exposition présente notamment une immense toile de Gustav Wertheimer, datée de 1882: Le baiser de la sirène. Un tableau très sensuel où son corps d'une blancheur d'albâtre ondule dans les flots.

Exposition Suzanne Valadon au centre Pompidou-Metz (Valérie Gaget)

De l'autre côté du chevalet

Pierre Puvis de Chavannes sera l'un des premiers à la prendre pour modèle. Renoir, limousin d'origine comme elle, apprécie également cette fille pimpante qui peut tenir la pose pendant des heures. Il la peint de dos en danseuse élégante, en baigneuse attendrissante, deux tableaux phares de l'exposition. Maria sera aussi l'un des grands modèles de Toulouse-Lautrec qui préfère la brosser en fille des faubourgs. L'une de ses toiles, Gueule de bois, la représente de profil dans un café, le regard perdu. Le vilain Toulouse-Lautrec et la belle Maria vivront une tumultueuse histoire d'amour. C'est lui qui l'aurait baptisée ironiquement Suzanne en référence à l'innocente Suzanne de la Bible que des vieillards observent pendant son bain. Elle adopte ce nouveau prénom, le troisième et n'en changera plus. En observant attentivement ces peintres travailler pendant une dizaine d'années, la jeune femme va former son œil et son pinceau pour passer de l'autre côté du chevalet. Chiara Parisi, directrice du centre Pompidou-Metz explique qu'elle s'est inspirée de leurs techniques et de leurs gestes, non pour les copier mais pour créer une œuvre singulière et très contemporaine. Indépendante, elle n'a pris part à aucun des courants de son époque : l'impressionnisme, le cubisme, le fauvisme.

"Vous êtes des nôtres"

Suzanne Valadon dessine depuis sa tendre enfance. Le 26 décembre 1883, à 18 ans, elle donne naissance à Maurice. Un enfant sans père comme elle. Il sera reconnu huit ans plus tard par l'un de ses amants, un peintre catalan nommé Miquel Utrillo. Cet enfant, le futur peintre Maurice Utrillo, sera le modèle préféré de Suzanne. L'exposition présente de nombreux croquis où elle le représente dans des scènes de la vie quotidienne comme la toilette. Dans ce monde dominé par les hommes, Edgar Degas sera le premier à adouber la femme peintre. Une citation célèbre veut qu'il lui ait dit un jour: "Vous êtes des nôtres". Il achète les croquis de son amie Suzanne. Une partie de sa collection est d'ailleurs présentée dans l'exposition. Le grand Degas l'a sincèrement admirée et encouragée. Il lui a aussi enseigné la gravure.

S comme Suzanne et comme Scandale

Le nu, féminin et masculin, occupe une place essentielle dans l'œuvre de cette femme affranchie. En 1909, la peintre fait scandale avec la toile Eté également baptisée Adam et Ève. Elle s’y représente nue, la quarantaine épanouie, aux côtés de son amant et futur mari: André Utter. C'est un ami de son fils et un peintre médiocre. Il a 20 ans de moins qu’elle. Pour pouvoir exposer son tableau, elle devra ajouter une pudique feuille de vigne sur le sexe de Monsieur. L'exposition présente cependant une photographie de sa toile avant la censure. Elle est la première femme peintre à représenter des hommes adultes dans le plus simple appareil, sans faire référence à la mythologie ou aux religions. Le centre Pompidou-Metz expose un immense tableau très cinématographique : Lancement de filet. Prenant une nouvelle fois André Utter pour modèle, Suzanne décompose le mouvement d'un homme lançant un filet, représentant trois fois son corps nu.

La chambre Bleue de Suzanne Valadon à l'exposition du centre Pompidou-Metz (Valérie Gaget)

La chambre bleue : un tableau manifeste

L'exposition a le mérite de présenter également de nombreux nus féminins signés Suzanne Valadon. Là où la plupart des artistes de l'époque cherchaient la beauté, elle s'attachait à la vérité refusant d'idéaliser le corps de ses modèles. "Ne m'amenez jamais une femme qui cherche l'aimable ou le joli - je la décevrai tout de suite" disait-elle. Son tableau le plus célèbre, La chambre bleue est un véritable manifeste. Prenant le contrepoint des odalisques langoureuses des peintres classiques, elle habille son modèle d’un pantalon d’homme rayé, lui offre des livres à lire et une cigarette à fumer. Une femme moderne dans son intimité qui ne cherche pas à plaire. Féministe avant l’heure, Suzanne Valandon, morte en 1937, a ouvert la voie aux artistes du Deuxième sexe.

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